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- Category: Le sol (35)
Débat |
Développement Durable |
Domaines |
Environnement |
Mise en œuvre |
Mélodie and company |
Emission du |
26 avril 2007 |
Invité |
Jean Camille Bissereth - cehpape |
Thème |
La protection du sol |
Transcription
Bernard |
Comme je l’ai dit la dernière fois, c’était il y a quinze jours, nous avons aujourd’hui avec nous quelqu’un qui a déjà participé deux ou trois fois à cette émission. L’occasion de l’émission d’aujourd’hui est la célébration du jour de la terre, le 22 avril, et pour en parler nous avons invité l’agronome Camille Bissereth. Camille était deux fois avec nous, pour parler au nom de FONDTAH (Fondation pour le Développement du Tourisme Alternatif en Haïti), mais il ne s’intéresse pas seulement à l’écotourisme, en tant que membre du CEHPAPE (Centre Haïtien pour la Promotion de l’Agriculture et la Protection de l’Environnement), il a des choses à dire sur la conservation des sols ; il a publié, en 1998, dans la revue ECONET du PNUD, un « Coup d’œil sur la gestion des ressources en sol d’Haïti ». Bonsoir Camille. |
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Camille |
Bonsoir à tous les auditeurs. |
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Bernard |
Nous allons parler de la terre, nous allons parler de sol. J’ai jeté un coup d’œil sur ton article et j’en ai tiré pas mal de choses. Mais pour commencer j’ai un problème. Tu dis que la superficie totale du pays est de 2.775.000 ha, dont 530.000 de terre agricole, 230.000 de terre boisée, 953.000 de terre inculte, 52.000 occupés par les villes, routes, cimetières, étangs etc ; quand je fais le total, il me manque 1 million d’hectares. Où est-il passé ? |
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Camille |
Je crois qu’il va falloir vérifier ces chiffres. |
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Bernard |
C’est intéressant, parce que j’ai trouvé des chiffres publiés par le MARNDR et je vais les comparer avec ceux-ci. Dans la même revue ECONET, j’ai trouvé un article de Robert Cassagnol où il est question des ressources forestières. Je sais qu’il y a 3 % de couverture forestière, mais Cassagnol donne des chiffres que je ne comprends pas ; je pense que je devrai l’inviter pour qu’il nous explique cela. Le sujet est trop grave pour qu’on en parle à la légère. Lors de la préparation ce cette émission, j’ai voulu savoir ce que c’est que le sol. Il y a toute une série de besoins que l’on satisfait à partir du sol et pour cela il y a des espaces spécifiques : espace forestier, espace agricole etc ; mais dans ton article tu privilégies la satisfaction des besoins en alimentation. |
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Camille |
C’est une déformation professionnelle. Le rôle de l’agronome est de produire des aliments et notre préoccupation, en écrivant cet article, était de connaître notre capacité de production et de satisfaction des besoins de la population. Et nous avons constaté un déficit. |
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Bernard |
J’ai relevé aussi ces chiffres ; tu dis que actuellement (en 1998) nous produisons 40 kg de féculents par personne par an, alors qu’il en faudrait 85 kg ; nous produisons 5,7 kg de viande par personne par an, alors qu’il en faudrait 10 kg. |
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Camille |
En 1987, nous nous battions pour que Haïti ne se mette pas à importer des abats ; et feu Leslie Delatour m’a demandé : quel est notre niveau de production ? J’ai constaté alors qu’il y avait toute une série de données dont nous ne disposions pas. Un gouvernement doit être en mesure de répondre aux besoins de la population et nous n’avions même pas les chiffres de notre production de féculents, de viande. J’étais un farouche avocat de la production animale et je pensais que en laissant entrer ces abats, nous allions nous trouver dans une situation de dépendance ; et c’est la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui. |
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Bernard |
C’est un point sur lequel il faudra revenir. Pendant un temps, il y avait une forte production de poulets ; et puis, je ne sais pas ce qui est arrivé, notre production de poulets a disparu. |
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Camille |
Je voudrais attirer l’attention sur le fait que, autant que je sache, cette radio est la seule qui donne une importance à la terre. J’ai l’impression que les haïtiens ne sont pas des « terriens », alors que, depuis 1970, plus de 500 millions de personnes fêtent la terre. En tant que « terrien » nous devrions connaître l’endroit où nous vivons. Quand tu m’as demandé de parler de la terre, je me suis dit que c’était un honneur et même un privilège. Quand les Nations Unies mettent un « jour de la terre », c’est pour que chacun puisse prendre conscience du monde. Il y a beaucoup de personnes qui vivent en Haïti et ne peuvent pas se localiser, ne peuvent pas réaliser le rapport entre l’élément physique et les personnes qui vivent sur la terre, et comment chacun devrait lutter pour protéger l’environnement ; car nous avons une grande responsabilité pour que nous vivions dans un endroit propre. Quand tu m’as demandé de venir parler du sol, je me suis dit qu’il était important qu’une conscience se développe, que nous sachions comment nous comporter. Ce n’est pas un hasard que nous soyons nés en Haïti. La nature a voulu que nous soyons nés dans un pays qui fait partie d’un univers et nous avons une richesse que nous ne sommes même pas capables d’exploiter, d’apprécier. Il faut que nous comprenions que cette terre d’Haïti où nous vivons est une terre bénie et que tous devrions aimer et travailler à ce qu’elle reste vivable et que ses enfants ne soient pas obligés la quitter. |
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Bernard |
Je prépare une émission que je vais faire avec Abner Septembre, un petit goâvien comme toi, et je suis tombé, dans cette même revue ECONET, sur un article de Paul Parisky qui cite je ne sais plus qui disait que Haïti avait été un paradis, et que nous en avons fait un enfer. |
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Camille |
S’il y a une prise de conscience, nous pouvons la faire redevenir un paradis. |
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Bernard |
Quand nous parlons de développement durable, c’est ce que nous avons en tête : essayer de faire Haïti redevenir un paradis. Nous sommes partis de la terre et du fait qu’elle n’est pas capable actuellement de satisfaire nos besoins en alimentation. Il semble qu’une des raisons soit la dégradation du sol. Dans ton article tu donnes une série de détails, mais il y a des explications dont j’aurais besoin. Tu fais la distinction entre montagne et plaine, et, pour les montagnes, tu fais une distinction entre versant nord et versant sud. Tu dis que, sur le versant nord, on a une oxydation rapide de la matière organique, qui provoque une destruction de l’humus, et cela ajouté au lessivage par les pluies torrentielles, mène à une dégradation. Sur le versant sud, en saison sèche le sol est très mince et desséché, en saison pluvieuse >> impropre à la production alimentaire. En plaine, on a deux causes de dégradation : les sédiments qui viennent de la montagne en saison pluvieuse et la salinisation. Donne nous quelques explications ; par exemple l’oxydation |
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Camille |
C’est quelque chose de très technique ; nous allons tenter de l’expliquer. Si tu regardes les bassins versants et leur exposition par rapport au soleil, le versant nord a une couche arable avec des matières organiques pouvant se dérader rapidement. Prends la Chaîne des Matheux, par exemple, tu vois le versant sud qui est comme désertique. |
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Bernard |
Oui, c’est une remarque que j’ai toujours faite, en particulier dans le Nord. Par exemple le Puilboro : le versant sud, que tu montes, venant des Gonaïves, est desséché, alors que le versant nord est verdoyant. Est-ce le soleil qui est responsable ou la pluie ? car il y a une affaire de vents alizés qui amènent la pluie ; et, d’après ce que j’ai compris, quand les alizés arrivent au-dessus de l’autre versant, ils ont perdu toute leur humidité et il n’y a pas de pluie. Est-ce que j’ai dit une bêtise ? |
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Camille |
Non ; il faut essayer de comprendre comment un pays comme Haïti, qui a 80 % de montagnes, devrait utiliser le sol. Il y a des gens qui pensent que les mornes devraient servir à la production alimentaire, alors que ce sont des sols très fragiles et il faut un système qui les laisse se reposer, que la nature fasse son travail, et alors on a une forme de conservation naturelle. Ce qu’il faut comprendre, c’est que quelque soit l’approche choisie, les modes de conservation de sol utilisés, cela peut ne pas donner de résultat, car la position géographique compte pour beaucoup. L’agronome Thermil a mis récemment l’accent sur l’approche par bassin versant. Quand un pays a 30 bassins versants, dont 25 sont totalement dégradés, il faut se demander quelle est la position géographique du terrain par rapport au soleil ? quelle est la capacité de conservation ? quel type de conservation on peut employer ? comment exploiter au mieux une conservation ? au lieu de faire de petites activités genre murs secs, cordons de pierre, seuils qui ne résolvent pas le problème. Car le problème est plus profond ; il est à la fois géologique et géographique. Il y a différents paramètres à considérer : l’exposition du terrain par rapport au soleil, au vent. Toutes les zones ne peuvent pas être protégées de la même façon car elles ne réunissent pas les mêmes conditions. |
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Bernard |
Tu parlais d’exposition au soleil, je parlais d’exposition à la pluie, maintenant tu parles d’exposition au vent. Il y a une terminologie ; on parle des versants au vent et des versants sous le vent. Le versant au vent est celui qui reçoit le vent directement ; le versant sous le vent est celui où le vent passe au dessus. En français il y a deux termes ; on parle des adrets et j’ai oublié l’autre. Tout cela c’était pour les mornes, 80 % de la superficie du pays, mais il y a quand même quelques plaines. |
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Camille |
Tout à l’heure on parlait de salinisation ; c’est un problème très sérieux. Prends la Plaine du Cul-de-Sac dont on exploite la nappe phréatique de manière anarchique. Finalement cette nappe rentre en contact avec la mer et les gens qui boivent l’eau de la Plaine du Cul-de-Sac boivent de l’eau salée. Sans parler des métaux lourds qu’on trouve maintenant dans cette eau et qui sont cancérigènes. |
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Bernard |
L’autre jour Pierre Adam en a parlé et nous a présenté un tableau apocalyptique. |
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Camille |
Cela veut dire que nous avons une exploitation qui devrait être contrôlée. On ne contrôle rien et maintenant on empoisonne la population. Même au niveau agricole toutes ces zones ne sont plus productives. |
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Bernard |
Mais la salinisation n’est pas seulement le fait de l’eau de mer. Quand sur un système d’irrigation il n’y a pas de drainage et qu’on a utilisé des engrais chimiques, une fois que l’eau s’est évaporée, le sel des engrais reste dans la terre. |
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Camille |
Actuellement les gens ne croient pas que l’on puisse faire de l’agriculture sans engrais alors que c’est faux. |
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Bernard |
Il y a des paysans, des vieux, qui m’ont dit qu’autrefois on n’utilisait pas d’engrais dans l’Artibonite. Le riz était coupé dans le champ. On laissait la paille sur place, on lâchait des bestiaux durant l’intersaison et leurs excréments donnaient du fumier. |
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Camille |
Quand tu prends un pays comme Haïti, où le sac d’engrais coûte une fortune, on devrait choisir cette approche et devenirs des producteurs bio. C’est ce qu’ils ont fait en République Dominicaine ; ils sont devenus les premiers exportateurs de cacao bio, de bananes bio. En Haïti, nous n’avons pas la capacité d’acheter de l’engrais ; nous avons intérêt à adopter une agriculture bio. Malheureusement la vulgarisation agricole est mal faite. J’ai toujours dit que notre pauvreté devrait devenir une source d’attraction pour qu’on voie comment nous pratiquons l’agriculture ; et ceux qui mangeraient nos produits ne souffriraient pas de cancer ; ils sauraient qu’ils mangent des produits sains. Il faut que nos agriculteurs soient intelligents et comprennent qu’avec les moyens dont nous disposons, il vaut mieux revenir au « pirik kayik » et nos produits seront des produits organiques. |
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Bernard |
Même pour le riz, ces messieurs et dames de la Fondation Groupe 73 ont créé une chambre d’agriculture organique et, lors d’un de leurs congrès, ils ont parlé d’une expérience de production de riz, à Madagascar, sans engrais chimique. Il faudrait que Paul Duret devienne ministre de l’agriculture pour lancer cela. Nous avons parlé des différentes causes de dégradation, salinisation, oxydation de l’humus etc. Maintenant, dans ton article, tu parles de la stratégie choisie par le MARNDR pour faire face à ces problèmes. Tu cites 4 points :
Il semble que dans l’article tu fais un bilan et constate que « là où on en fait le moins, c’est la formation ». |
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Camille |
C’est vrai. Nous faisons une expérience de conservation de sol actuellement, où nous disons que nous ne payons pas une personne pour qu’elle protège sa terre. Quand un terrain a plus de 40 % de pente, on ne peut le travailler comme un terrain de plaine. Ce sont des terres qu’on doit cultiver sur courbes de niveau, mais le paysan n’est pas formé pour ce genre de travail ; ce qu’il fait va accélérer l’érosion. Il scie la branche sur laquelle il est assis. Il manque la formation qui fera de l’agriculteur un conservationniste. Quand j’étais étudiant, on nous amenait en stage et on nous disait : l’approche du paysan est correcte. Dans ce cas, pourquoi former des agronomes ? Quand on considère une pente de 40 % … |
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Bernard |
Cela veut dire quoi, une pente de 40 % ? quelle est la pente d’une barre verticale ? |
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Camille |
90 % |
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Bernard |
Oui, elle fait un angle de 900 avec l’horizontale ; mais quand on parle d’une pente de 20 %, parle-t-on d’un angle de 200 ? |
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Camille |
On a des terres qui sont impropres à l’agriculture et qu’il faut laisser pour des pâturages, des forêts. |
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Bernard |
Tu sais ce qui me fascine toujours, c’est quand je vois des documentaires sur la culture du riz en terrasse, au long des courbes de niveau. Mais c’est une pratique qui est très intensive en travail ; il n’y a pas de mécanisation possible ; il est vrai que cela se pratique en Asie, là où la main d’œuvre est abondante et faiblement rémunérée. |
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Camille |
J’ai eu la chance d’aller étudier au Costa Rica et de voir comment les paysans travaillent. Par rapport à son niveau de formation, le paysan est plus qu’un agronome. Et ils s’organisent pour ne pas dégrader leur sol, alors que nous, nous contribuons à la dégradation. Il faut faire comprendre que la terre n’est pas là seulement pour produire des aliments. Elle a d’autres utilisations : production d’énergie, loisirs … Et l’Haïtien n’a pas de loisirs ; depuis qu’il a laissé l’école, il n’a plus de récréation. |
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Bernard |
Il y a un article de la Constitution qui prévoit que l’Etat doit installer des parcs. |
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Camille |
Il faut aménager la terre en fonction des conditions ; agriculture, là où c’est possible, forêts, parcs. |
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Bernard |
Tu sais que j’ai traversé la Jamaïque en voiture, et, nous avons trouvé, dans un petit village, un jardin botanique. |
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Camille |
En Haïti nous n’en avons pas ; mais aujourd’hui, avec les collectivités territoriales, il y a des choses à faire, par exemple des forêts communales … |
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Bernard |
… mais ces messieurs, quand ils arrivent à la mairie, n’ont rien de plus pressé que de se mettre à vendre des terres de l’Etat … |
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Camille |
… oui mais avec cela ils ne gagnent rien ; c’est leur vision qu’il faut éclairer. |
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Bernard |
Il y a une annonce qui passe ces jours-ci à la radio au sujet de l’Article 74 de la Constitution, expliquant que gérer les terres de l’Etat ne veut pas dire les vendre. |
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Camille |
Si, à la Croix-de-Bouquets, il y a un aquarium, cela rapportera plus que vendre de la terre. Il faut créer des attractions et nous devons voir comment assister les élus locaux, les encadrer, pour qu’ils prennent en charge les terres qu’ils ont à gérer. Il ne s’agit pas de créer des bidonvilles, car il va falloir stopper la bidonvilisation sauvage que nous connaissons actuellement en Haïti. |
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Bernard |
J’ai un ami qui habite Jacquet, un peu en hauteur, et, de chez lui on a une vue sur tout le Morne l’Hôpital, depuis Pétionville jusqu’à la Rivière Froide. Et on voit comment le peuple monte à l’assaut de la montagne. C’est hallucinant. Il y a des constructions qui ne sont pas plus grandes qu’une latrine. Je ne sais pas comment les gens peuvent vivre là-dedans. On n’a pas besoin d’aller loin pour les voir, il suffit de monter le Canapé Vert. |
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Camille |
Je crois qu’un maire actuellement a de grosses responsabilités. Ce n’est pas comme en 1980, un maire, en 2007, doit avoir un engagement par rapport à l’environnement et nous, en tant que citoyens, nous avons une grande contribution à apporter. Il y a une mauvaise utilisation du sol. Je me souviens, quand nous faisions une étude pour le Plan International à la Croix-des-Bouquets, et que nous cherchions les terres à vocation agricole, on constatait qu’elles étaient couvertes de constructions. Quand on offre une forte somme d’argent à un paysan pour sa terre, il la vend. On y pensait déjà en 1997-1998, mais maintenant c’est devenu plus grave ; on n’a qu’à voir ce qui se passe à Gressier, à Léogane… Or nous avons à peine 20 % de plaine ; elles devraient ent être réservées à l’agriculture. Il y a des dispositions à prendre. Nous avons des dispositions à prendre. Nous avons une population qui croît, il faut qu’il y ait une politique pour la nourrir, autrement nous dépendrons totalement de l’étranger. Delatour m’avait fait avoir honte, car j’ai réalisé que je n’avais pas de données sur la production de mais, de patates … Je vois l’expérience du Costa Rica où ils encadrent si bien les producteurs. Ils en sont à payer des agriculteurs pour qu’ils ne produisent pas, afin d’éviter la surproduction. En République Dominicaine on fait la même chose avec la production de riz. En Haïti, nous ne connaissons pas cela du tout. Si un ministère est responsable de donner à manger à la population, il doit savoir quelle est la production, comment se fait la production. La terre à Port-de-Paix n’est pas comme la terre aux Anglais. Une zone qui reçoit 400 mm de pluie ne peut pas produire comme une zone qui en reçoit 2.000. Le ministère devrait savoir comment redistribuer la production pour que tout le monde soit satisfait. |
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Bernard |
Ça ce n’est pas le rôle du Ministère de l’Agriculture, mais du Ministère du Commerce. Je n’ai jamais compris à quoi servait notre Ministère du Commerce. Car quand je vois dans quelles conditions les marchés fonctionnent, quand on voit les différences de prix, pour le même produit, entre les différentes zones je me demande ce que fait ce ministère, à part délivrer des licences d’importation. |
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CPhilippeamille |
Il faut une professionnalisation des agriculteurs. Le grand défi pour nous autres agronomes c’est de faire que les agriculteurs puissent se prendre en charge. |
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Bernard |
Merci, je n’allais pas aborder ce sujet, mais tu m’en donnes l’occasion. Dans la stratégie dont tu as parlé au début, tu as cité la formation … |
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PhilippeAppel |
Je voudrais apporter deux précisions :
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Bernard |
Ce n’est pas encore clair, il faudra qu’on en reparle. Je voulais parler d’organisation. Quand tu parles de formation, tu considères l’individu ; mais former les individus ne suffit pas ; il faut que cet individu soit dans une structure. |
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PhilippeCamille |
Nous travaillons toujours dans ce domaine. La population augmente et la terre diminue. Il faut une prise en charge et cela ne peut se faire qu’en organisant la population. C’est pour cela que l’approche par bassins versants d’Alain est intéressante. |
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BernardAppel |
Le problème du café : à la bas de la destruction des caféteraies il y a l’absence d’une banque agricole qui prête de l’argent au paysan pour qu’il émonde son café. Vous n’en avez pas parlé. |
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PhilippeCamille |
C’est le problème du financement. En fait, nous n’investissons pas dans l’agriculture. |
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Bernard |
Je me souviens d’avoir demandé à un exportateur de café s’ils investissaient dans la production du café ; il m’a répondu : « nous ne sommes pas fous ». |
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PhilippeCamille |
Chez le voisin, on ne rentre pas dans un village sans rencontrer une banque agricole. Ici les systèmes de crédit ont échoué. Il faut aussi encadrer le paysan. Il faut arriver à une agriculture d’entreprise, par opposition à une agriculture de subsistance |
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Bernard |
Les banques prêtent à des importateurs de riz, car ils remboursent au bout de trois mois. J’’ai 5 actions de la BUH, cela me permet d’assister aux assemblées générales. Une fois je leur ai dit que je voyais la banque offrir du crédit pour acheter des inverter, et toute sorte d’équipements de ce genre, mais que j’y ai amené un paysan fiable pour obtenir un prêt pour acheter de l’équipement agricole et qu’il n’a rien eu. On m’a répondu que j’avais raison et qu’on allait voir ce qu’on pourrait faire. Il semble qu’on ne pouvait rien faire. |
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PhilippeCamille |
S’il n’y a pas une autre politique, nous allons à la catastrophe. Il faut penser aux autres formes d’utilisation de la terre, les loisirs … |
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Bernard |
Attention, aujourd’hui ce n’est pas avec le membre de FONDTAH mais avec celui de CEHPAPE que nous parlons ; ce n’est pas que je sois contre l’écotourisme, mais ce n’est pas l’objet de l’émission. Mais tu n’as toujours pas répondu à ma question sur l’organisation. J’insiste parce que j’ai connu l’expérience des « konsey manje », qui étaient payés pour faire des murs secs et qui, la nuit, détruisaient le mur construit pendant la journée, juste pour recevoir plus d’argent. Je me demande si cela n’a pas du décourager et s’il existe d’autres formes de gestion organisée. |
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PhilippeCamille |
Nous avons fait une expérience avec le DRIPP (Développement Régional Intégré Petit Goâve – Petit Trou de Nippes) dans les années 80 et j’ai écrit un mémoire là-dessus. Actuellement dans notre travail, nous n’utilisons pas l’argent comme encouragement. Nous essayons de faire prendre conscience aux gens. Sur les hauteurs de Montrouis, les gens travaillent sans qu’on leur donne un sou. Et dans toute cette zone, qui est totalement dégradée, on pourrait planter du medsiyen ; c’est pourquoi je suis intéressé à cette affaire de biodiesel. Nous avons aussi une expérience aux Anglais. Dans les hauteurs de Montrouis, les gens ne font plus d’élevage libre. |
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Bernard |
Que font-ils des cabrits ? |
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PhilippeCamille |
Ils les attachent et leur apportent à manger. |
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Bernard |
Sur les cartes, on trouve un peu partout des endroits qui s’appellent « Hatte … quelque chose » ; je pense que ce sont des endroits où il y avait des enclos de cabrits ; pourquoi cela n’existe-t-il plus ? |
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PhilippeCamille |
Il y a un laisser aller général. Il y a aussi un problème de gestion de la mer. Les alluvions ne dégradent pas seulement les plaines, elles causent aussi des dégâts au niveau de la faune marine. |
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Bernard |
Y a-t-il une législation sur tous ces domaines ; par exemple, y a-t-il une loi qui interdit les brûlis ? |
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PhilippeCamille |
Le Code Rural François Duvalier. Je pense à Boucan Carré ; c’est un endroit où on trouve des cas de malnutrition du 2ème, du 3ème degré, et j’y ai encore une fois vérifié que quand l’environnement est dégradé, la population aussi est visiblement en mauvais état. |
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Bernard |
Explique où est Boucan Carré. |
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PhilippeCamille |
C’est une des communes du Bas Plateau, avec Belladère, Lascahobas, Mirebalais, Savanette, Saut-d’Eau. |
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Bernard |
Tu n’as pas tout dit. Boucan Carré est situé sur la rive droite de l’Artibonite ; il est coincé entre le fleuve et ma montagne. On y accède par une route qui part du Carrefour Domond, juste après qu’on ait traversé l’Artibonite. L’affaire est que cette route, à un certain moment connaît se divise en deux branches, l’une va à Boucan Carré, l’autre va à Dufailli, le fief de la famille Jérémie, tout puissante tous Duvalier. Et les Jérémie prenaient un malin plaisir à barrer l’embranchement qui allait à Boucan Carré, isolant ce village encore davantage. |
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PhilippeCamille |
Récemment, j’ai visité un village de pêcheurs près du lac Azuéi. J’y ai vu une telle misère que je suis rentré chez moi avec des maux de tête. |
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Bernard |
A propos de lac Azuéi, j’ai reçu une documentation d’une fondation qui voudrait créer un parc au bord du lac. Il faudrait que je te fasse voir cela. |
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PhilippeCamille |
C’est le genre de choses dont on aurait besoin. Il faut encadrer les maires pour qu’ils organisent des parcs, des aquariums … |
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Bernard |
Je vais te taquiner. Tu as travaillé pour la PADF (Pan American Development Fondation) qui a eu de grands programmes de reboisement ; parles moi de reboisement. |
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PhilippeCamille |
Reboiser, ce n’est pas seulement planter des arbres ; cela peut être aussi laisser reposer la terre, car elle produira des arbres toute seule. |
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Bernard |
Par exemple, tu parlais de Montrouis ; si on laisse cette malheureuse Chaîne des Matheux en paix, elle se couvrira de végétation. |
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PhilippeCamille |
Mais il y a la pression démographique. Il faut faire du reboisement par onjectif, après une analyse. On peut faire des vergers, on peut faire de la conservation de sol avec de l’herbe, qui servira à nourrir les animaux. |
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Bernard |
Il y a un agronome qui m’a dit une fois, c’était Gérard Boucard, « pourquoi parle-t-on toujours de reboisement ? pour quoi ne parle-t-on pas de « enherbement » ? » l’herbe protège mieux et pousse plus vite … |
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PhilippeCamille |
… en moins de trois mois. Nous faisons aujourd’hui une expérience de « jardin d’herbe » ; un paysan te dira : « cette année, j’ai fait trois récoltes d’herbe ». |
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Bernard |
Tu sais que le commerce de l’herbe était connu autrefois. Mon père me racontait que, dans le bas de la ville, du côté des loges, dans le quartier de Fort Ste Claire, cette zone a disparu avec le bicentenaire, il y avait le marché aux herbes. A l’époque on avait des boggy tirées par des chevaux et il fallait donner à manger à ces chevaux. On allait donc au marché aux herbes pour acheter de quoi nourrir les chevaux. Je ne sais pas d’où venait l’herbe. Le commerce de l’herbe n’est donc pas une chose si aberrante. On n’a plus les chevaux des boggys, mais on a des vaches, des cabrits, des lapins à nourrir. |
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CPhilippeamille |
Ce sont ces stéréotypes que nous essayons de développer pour arriver à une autre utilisation de la terre. |
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BernardAppel |
vous discutez de la terre, mais vous n’avez pas parlé du problème foncier. |
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PhilippeBernard |
Non, je ne vais pas en parler ici pour des raisons professionnelles. |
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BernardAppel |
Mais, si vous voulez faire de la conservation et si l’agriculteur sait que la terre ne lui appartient pas, il n’aura aucune motivation. |
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PhilippeBernard |
Autrement dit, la conservation suppose la sécurisation. |
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BernardAppel |
C’est ça et je pense que Bissereth pourrait donner un exemple de l’expérience qu’il est en train de mener dans le Sud. |
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PhilippeBernard |
Camille, tu as un défi que t’a lancé ton associé. |
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BernardCamille |
L’approche bassin versant tient compte de l’aspect foncier et nous voulons voir quel pourcentage revient au propriétaire, qu’il s’agisse d’arbres fruitiers ou d’herbe. Il y a un système « tonja » connu en agroforesterie. Je prends 10 carreaux où le plante des manguiers. Ils vont produire au bout de 6 ans. Pendant 5 ans je peux faire du mais, du petit mil, puis je vais faire la même chose sur une autre terre. En Haïti, il y a des formules que l’on peut utiliser. Le système « deux moitiés » pourrait marcher, mais il donne beaucoup de problèmes ; on pourrait envisager des formes de contrats. Tu sais que dans tout cela nous visons à faire des fermes agricoles, des fermes agro-touristiques. Je n’ai pas besoin de posséder la terre ; j’apporte une valeur ajoutée qu’il faudra partager. Il y a une expérience que tout le monde devrait visiter ; c’est Haïti Verte. Il a demande à une dame de lui louer une terre et maintenant il a un parc floral. |
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Philippe |
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Bernard |
J’ai un employé à qui quelqu’un a permis d’occuper une terre pour y habiter. C’est en Plaine du Cul-de-Sac, du côté de Santo. Le type s’est amusé à y faire une pépinière, et maintenant le propriétaire lui demande de payer un loyer. |
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PhilippeCamille |
Le problème est de savoir comment partager les bénéfices. En Haïti, il n’y a pas un problème de terre, il y a un problème d’utilisation de la terre. |
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Bernard |
Comme tu as parlé de bassins versants, il y a un programme qui est à la charge du CNIGS (Centre National d’Information Géo-Spatiale) qui a décidé de commencer à travailler sur les bassins versants et j’ai fait valoir, et cela a été accepté, le principe qu’avant de faire la moindre intervention sur un bassin versant, il faut commencer par savoir à qui appartient la terre. |
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PhilippeCamille |
Il y a des gens qui possèdent de la terre, et c’est une fierté pour eux de dire : je suis un grand propriétaire, mais ils ne font rien de la terre … |
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Bernard |
… je connais cela .. |
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PhilippeCamille |
On devrait taxer ces gens-là. |
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Bernard |
Il existe une loi, publiée dans le même numéro du Moniteur que la loi d’exception pour la Vallée de l’Artibonite de 1975. |
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PhilippeCamille |
Pour qu’un pays fonctionne, il a besoin de lois qui sont comme sa boussole. En Haïti, on n’a pas de problème d’absence de lois, on a un problème d’application de ces lois. Tu es bien placé pour faire appliquer cette loi sur les terres vacantes. |
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Bernard |
Qui t’a dit cela ? |
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Camille |
En tant que directeur de l’INARA … |
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Bernard |
… ici je ne suis pas directeur de l’INARA, je suis animateur d’une émission. |
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Camille |
Nous sommes dans une situation où nous ne pouvons plus plaisanter. Il y a une génération qui arrive et regarde ce que nous faisons. Il y a des dispositions sérieuses à prendre, par exemple avec le système « deux moitiés ». |
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Bernard |
Nous sommes venus avec le thème de la terre, et chaque fois que j’aborde ce thème, je suis pris de découragement en pensant à la situation. Pourtant, quand je te parle, tu me dis il y a telle ou telle expérience. Quelle est la situation ? peut-on encore espérer ? |
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Camille |
Nous avons un pays vierge, un pays plein d’avenir. Quand nous parlons des problèmes de la terre, nous savons comment les résoudre. Nous devons gérer l’espace et cela demande qu’on ait une vision, une volonté et un peu de coercition. Si nous parlons de préparer un pays à recevoir des touristes, il faut qu’il y ait une meilleure utilisation de la terre. Quand je travaillais sur Petit Goâve, je me suis rendu compte que cette ville avait été créée selon un plan … |
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Bernard |
… c’est une ville qui avait été bâtie pour être capitale de la colonie. |
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Camille |
Je suis heureux que tu le dises. |
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Bernard |
C’était aussi un repaire de coquins. Il est connu que les pirates qui ont pillé Carthagène des Indes, dans l’actuelle Colombie, étaient partis de Petit Goâve et y sont revenus pour partager le butin… |
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Camille |
… et ils y ont laissé une croix. Mais quand on parle d’éco-tourisme, beaucoup de gens ne connaissent pas Petit Goâve … ils connaissent Miami … On ne pourra pas faire d’éco-tourisme sans développement local, sans plan d’urbanisme. Le maire aura à tenir compte de tout cela. En République Dominicaine, il y a 300.000 observateurs d’oiseaux. Ce sont des possibilités de création de richesse, de création d’emplois. Cet observateur d’oiseau a besoin d’un guide, qu parle plusieurs langues. Il y a un problème de vision. |
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Bernard |
Tu aimes rêver. |
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Camille |
Rien ne se fait sans rêve. |
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Bernard |
Nous arrivons à la fin de l’émission. Tu as parlé de beaucoup de choses sur lesquelles il faudra revenir … |
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Camille |
… il faut que tu m’invites à parler de la foire de Belladère … |
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Bernard |
Tu es un homme qui rêve, mais tu as aussi des idées très pratiques, même si elles sont aussi farfelues que de faire venir 300.000 observateurs d’oiseaux … |
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Camille |
Cela n’a rien de farfelu ; sais-tu que, du côté de Fauché, on peut observer des baleines ? |
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Bernard |
Des baleines ? je sais qu’au Canada, à certaines époques, on va observer des baleines près de l’embouchure du Saint-Laurent. |
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Camille |
En tout cas, nous ne faisons pas que parler, nous construisons, et nous ne pouvons pas construire seuls, nous devons le faire ensemble. C’est pourquoi ce que fait cette radio devrait être multiplié par 10, par 100, par 1.000 pour que le plus grand nombre de personnes comprenne que nous avons un pays à construire, à sauver. |
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CPH - lundi 8 octobre 2007cehpape – mardi 30 octobre 2007