Emission du |
08/07/08 |
Thème |
Les conditions de relance de la production agricole |
Invités |
Asosyasion Peyizan Boukasen |
Transcription
Bernard |
Cet après-midi, nous allons revenir à un sujet d’actualité ; je ne veux pas parler de la nomination du premier ministre, je veux parler de la relance de la production agricole, qui est devenue un thème à la mode depuis les « émeutes de la faim ». Il faut signaler que ce thème n’intéresse pas seulement Haïti. Il y a une réunion du G8, le groupe des nations les plus riches, les plus industrialisées, du monde, le Canada, les Etats Unis, la Grande Bretagne, la France, l’Allemagne, la Russie, le Japon, et je crois que le 8ème c’est l’Australie, qui s’est tenue au Japon. Ce G8 se réunit chaque année, cette année au Japon, l’année dernière en Allemagne, l’année d’avant en Ecosse, et hier j’ai entendu un chiffre extravagant : il faut plusieurs centaines de milliers de dollars pour réunir ces chefs d’Etat pendant 2 à 3 jours, entre autre pour payer les 21.000 policiers qui doivent assurer leur sécurité. Parmi les grands thèmes discutés à cette réunion, nous retenons la faim dans le monde et les changements climatiques. Sur les changements climatiques, ils auraient pris des résolutions. Pour la faim dans le monde, l’année dernière, ils avaient promis d’aider les pays africains à augmenter leur production agricole ; il semble que ces promesses n’aient pas été tenues. Cette année, ils y reviennent. 8 présidents africains ont été invités à participer à la rencontre, dont le président du Sénégal, Abdoulay Waad, que j’aime beaucoup, il a un visage très expressif et n’a pas sa langue dans sa poche. C’est pour dire que le problème de la relance de la production agricole ne concerne pas seulement Haïti, c’est un problème mondial. C’est donc ce thème que nous allons aborder aujourd’hui. Il avait déjà fait l’objet d’émissions : ∙ le 13 mai, nous avons eu une proposition de relance qui venait de FONHDILAC, ∙ le 27 mai, nous avons eu une émission avec le Forum Agricole Goâvien, ∙ le 3 juin, j’ai parlé de la conférence organisée par la FAO pour chercher des solutions au problème de la sécurité alimentaire dans le monde, ∙ le 10 juin, je suis revenu sur cette conférence et je l’ai reliée au séminaire organisé par l’ANDAH sur la filière riz. C’est donc un thème que nous avons traité plusieurs fois, et nous aurons à y revenir, mais aujourd’hui nous voulons l’aborder sous une forme particulière. Nous avons avec nous trois représentants d’une organisation paysanne qui veulent nous parler d’une condition nécessaire à la relance de la production agricole, une condition très importante bien qu’on n’en entende pas parler dans toutes les déclarations officielles. On entend parler de tracteurs, d’engrais, de crédit, mais pas de cette condition dont vont nous parler nos invités qui vont se présenter. |
Odilon |
Je suis Odilon Desame, membre de l’Association des Paysans de Boucassin ; Boucassin est une section communale de Cabaret. |
Destinvil |
Je suis Destinvil Joseph Ostin, membre de l’APB. |
Canova |
Je suis Canova Carrière, porte parole de l’APB. |
Bernard |
Nos trois invités viennent donc de la 1ère Section Boucassin ; pour information, on dira que le bourg de Cabaret est dans la 2ème Boucassin. C’est donc une section que l’on traverse en prenant la Nationale No. 1 vers l’Arcahaie ; il y a du reste un litige entre les communes de Cabaret et de l’Arcahaie, qui réclame une partie de la 1ère Section Boucassin. |
Destinvil |
A l’occasion d’une élection, on avait brûlé les bulletins de vote d’une localité appelée Vignier ; à l’élection suivante, on a décidé d’en faire une section de l’Arcahaie, de sorte que deux CASEC ont été élus, un pour la 1ère section Boucassin de Cabaret et un pour une 1ère section Boucassin de l’Arcahaie. |
Bernard |
On voit souvent ce genre de choses à l’occasion d’élections. Je connais le cas de la commune de Desdunes qui, pour les élections, a 2 sections communales, alors que le Ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales ne connaît qu’une seule section. Résultat, on a un CASEC qui n’a pas de territoire. J’avais une rencontre avec des membres de l’APB vendredi et ils m’avaient fait comprendre que, pour réaliser la relance de la production, il y avait une condition indispensable, à savoir, donner au paysan le sécurité sur la terre qu’il travaille, ce qu’on appelle la sécurité foncière. Qu’est ce que la sécurité foncière ? on en a discuté lors de la Conférence Internationale sur la Réforme Agraire et le Développement Rural (CIRADR) organisée par la FAO à Porto Alegre (Brésil) en 2006. dans un des documents distribués à l’occasion on trouve la définition suivante : « La sécurité des droits fonciers se réfère à la possibilité certaine de ne pas être arbitrairement dépourvu de la jouissance de droits fonciers ou des avantages économiques qui en dérivent. Elle comprend à la fois des éléments objectifs (clarté, durée et applicabilité des droits) et des éléments subjectifs (perception des propriétaires terriens de la sécurité de leurs droits). » Ici, il y a quelque temps, avant, tous les récents évènements, le Ministre de l’Agriculture, François Séverin, avait demandé à un groupe de préparer un document sur la politique agricole du pays. Ce Groupe de Travail sur l’Agriculture (GTA) a produit des documents dont l’un sur la sécurité foncière. On y trouve cette définition : La sécurité des droits fonciers en milieu rural se réfère à l’ensemble des conditions qui assurent la stabilité du propriétaire et de l’exploitant sur sa terre. Il s’agit en fait de la certitude que les droits d’une personne seront reconnus par les tiers et protégés en cas de contestation spécifique, de telle sorte qu’elle puisse jouir et profiter paisiblement des avantages sociaux et économiques qui en découlent. Elle renvoie donc à la garantie de pouvoir investir et de bénéficier des fruits de son investissement. En ce sens, la sécurité foncière concerne aussi bien les propriétaires que les détenteurs de droits délégués. Quand nous parlons avec des paysans, nous disons que la sécurité foncière c’est la garantie pour la paysan de pouvoir travailler sa terre « san kè sote », sans avoir à craindre qu’à n’importe quel moment quelqu’un puisse le chasser de la terre. Vendredi mes interlocuteurs m’ont dit que la sécurité foncière était la première condition de la relance de la production agricole ; nous leur demandons maintenant de nous dire comment le problème de la sécurité foncière se pose dans la 1ère Boucassin. |
Odilon |
C’est un des plus grands problèmes que nous ayons. Il n’y a personne qui n’ait un « kè sote » à propos du la portion de terre qu’il travaille. Le plus souvent, les paysans n’ont pas de titre de propriété ; ils ont soit un procès verbal d’arpentage, soit une déclaration de vente, ou un reçu d’un notaire, mais pas de vrai titre de propriété. Il y a aussi une grande quantité de terres de l’Etat. |
Bernard |
Nous reviendrons aux terres de l’Etat, mais ce que tu viens de dire concerne les terres privées, et, comme tu le dis, la plupart des personnes qui pensent être propriétaires ne peuvent en faire la preuve. Il y a à cela plusieurs raisons ; l’une est que l’obtention de ce titre coûte trop cher. La seule personne habilitée à donner ce titre est le notaire ; pour qu’il puisse dresser l’acte, il faut que la terre ait été arpentée, avec autorisation du Doyen du Tribunal Civil. Tout cela coûte très cher, et quand on considère la faible dimension de la plupart des parcelles, il peut arriver que l’acte revient plus cher que la terre qui fait l’objet de l’acte. Une autre cause est l’indivision. A la mort d’un propriétaire, très souvent le partage entre les héritiers n’est pas fait. Et si cela se reproduit sur 2-3 générations, on finit par avoir une centaine de personnes ayant des droits sur une portion de terre. |
Odilon |
C’est aussi un des plus gros problèmes. |
Bernard |
Il y a une loi qui dit qu’on n’est pas obligé de rester dans l’indivision. Si un des héritiers demande le partage, il doit être exécuté ; mais le plus souvent ce n’est pas fait. Autant pour les terres privées ; passons à l’autre cas. |
Odilon |
Il s’agit des terres de l’Etat. Il y une certaine quantité de terres de l’Etat qui étaient aux mains de producteurs de pite ; même après leur mort, ils continuent à payer le fermage. Actuellement des paysans ont investi ces terres et les travaillent, mais ils n’ont aucune sécurité, car à n’importe quel moment la DGI (Direction Générale des Impôts) peut attribuer ces terres à quelqu’un d’autre sans tenir compte de ceux qui les travaillent. Autrement dit, ils sont toujours sur « kè sote ». |
Bernard |
Je vais reprendre sur le point des terres de l’Etat. De même que, pour les terres privées, le personnage clé est le notaire, pour les terres de l’Etat, l’institution clé est la DGI. Le problème avec cette DGI est qu’elle ne respecte pas ses propres règlements. Que venons-nous d’entendre ? une personne a besoin de terre pour faire une production pour l’exportation ; disons de la pite. La DGI lui attribue une certaine quantité de terre pour son exploitation. Mais nous savons que, depuis les années 50, l’exploitation de la pite a pratiquement disparu, le prix de la pite ayant chuté. La plus grande plantation de pite qu’on ait eu en Haïti était la Plantation Dauphin. Avant 1960, elle était déjà fermée, au point que des tas de gens étaient venus accaparer la terre. Dans le Boucassin également on a cessé de faire de la pite. Je dis que la DGI ne respecte pas ses propres règlements ; si quelqu’un avait obtenu une terre en fermage, c’est un contrat qu’il avait avec la DGI : tu me donnes x carreaux de terre sur les-quels je vais faire telle plantation. A partir du moment que cette plantation n’existe plus, le contrat est caduc, et normalement la terre doit revenir à la DGI. Plus grave, si le fermier meurt, les terres de l’Etat ne s’héritant pas, la terre doit revenir à la DGI, qui pourra établir un contrat avec quelqu’un d’autre. Or ce n’est pas ce qui se passe, et pas seulement dans le Boucassin, c’est dans tout le pays que l’on voit des personnes hériter de terres de l’Etat que le défunt avait en fermage. C’est un problème de mentalité. L’individu est fermier de l’Etat, mais il se considère comme propriétaire, sinon de la terre, mais au moins de ce qu’il appelle les « droits et prétentions » et il peut arriver qu’il vende ses « droits et prétentions » à quelqu’un d’autre, ce qui est proprement illégal. On trouve au bureau de la DGI de Cabaret, des terres, et ce ne sont pas de petites étendues … |
Odilon |
… on a un cas de 1.062 hectares … |
Bernard |
… qui sont enregistrées au nom de personnes qui sont mortes depuis 30 ans. Bien sur il y a quelqu’un qui va payer le droit de fermage et qui a cette terre sous son contrôle. Maintenant, il faudrait savoir ce qu’il fait de ces terres. |
Odilon |
On n’en fait rien. |
Bernard |
Bon, à un moment il y a eu de la pite. |
Odilon |
Il y a eu de la pite, puis on n’en a rien fait et on a donné des contrats de métayage à des paysans. |
Bernard |
Tu veux me dire qu’ils ne font plus de pite, mais qu’ils gardent les terres, et, comme elles ne peuvent rester sans être cultivées et qu’il y a des paysans qui veulent travailler, on leur donne des portions en métayage. Ceci est encore une anomalie dans le fonctionnement de la DGI : le sous-fermage n’est pas légal, mais cela se fait partout ; et on connaît des gens, comme dit Maurice Sixto : « pen yo sou kouch, lanmori yo sou gril », ils contrôlent 200, 300, 400 carreaux de terre de l’Etat et ils attendent que les sous-fermiers viennent verser leur du. Et la différence entre le droit de fermage qu’ils payent à la DGI et la rente qu’ils perçoivent de leurs métayers est colossale. |
Canova |
Prenons les gens qui étaient sur la terre ; on a eu Lopez, on a eu Théard, Duvigneau, etc, tous ces gens-là sont morts et toutes ces terres sont restées biens privés d’une personne. Dans l’année 2000, nous APB, nous avons décidé qu’il fallait changer cette situation. Ces terres ne sont pas cultivées, mais si une bête appartenant à un paysan pénètre sur la terre, le grandon prend son fusil et l’abat. C’est ce qui nous a poussés à nous révolter. Ce sont nos grands parents qui occupaient cette terre au départ. L’Etat les a prises dans les années 50 et les a données en fermage à des gens pour planter de la pite. En 73 on a cessé de cultiver la pite, mais l’Etat n’a pas récupéré les terres et elles sont restées au nom de toutes ces personnes qui sont mortes, alors que la Constitution dit que les personnes qui vibent dans les localités ont un droit de préemption sur ces terres. |
Bernard |
« Les habitants des sections communales ont un droit de préemtion pour l’exploitation des terres du domaine privé de l’Etat situées dans leur localité » - article 39. Il y a quelque chose que je voudrais expliquer ; vous le savez, parce que vous le vivez chaque jour, mais les auditeurs ne le savent pas. Tu dis que les terres de l’Etat sont devenues privées ; comment cela se passe-t-il ? c’est très simple. J’ai dit tout à l’heure que la personne sait que la terre qu’il occupe fait partie du domaine privé de l’Etat, mais il pense qu’il possède une chose, ces fameux « droits et prétentions » et il pense qu’il peut vendre ces « droits et prétentions ». Ce qui arrive, et je l’ai vu dans une commune que je ne citerai pas, quelqu’un vend ses « droits et prétentions » et le fait devant un notaire. Le notaire dresse un acte qui est alors considéré comme un acte de vente de la terre, et c’est ainsi que la terre de l’Etat tombe dans le domaine privé. Les notaires qui dressent ce genre d’acte devraient être sanctionnés car ils n’ont pas le droit d’instrumenter sur les terres de l’Etat. En principe, les Commissaires du Gouvernement contrôlent les notaires, mais eux non-plus ne font pas leur travail. Je vais vous dire quelque chose qui est plus grave ; je connais un notaire qui serait citoyen des Etats Unis. Vous voyez comment on poursuit les sénateurs qui ont la double nationalité ; eh bien, ce notaire aurait la double nationalité. Mais je t’avais interrompu, juste pour faciliter la compréhension des auditeurs. |
Canova |
Ce qui me donne des problèmes, quand je réfléchis, je me demande si nous sommes des êtres humains. Il y a une institution qui est placée pour gérer les terres de l’Etat, en l’occurrence la DGI. Actuellement, dans la 1ère section de Boucassin, on voit des quantités de procès verbaux d’arpentage, chaque jour on voit des arpenteurs privés qui font des rafraîchissements de lisières sur des terres de l’Etat, or la loi dit que seuls les arpenteurs de la DGI ont le droit de travailler sur les terres de l’Etat. C’est la cause de nombreux conflits, car les paysans connaissent la nature des terres. Les paysans demandent que l’Etat les sécurise, c’est-à-dire qu’ils puissent récupérer ces terres sur lesquelles on ne fait plus de pite. Il faut que le gouvernement fasse une enquête sérieuse sur la DGI pour identifier ceux qui ont mal géré les biens de l’Etat. Quand le président parle de production nationale, nous y croyons, car nous savons travailler la terre, mais nous avons besoin de terre. On parle de réforme agraire, mais nous sommes déjà sur les terres, nous voulons seulement que notre situation soit régularisée. |
Odilon |
Moi, je crois que l’Etat a peur de la réforme agraire. On en parle chaque jour, mais ce sont des paroles en l’air. |
Bernard |
On n’en parle plus. |
Odilon |
Si l’Etat parle de production nationale et ne touche pas à la question de la terre, je ne vois pas comment on peut arriver à cette production. On parle de tracteurs, d’engrais, etc, mais on ne parle pas de terre ; je ne sais pas où ils vont faire passer ces tracteurs. Canova dit qu’on parle de réforme agraire, mais je crois que le gouvernement a peur d’y toucher. On n’en parle que pour se donner un capital politique. Comme la réforme ne se fera pas, il faut sécuriser les paysans qui sont déjà sur la terre, sinon ce n’est pas la peine de parler de production nationale. Comment veut-on qu’un paysan travaille sur une terre quand il ne sait pas quand on va l’en chasser ? peut-il faire une culture durable ? il ne peut faire que des cultures courtes, 2-3 mois ; il ne peut faire ce reboisement dont on parle tellement. |
Bernard |
Il y a quelque chose que tu as dite l’autre jour, j’aimerais que tu la répètes ici. Tu disais : nous savons ce qui doit être fait. Car la section de Boucassin s’étend du bord de mer jusque dans les mornes des Matheux ; et tu disais que vous savez ce qu’il faut faire pour collecter l’eau, quand il pleut dans les mornes, pour qu’elle puisse servir à arroser les terres qui sont dans les parties basse de la section. J’aimerais que tu détailles cela. |
Odilon |
Ce sont les lacs collinaires. Il faut faire des retenues pour garder cette eau qui se gaspille et va abîmer la route nationale. Ces lacs collinaires ne coûtent pas cher ; nous avons des associations qui comptent de nombreux membres, et la population est prête à porter sa contribution. Mais nous ne pouvons pas faire de gros investissements, parce que nous n’avons pas la sécurité sur la terre. Nous ne demandons rien de plus que cette sécurité. |
Bernard |
C’est ce que je voulais que tu dises parce que cela revient à ce que je lisais tout à l’heure : « la sécurité foncière renvoie à la garantie de pouvoir investir ». Si tu n’as pas la sécurité, tu ne vas pas investir ; tu ne vas pas dépenser de l’argent, si tu sais que tu peux tout perdre à n’importe quel moment. |
Destinvil |
Après 1986, on a vu des gens défricher des terres pour les cultiver ; quand ils sont allés à la DGI pour avoir un contrat d’affermage, on leur a dit que ces terres étaient impropres à l’agriculture. Et maintenant nous voyons la DGI envoyer des gens venant de Port-au-Prince prendre ces terres. Ils arpentent 10, 15, 20 carreaux « pour faire des projets », faisant perdre leurs cultures aux paysans. Nous autres, à l’APB, nous nous demandons ce que l’Etat va faire de cette population. |
Odilon |
Pour aller plus loin, ces gens viennent prendre les terres en culture pour faire des projets ; quels projets ? « planter du béton » ! |
Bernard |
Qu’est-ce que tu appelles « planter du béton » ? |
Odilon |
Eriger des constructions. |
Bernard |
Attends, tu habites dans un de ces projets de béton. |
Odilon |
Oui, d’accord. |
Bernard |
Effectivement, cette même FONHDILAC dont j’ai parlé tout à l’heure, à propos de sa proposition de relance, est engagée dans une campagne contre ces plantations de béton. Moi, c’est une chose qui me dérange depuis longtemps. il y a 6 ou 7 ans un directeur départe-mental de l’INARA avait lancé une campagne ; il avait une affiche qui disait : « bati kay sou tè, ki ka fè manje, se koupe dwèt k’ap bay manje ». Nous en parlons depuis longtemps, mais personne ne nous écoute, et la situation devient de plus en plus grave. Donc ces quatre organisations, dont la FONHDILAC, se sont mises ensemble pour lancer une campagne contre le béton dans les plaines. Je ne sais pas si tu es récemment passé par Léogane pour voir ce qui se passe dans cette plaine. Ce qui se passe chez toi n’est rien comparé à ce qui se passe dans la plaine de Léeogane ; et c’est une plaine pour laquelle tu n’as pas besoin de lacs collinaires, le système d’irrigation est déjà là. |
Canova |
C’est ce que je disais ; chaque fois que nous faisons une analyse, nous nous demandons qui est responsable. Je suis allé en République Dominicaine ; j’ai vu qu’on construisait des maisons dans les hauteurs alors que les plaines étaient réservées à l’agriculture. En Haïti, on construit dans les plaines et on laisse les mornes sans un arbre, sans aucune couverture. Nous avons fait des émissions sur ce sujet, mais à aucun niveau on ne dit quelles sont les conditions à remplir quand on veut construire. |
Bernard |
Mais non, les lois existent, mais on ne les applique pas. Il y a quelque chose qu’on appelle le permis de construire, qu’on doit obtenir de la mairie. |
Canova |
Prenons le cas de cette montagne qui surplombe Port-au-Prince. Il y a une organisation dénommée OPDES, on a la mairie, et voyez dans quel état est le Morne l’Hôpital. |
Bernard |
Tu parles du Morne l’Hôpital, quelle est la dernière fois que tu es allé à Pétionville ? quand tu passes par Bourdon, tu vois ce morne qui est non seulement terre de l’Etat, mais aussi zone réservée. Et pourtant il y a quelqu’un qui a construit un mur de clôture que en couronne la partie supérieure ! |
Canova |
Qui est responsable ? Pour le Boucassin, nous avons deux propositions. Les paysans ont entendu l’appel que le président a lancé le 18 mai à l’Arcahaie : les magistrats doivent chercher toutes les terres de l’Etat dans la plaine. Nous avons déjà fait ce travail. Nous sommes prêts à donner notre apport pour qu’il y ait une augmentation de la production de nourriture, pour diminuer le problème de la faim. Mais nous lui disons que si nous n’avons pas de sécurité sur la terre, nous ne pourrons pas la travailler. Il est temps que l’Etat prenne ses responsabilités. Il y a deux instance : l’INARA et le Ministère des Finances, car il paraît que c’est à lui qu’on a remis cette responsabilité |
Bernard |
Non, il l’a toujours eue, car la DGI est une direction du Ministère des Finances ; mais c’est vrai, et je ne sais pas d’où tu as cette information, que le Ministre des Finances a décidé que tous les dossiers devaient passer par lui. Il a aussi formé un groupe de travail qui doit faire des propositions concernant la gestion des terres de l’Etat. |
Appel |
J’appelle depuis Cabaret. Il y a un grandon dont vous n’avez pas cité le nom, il s’agit de Allen Theophile. |
Bernard |
Nous connaissons cette personne et nous travaillons à trouver une solution dans son cas. Mais je voudrais apporter une précision ; quand on dit que la DGI a un cadastre, on se trompe. La DGI n’a pas de cadastre, elle a des listes de personnes qui sont fermiers de l’Etat ; c’est tout. Quand on parle de cadastre, on parle d’un plan sur lequel sont portées les différentes parcelles. Pour ma part, ce qu’il faudrait faire, c’est établir, section par section, des plans cadastraux avec toutes les parcelles et l’identification pour chaque parcelle de sa superficie, de celui qui l’occupe, et à quel titre. C’est le moyen d’éviter que 900 carreaux de terre soient encore enregistrés au nom d’un fermier qui est mort depuis longtemps. Je ne sais pas ce que nos invités en pensent. |
Canova |
Je suis content d’avoir entendu cet auditeur, mais nous ne sommes pas venus pour accuser telle ou telle personne ; nous voulons défendre les intérêts de tous. Si la personne dont l’auditeur a cité le nom mène des activités qui rendent service à tous, il n’y a pas de problème. Ce que nous demandons, c’est que le gouvernement donne aux instances responsables des affaires terriennes, la DGI, l’INARA, les moyens de faire le travail qu’on attend d’elles. |
Bernard |
Pendant que tu parlais, je pensais à quelque chose. Vous êtes venus avec ce concept de légalisation. Mais avant la légalisation, il faut ce plan, l’identification des parcelles portées sur le plan, l’identification des occupants de ces parcelles et l’identification du titre de l’occupant de chaque parcelle. Tu sais comment on appelle cela ? |
Odilon |
Vérification des titres. |
Bernard |
C’est la vérification des titres de propriété. C’est pour cela qu’on a assassiné l’Empereur. Tu vois depuis quand ce problème se pose ; cela fait plus de 200 ans. |
Odilon |
C’est pour cela qu’il faut la réforme. Quelqu’un ne peut pas occuper une parcelle sans qu’on sache à quel titre il l’occupe. |
Canova |
Pour terminer, nous ne manquerons pas de le dire, si on parle de vérification, c’est l’INARA qui a cette capacité, nous demandons à l’Etat de donner à l’INARA tous les moyens et l’autorité nécessaire à l’accomplissement de cette tâche. |
Bernard |
Quand l’INARA aura reçu ces moyens, il te présentera ses remerciements. Odilon, je ne sais pas si tu veux dire un dernier mot. |
Odilon |
Canova a dit l’essentiel. Je pense que nos demandes ont été entendues. Je dois dire que la situation dont nous avons parlé ne se retrouve pas seulement dans le Boucassin. Il faut que le gouvernement prenne une décision. C’est vrai qu’il n’y a pas encore de premier ministre ; on fait des efforts pour installer cette dame, je souhaite qu’elle se mette un « jupon en acier » pour faire avancer les choses. |
Bernard |
Ce que je connais de cette dame m’incite à dire qu’elle peut être sensibilisée sur ce problème. |
Odilon |
La sensibilisation, c’est bien, mais il faut des actes. |
Bernard |
La sensibilisation est le premier pas. Je vous remercie d’être venus pour faire comprendre au public les problèmes des petits paysans. |
Canova |
Nous te remercions aussi et nous remercions le camarade qui assurait la technique. |
Bernard |
C’est Mackenzie Jules. |
Canova |
Nous le remercions ainsi que tout le personnel de la radio et nous souhaitons que la dame tiendra compte de nos réclamations. |