Index de l'article


Pages retrouvées


Victor Redsons

Genèse des rapports sociaux en Haïti (1492-1970)

suivi de

Problèmes du mouvement communiste haïtien (1959-1970)

Editions Norman Béthune


C’est en fouillant dans la bibliothèque de mon beau-père que je suis tombé sur ce petit livre que je connaissais pas et dont je ne sais pas qui se cache sous le pseudonyme choisi par l’auteur. Et malheureusement Léon n’est plus là pour éclairer ma lanterne, ni pour me dire comment il est arrivé en possession de l’ouvrage.


Quoiqu’il en soit, il m’a paru intéressant, après avoir vu comment Louis Joseph Janvier (voir HEM Vol. XIX No. 3 du 16-22/02/05) et Candelon Rigaud (voir HEM Vol. XIX No. 13 du 27/04-03/05/05) analysent le partage des anciennes plantations coloniales par les nouveaux dirigeants, d’avoir la vision d’un marxiste-léniniste.

Bernard Ethéart


Toussaint Louverture, leader des anciens et nouveaux propriétaires, rationalisa l’exploitation féodale dans sa constitution arrêtée en 1801. (p. 22)


La Constitution de 1801 est en quelque sorte l’assise juridique du mode de production féodal. Elle représente une tentative de protection des intérêts de classe des propriétaires contre toute revendication des cultivateurs. Par ailleurs, cette constitution tient à conserver le principe de la grande propriété. Il est interdit aux propriétaires de morceler les domaines en dessous de 50 ha. Cette constitution confirme les règlements de culture édictés par Sonthonax et Polvérel et précise que chaque plantation est «l’asile tranquille d’une active et constante famille dont le propriétaire de la terre ou son représentant est nécessairement le père» (art. 15). Cette clause typique de l’idéologie féodale hantera pendant tout le XIXe siècle les constitutions et codes intéressant les rapports qu’entretiennent feudataires et serfs sur les habitations. Enfin, la constitution fixe la répartition de la production. Le produit de la terre se divise en quatre parts: une pour les cultivateurs, une autre pour l’Etat et deux pour le propriétaire. (pp. 22-23)

 

La politique agraire du gouvernement de Dessalines s’est caractérisée par l’établissement de la grande propriété foncière de l’Etat. L’Etat s’empara des grands domaines coloniaux et devint un propriétaire géant. L’article 12 des «dispositions générales» stipule: «Toute propriété qui aura ci-devant appartenu à un blanc français est incontestablement et de droit confisquée au profit de l’Etat». Cependant, à côté de l’Etat foncier existait une puissante classe de feudataires issue le l’aristocratie civile et militaire et dont les intérêts ne coïncidaient pas toujours avec ceux de l’Etat propriétaire. (p. 24)

 

La petite exploitation indépendante était pratiquement inexistante, la grande masse paysanne, propriétaire de ses instruments de production ou d’une partie de ceux-ci, était contrainte de travailler sur le domaine du maître (Etat ou particulier), lui fournissant ainsi une rente en travail. Cette forme d’exploitation féodale est une conséquence de la contradiction liée au bas niveau des forces productives et à la nécessité de produire en vue de l’exportation, unique moyen de réaliser l’accumulation indispensable à l’édification de l’économie nationale. Aussi, pour pallier à la déficience des instruments de production qui n’avaient guère évolué depuis cent ans, l’Etat féodal dut recourir à la corvée. (p. 24)

 

Après l’assassinat de Dessalines en 1806, l’empire se scinda en deux Etats rivaux où chacun des deux gouvernements apporta d’importantes modifications à la formule de la propriété appliqués par Dessalines ainsi qu’à la politique économique générale de ce dernier. Ces bouleversements allaient dans le sens des intérêts des classes dominantes qui aspiraient à plus de privilèges, au renforcement de leur pouvoir. (p. 25)

 

Pétion, président de la République de l’Ouest et du Sud distribua une partie importante des terres de l’Etat aux principales autorités de son gouvernement. En vertu de la loi du 21 octobre 1811, une habitation sucrière est donnée aux généraux et une habitation caféière à chaque adjudant-général à titre de «Don National». Ces habitations comprenaient des superficies de 100 à 2.000 carreaux (1 carreau = 1 ha. 29) A côté de ces distributions, on mit en vente les domaines de l’Etat. Ces donations et ces ventes visaient à renforcer l’économie des classes dirigeantes. Plus tard, pour assurer le soutien de la population dans son conflit avec son rival du nord, Christophe, Pétion étendit cette politique de concessions à certains éléments de sa garde et à une certaine catégorie de paysans. La loi d’avril 1814 autorise la distribution de 35 carreaux de terre aux chefs de bataillon ou d’escadron, 30 aux capitaines, 25 aux lieutenants. La loi du 30 décembre 1809 permet la concession de propriétés de 5 carreaux aux sous-officiers et soldats congédiés. Des parcelles de moindre importance furent attribuées aux gérants d’habitation, aux conducteurs d’ateliers, à des paysans «laborieux» et à des soldats en service «qui se distinguaient par leur bonne conduite». (pp. 25-26)

 

Ces modifications apportées dans la tenure de la propriété n’entraînèrent que peu de changements dans les relations entre propriétaires fonciers et cultivateurs. Les méthodes d’exploitation étaient restées les mêmes, aucune situation nouvelle n’étant apparue dans l’état des forces productives. La loi du 20 avril 1807 «concernant la police des habitations, les obligations réciproques des propriétaires, des fermiers et des cultivateurs», reprit les règlements adoptés par le gouvernement précédent. Comme sous Dessalines, les exploitations devaient fournir à l’Etat, en guise d’impôt, le quart de la production. De leur côté, les cultivateurs, en échange de leur travail, recevaient le quart de la production. (p. 26)

 

Dans le nord où un royaume et une noblesse furent créés, Christophe, pour les mêmes motifs, poursuivait la même politique. Les domaines de l’Etat passèrent par concessions aux mains des dignitaires du Royaume: «Un domaine rural était accordé aux nobles à titre de fief, en plus des concessions, dotations particulières accordées antérieurement aux membres du Royaume, ou que le Roi se réservait de régaler aux nouveaux dignitaires qu’il allait installer. Ces derniers biens fonciers pouvaient être vendus ou hypothéqués, tandis que les fiefs étaient inaliénables et leurs produits non sequestrables. Le droit de propriété devait se perpétuer à travers leurs enfants mâles, par droit de primogéniture». le Code Henry (133 articles), entendait que le paysan restât attaché à la glèbe. Bref, un régime féodal copié su celui d l’Europe du Moyen-Age. (pp. 26-27)

 

La contradiction fondamentale du régime féodal s’approfondissait de jour en jour pour atteindre son paroxysme sous le gouvernement de Boyer (1818-1843). Ce dernier avait opté pour les grands domaines indispensables à certaines cultures comme la canne à sucre. En juin 1821, les concessions de terre sont suspendues. La concentration de la propriété est appliquée dans la partie orientale conquise en 1822. le code rural de 1826 qui régit officiellement les rapports assujettissant les paysans-cultivateurs aux propriétaires fonciers indique: «Aucune réunion ou association de cultivateurs fixés sur une même habitation ne pourra se rendre propriétaire ou fermier du bien qu’ils habitent pour l’administrer par eux-mêmes en société». les paysans dont certains ont la possibilité de cultiver des places à vivres sont obligés de peiner du lundi au samedi sur les domaines appartenant soit à l’Etat, soit à des particuliers, en échange du quart ou de la moitié de la récolte. (pp. 28-29)

 

HEM, Vol. XIX, No. 15, du 11-17/05/05