La compétition pour la terre

 

Nous avons déjà consacré trois articles à la « 1ère Conférence des parties prenantes et acteurs de la filière gwo medsiyen en Haïti » qui s’est tenue les mardi 23 et mercredi 24 juin, au Ritz-Kinam II, à Pétionville.

 

Le premier a tenté de présenter les opportunités qu’offrirait le développement de la filière (voir : Le jatropha, plante miracle ou malédiction ? in : Haïti en Marche, Vol. XXIII, No. 23, du 1er au 7 juillet 2009).

 

Dans le second, nous nous sommes penchés sur les critiques adressées aux bio-carburants en général, qui sont rendus responsables de la crise alimentaire qui a secoué le monde l’année dernière (voir : Le « Plan Lanmò », in : Haïti en Marche, Vol. XXIII, No. 24, du 8 au 14 juillet 2009).

 

Enfin, la semaine dernière, nous avons essayé de voir si l’introduction du jatropha en Haïti pouvait être comparée à celle d’autres cultures (sisal, caoutchouc) qui nous ont été imposées au siècle dernier pour le seul bénéfice des grandes puissances (voir : Encore un coup de l’impérialisme, in : Haïti en Marche, Vol. XXIII, No. 25, du 15 au 21 juillet 2009).

 

Aujourd’hui nous voulons aborder une question qui provoque également la fureur des adversaires de la culture du jatropha, la compétition pour la terre entre cette culture et celle de produits alimentaires. Un des grands arguments des partisans du jatropha est qu’il se contente de terres marginales ; à quoi les opposants répondent qu’il n’existe pas de terres marginales, toute terre peut produire de la nourriture, à condition que l’on prenne les mesures nécessaires.

 

Pour essayer de mettre un peu de raison dans cette polémique, je suis allé chercher les données du MARNDR (Ministère de l’Agriculture, des Ressources Naturelles et du Développement Rural) sur le répartition de la superficie totale du pays selon la vocation de la terre. Le résultat de mes recherches se présente comme suit :

∙          28 % de la superficie totale, soit 770.000 hectares, seraient constitués de plaines et de vallées cultivables, avec des pentes inférieures à 10 % ;

∙          21 % de la superficie totale, soit 605.000 hectares, seraient constitués de plateaux et de montagnes non escarpées, cultivables avec des précautions particulières, compte tenu de leurs pentes qui varient entre 10 et 40 % ;

∙          51 % de la superficie totale, soit 1.400.000 hectares, seraient constitués de montagnes escarpées, avec des pentes de plus de 40 %, et pour cela réservées à la forêt.

 

Voyons maintenant les chiffres qui ont été avancés au cours de la conférence à propos des superficies qu’il faudrait réserver à la culture du jatropha. Ils diffèrent sensiblement. Pour commencer, il faut signaler que la BID (Banque Interaméricaine de Développement) aurait commandité une étude pour identifier les terres sèches ; on serait arrivé au chiffre de 750.000 hectares, mais nous ne savons pas si cela inclut seulement des terres de montagne ou aussi des terres de plaine.

 

M. Almeida, consultant de la BID, celui qui nous encourage à produire de l’huile brute pour les industries des grands pays occidentaux, estime qu’il faudrait 500.000 hectares en jatropha pour que cela en vaille la peine.

 

Gaël Pressoir, du CHIBAS, est, si je puis m’exprimer ainsi, moins gourmand. Partant d’une carte d’utilisation des sols dressée par le CNIGS (Centre National de l’Information Géospatiale), il estime que 500.000 hectares pourraient être plantés en jatropha sans danger. En ce qui concerne la quantité de terre nécessaire, il pense que, avec 240.000 hectares, on peut produire tout le diesel dont Haïti a besoin.

 

Si on retourne aux arguments cités plus haut, on peut admettre qu’il n’y ait pas de terres marginales, dans la mesure où on peut cultiver même des terrains escarpés, mais pas pour des cultures sarclées. Cette photographie que j’ai prise samedi dans les hauteurs de Kenscoff, justement à l’intention de cet article, montre bien ce qu’il ne faut pas faire. Une terre comme celle-là entre certainement dans la catégorie 40 % de pente et plus, et devrait être réservée à la forêt.

 

Mais cela ne fait que déplacer le problème. Quand on parle de forêt, on pense à des arbres fruitiers, à des forêts de bois d’œuvre, mais aussi à des essences purement forestières, je pense à notre pinus occidentalis qu’on est en train de massacrer dans les hauteurs de Massif de la Selle, avec toutes les conséquences dramatiques pour l’environnement. Le problème ne se pose plus comme une compétition entre le jatropha et les cultures vivrières mais entre le jatropha et les essences forestières.

 

La solution, Gaël Pressoir l’a formulée en plusieurs occasions au cours de la conférence, et je l’ai évoquée dans un autre contexte, c’est l’aménagement du territoire et un plan d’utilisation des sols réalisé sur des espaces identifiés dans le plan d’aménagement du territoire. Sans entrer dans les détails, car il s’agit d’un travail auquel je n’ai pas participé, je veux mentionner une proposition de zonage pour une région de montagne, où ont été identifiées les zones qui doivent être réservées à la forêt, les zones où on peut pratiquer l’agriculture et les zones qui pourraient servir à des établissements humains.

 

Ce travail est l’œuvre d’une ONG, mais il est souhaitable qu’il connaisse une large diffusion et serve de modèle, avec toutes les corrections nécessaires, pour l’ensemble du pays.

 

 

Bernard Ethéart

Haïti en Marche, Vol. XXIII, No. 26, du 22 au 28 juillet 2009