Emission du |
27/05/08 |
Thème |
FAG |
Invités |
Emmanuel Louiceus Louis Chadik |
Transcription
Bernard |
Cet après-midi, nous avons deux invités: Emmanuel Louiceus et Louis Chadik, qui nous viennent de Petit Goâve et vont nous parler du Forum Agricole Goâvien. C’est Camille Bissereth, lui aussi de Petit Goâve, qui a popularisé le terme «goâvien» pour désigner la zone de Grand Goâve et Petit Goâve. Mais le Forum Agricole Goâvien, c’est quoi?
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Mano |
Je saisis l’occasion pour saluer tous ceux qui sont sur les périmètres irrigués de Grand Goâve et de Petit Goâve, de l’Arcahaie et partout où il y a des personnes qui utilisent l’eau d’irrigation. Nous sommes heureux de profiter du micro pour parler de cette initiative qu’est le Forum Agricole Goâvien. Comme tu l’as dit, c’est l’agronome Bissereth qui a vulgarisé le terme «goâvien» pour parler de l’espace Grand Goâve - Petit Goâve. Cette région a une série d’éléments en commun, en particulier en ce qui concerne l’irrigation. Il y a quelque temps, l’Etat a engagé une nouvelle politique d’irrigation. Entre 1990 et 2000, on a réhabilité une trentaine de périmètres, et, l’Etat étant mauvais gestionnaire, on a transféré la gestion de ces systèmes à ceux qui utilisent l’eau d’irrigation. On parle de transfert de gestion des systèmes irrigués.
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Bernard |
Je vais compléter pour les auditeurs, car nous avons déjà parlé d’irrigation. Quand tu mentionnes une trentaine de systèmes, c’est le travail d’un projet, qui s’appelait le PPI, qui était financé par le Fonds International pour le Développement de l’Agriculture (FIDA), et dirigé à l’époque par Jean-Robert Jean-Noël, que nous avons eu à ce micro. Pour les auditeurs qui nous suivent régulièrement, nous avons eu une émission, je ne me souviens plus à quelle date, avec l’ingénieur Xavier Isaac qui a assuré l’intérim entre PPI 1 et PPI 2. Il y a donc un projet PPI 2, avec un nouveau responsable, qui est l’agronome Anthony Dessources, que tout le monde connaît, il a été Ministre du Plan. Mais le problème est que l’accord de prêt qui doit permettre le démarrage du PPI 2 n’a pas encore été ratifié par le Parlement.
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Mano |
Quand les systèmes ont été réhabilités, il y a donc eu un transfert de gestion. Je dois dire que cette politique ne se pratique pas seulement en Haïti; nous avons visité la République Dominicaine et nous avons trouvé aussi des transferts de gestion, mais nous avons du nous demander si le transfert dont on parle ici est le même que celui de la République Dominicaine. Nous avions participé à un colloque sur le transfert de gestion organisé par le Groupe de Recherche en Irrigation (GRI) et nous nous sommes dit que, si nous restions les bras croisés, nous serions fautifs. C’est à partir de là que nous avons pensé au Forum, mais il faut dire que le Centre Haïtien pour la Promotion de l’Agriculture et la Protection de l’Environnement (CEHPAPE) avait fait de la formation pour nous dans le cadre du PPI et chaque trois mois nous avions une réunion inter-régionale.
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Bernard |
Je t’arrête tout de suite, car tout le monde ne sait pas ce qu’est le CEHPAPE.
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Mano |
C’est un opérateur qui avait été recruté par le PPI pour faire un travail d’animation.
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Bernard |
Pour les auditeurs, le coordonnateur du CEHPAPE est Camille Bissereth qui est déjà venu plusieurs fois à ce micro. Quand on dit qu’on va faire un transfert de gestion, cela veut dire que la gestion du système va être confiée à quelqu’un d’autre, en l’occurrence les associations d’irrigants. Mais il faut bien que ces associations sachent ce qu’est la gestion du système; il y a donc tout un travail de formation à faire pour que l’association soit effectivement en mesure d’assurer cette gestion. C’est ce que le CEHPAPE avait à faire dans la zone goâvienne.
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Mano |
Constatant qu’il y a des choses qui devront se faire, nous avons décidé de nous réunir et de réfléchir à ce que l’Etat aurait à faire et qu’il ne fait pas. C’est ainsi qu’est né le FAG. Pour que le transfert soit réel, il faudrait résoudre le problème du cadre légal du transfert. Il n’y a pas un document qui définisse le statut légal des associations.
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Bernard |
Tu vas un peu vite. La première chose qu’il faut savoir, c’est que l’eau, en tant que ressource naturelle, est propriété de l’Etat, qui représente la population. Autrement dit, on n’a pas le droit d’aller prendre de l’eau si l’Etat ne l’a pas autorisé. Le deuxième élément est que, un système d’irrigation, quelque soit celui qui en avait financé la construction, reste sous le contrôle de l’Etat. Traditionnellement, et c’était fixé dans le Code Rural, ce contrôle était exercé par un syndic nommé par le Ministère de l’Agriculture. Maintenant le ministère a adopté une politique de transfert de la gestion des systèmes aux usagers du système, les associations d’irrigants. La première association à avoir reçu l’autorisation de gérer son système, à ma connaissance, était celle du canal d’Avezac, dans la plaine des Cayes. Cela remonte au gouvernement de Paul Magloire. Et ce fut renouvelé par le Ministre Flambert sous le gou-vernement de Jean-Claude Duvalier. Puis il y a eu l’Association des Usagers de la Plaine de l’Arcahaie (AIPA). Entre temps, il y avait eu la construction du canal de Croix Fer, mais le ministère l’a tout simplement ignoré. Mais il y a un problème; il faut une loi qui dise voilà comment les systèmes doivent être gérés. Il faut aussi une loi régissant les associations en général et les associations d’irrigants en particulier, de manière à ce qu’elles aient la personnalité civile les habilitant à signer un contrat avec l’Etat. Nous en avons parlé déjà, de même que nous avons parlé des systèmes d’adduction et de distribution d’eau potable, qui sont eux-aussi gérés par des associations. Ce sont des lacunes de la législation haïtienne, que tout le monde connaît, mais qu’aucun gouvernement ne semble vouloir combler, même quand des propositions de loi existent, et il faudra peut-être aborder ce problème dans une émission spéciale.
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Mano |
Maintenant il faut considérer aussi le problème de la décentralisation, il faut assurer la situation foncière et financière des systèmes. Il faut tenir compte de la problématique de l’insécurité foncière qui se retrouve dans tout le pays. Il faut assurer l’accompagnement des associations. Il faut penser à garantir l’autonomie des associations. C’est là un ensemble de points dont on n’a pas tenu compte, ce qui donne l’impression que le transfert n’a pas été bien étudié. C’est à partir de là que nous nous sommes dit qu’il fallait faire une sensibilisation, une responsabilisation des agriculteurs pour qu’ils comprennent ce qu’est le transfert de gestion.
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Appel |
Juste pour apporter une précision. Des consultants venus de France avaient constaté qu’il est incorrect de parler de transfert de gestion, car les irrigants gèrent déjà les systèmes, qu’il valait donc mieux parler de prise en charge de la gestion des périmètres. L’Etat ne transfert pas, il accepte que les irrigants prennent la gestion en charge.
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Bernard |
Tu veux dire: prise en charge formelle, car même quand les usagers assuraient la gestion, formellement il y avait les syndics.
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Mano |
Je crois qu’il faut rester au concept de transfert de gestion. Nous avons recensé 9 systèmes dans la zone; le PPI en a réhabilité 5; il reste encore Diny, Bechab, Arnous et la 2ème Plaine où le PPI n’a pas travaillé. Si on prend Diny, Bechab, Arnous, les paysans assurent la gestion, bien qu’il n’y ait pas eu de contrat. Les paysans ont toujours assumé leurs responsabilités; bien sur, il y avait des faiblesses, et c’est la que le PPI a joué son rôle. On peut parler de responsabilisation.
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Chadik |
En 2007, quand les alluvions ont envahi le système, l’Etat n’a pas honoré son contrat.
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Mano |
On a dit que l’Etat était mauvais gestionnaire, et c’est pour cela que l’on confie la gestion aux associations, il ne faut pas maintenant qu’il soit un mauvais accompagnateur.
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Chadik |
Il y a là un problème avec l’Etat qui ne fait jamais le suivi de ce qu’il a entrepris.
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Mano |
Prenons le cas de Barette. Lors de la tempête de Noël, le système a été bloqué, parce que le tuyau qui amène l’eau et qui passe sous la rivière était obstrué. Ce sont les paysans qui essaient de trouver une solution, et ce depuis décembre, cela fait six mois, alors que selon le contrat, l’Etat est censé appuyer les paysans quand ils font face à un problème qu’ils ne peuvent résoudre. L’Etat est-il en exil? En République Dominicaine, ce n’est pas la même chose. Le Forum est un espace pour débattre de tous ces sujets; cela fait 3 ans qu’il existe, mais ces messieurs du MARNDR n’y participent pas.
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Bernard |
Il y a un élément important que vous n’avez pas mentionné. Quand on parle de gestion, il y a un coût. Pour moi, une des choses clés, c’est la redevance, qui doit assurer qu’on a les moyens d’assurer la gestion et de procéder aux réparations quand c’est nécessaire. Autrefois, l’irrigant payait aux Contributions, qui envoyaient l’argent à Port-au-Prince, et quand on avait besoin d’argent pour des réparations, il n’y en avait pas. Donc pour moi, un des aspects clés de la prise en charge, c’est que l’association perçoive le redevance, la garde, et l’utilise soit pour la gestion quotidienne, soit pour les travaux de curage, de réparation etc. et je crois que, dans les diagnostics des 70 périmètres réalisés dans le cadre du PATRAI dont Alain était venu parler ici, une des questions clés était la perception et l’utilisation de la redevance. Mais pour revenir au Forum, si j’ai bien compris, c’est un moyen de vous réunir pour faire pression sur l’Etat afin qu’il prenne ses responsabilités.
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Mano |
Le mot responsabilité est le mot-clé. Si le paysan prend ses responsabilités et que l’Etat ne le fait pas, cela ne marchera pas. Ce que nous faisons actuellement au niveau du Forum, le PPI payait pour cela autrefois; c’est ce que faisaient le CEHPAPE et les autres OPS. Nous avons donc pris nos responsabilités, à l’Etat d’en faire autant. Le 20 janvier 2003, les contrats de prise en charge ont été signés avec 5 associations. Depuis lors, il n’y a jamais eu une rencontre pour faire une évaluation. Il y a un manque de volonté, une irresponsabilité, de la part du Ministère, et c’est le rôle du Forum de soulever cette question. Nous n’avons pas de solution, mis on nous a appris que, quand un problème est bien posé, il est à moitié résolu.
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Bernard |
Tu as mentionné la SOPEA, qu’est-ce que c’est?
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Mano |
C’est la Société des Petits Entrepreneurs Agricoles. Elle a pris naissance alors que le PPI parlait de prise en charge, de responsabilisation, et le PPI nous a aidé à la monter. L’expérience nous a montré que le choix d’appuyer la SOPEA était une semence pour que le travail de formation des associations n’ait pas été vain. Au départ, l’objectif de la SOPEA était d’aider les associations d’irrigants à trouver des intrants. Mais nous avons posé toute une série de problèmes, par exemple les relations entre les associations du haut et du bas bassin versant. Du temps du PPI, on avait organisé une série de forums partiels, avec FAG, nous voulons réunir tout le monde pour voir quel partenariat peut se dégager.
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Bernard |
Juste pour compléter ce que tu as dit. Le système d’irrigation est dans la plaine, il utilise une eau qui vient des mornes; si celui qui vit dans les mornes ne fait rien en terme de conservation du sol, d’aménagement du bassin versant, etc, il n’y aura plus d’eau. Il y a donc un lien entre les deux populations de la plaine et des mornes; il y a donc nécessité de dialogue entre les deux.
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Chadik |
C’est un problème surtout au niveau de Dlo Pity et de Barette. Mais c’est l’Etat qui a la solution.
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Mano |
Une solution que nous avions proposée, c’est que dans les projets à venir, il y ait un volet pour les bassins versants.
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Bernard |
Je dois te dire que, là où le PPI 2 va intervenir, le bassin versant est très éloigné et très vaste. Je n’ai pas encore lu le document de projet et je ne peux pas te dire s’ils ont tenu compte de votre proposition.
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Mano |
L’objectif général du FAG est le renforcement des associations d’irrigants; dans les objectifs spécifiques, on parle de statut légal des associations, du cadre légal du transfert, des relations entre haut et bas bassin versant, du regroupement des associations d’irrigants dans une association régionale forte, et d’une fédération nationale des associations d’irrigants, de la promotion d’une agriculture d’entreprise, des constructions sur les terres agricoles, des nouvelles techniques d’information et de communication. Il y a le cas de la 2ème Plaine, où on se demande si l’Etat a vraiment l’intention de faire marcher le système, bien que cela semble intéresser le chef de l’Etat. Nous pensons également qu’il faut une liaison avec le MARNDR. On a mis une chose en place qui s’appelle le BAC (Bureau Agricole Communal), mais nous nous posons des questions; par exemple, nous organisons ce forum, mais le BAC le boude. Et il faut s’occuper du problème de l’insécurité foncière. Nous voulons mobiliser les agents de crédit, car il n’y a pas grand monde intéressé à investir dans l’agriculture.
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Bernard |
Il n’y en a pas du tout.
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Mano |
Je viens de lire un document où il est dit que ce qui a provoque les émeutes de la faim est lié aux faibles résultats de la dernière saison. Mais il ne faut pas oublier que nous avons pris l’habitude de consommer des aliments importés. Quand leurs producteurs décident de ne plus les exporter, ou que leurs prix augmentent, c’est la panique.
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Chadik |
Il faut une loi qui régisse la gestion des systèmes. Nous ne produisons pas suffisamment pour nourrir la population, mais l’Etat n’encourage pas l’agriculture: approvisionnement en semences qui ne se fait pas à temps, pas de crédit.
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Bernard |
Tu parles de l’approche hexagonale. Tu te souviens que quand j’étais chez vous le 18 mai, je disais que je voulais analyser votre plan quinquennal, année par année avec cette fameuse approche. Je n’ai pas eu beaucoup de temps et je ne l’ai fait que pour les 2 premières années, mais cela m’a permis de constater là où il y avait des vides. Par exemple, vous n’avez presque rien sur l’environnement.
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Mano |
2008-2009 c’est pour le renforcement de la structure du FAG, l’implication des acteurs locaux. Il y a une chose que nous avons apprise à Croix Fer; on nous a dit que chaque week end tous les acteurs se réunissaient pour faire un diagnostic.
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Bernard |
Ce n’était pas chaque week end, c’était une fois par mois, de grandes réunions, très animées, et pour moi c’était important car c’est là que les gens pouvaient s’exprimer.
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Mano |
Nous prévoyons de faire la même chose. Nous voulons travailler à la constitution d’une banque de données, à l’évaluation du travail des associations d’irrigants, lancer les débats sur la fédération des associations d’irrigants, bilan et évaluation des 2 années du FAG, organisation d’ateliers. 2009: implantation d’une ferme agricole expérimentale communautaire.
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Bernard |
Qu’est-ce que c’est?
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Mano |
Un espace où on peut voir la mise en application des changements qu’on nous propose. On a vu cela en République Dominicaine.
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Chadik |
On ne peut pas agir si on n’a pas vu.
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Bernard |
C’est une ferme qui a une fonction éducative; autrefois on avait les jardins de démonstration; c’est la même idée.
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Mano |
Oui, mais en plus large, plus structuré, plus formel.
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Bernard |
Et qui sera responsable?
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Mano |
Une association peut le faire, si elle en a les moyens. Dans la plaine de l’Arcahaie. L’Agence Française de Développement avait donné un fonds à l’AIPA pour qu’elle ne soit pas totalement dépourvue de moyens pour faire ses premiers pas. Cela ne s’est pas fait ici. La ferme permettra de faire l’éducation agricole des enfants. Dans la zone goâvienne, le PPI a laissé quelque chose; par exemple les jeunes qui sont rentrés dans l’agriculture avec la production de piment. Nous nous proposons, à partir de l’année prochaine, d’honorer des personnalités, par exemple, un père de famille, qui a fait l’éducation de ses enfants, qui sont devenus des agronomes, des ingénieurs, des médecins. Nous prévoyons d’honorer des jeunes qui ne se sont pas laissé entraîner par la situation du pays, qui ont choisi de faire de l’agriculture. 2009-2010: organisation d’ateliers sur les thèmes agriculture, crédit et banque. Nous avons déjà des contacts avec un économiste, un vulgarisateur, qui a manifesté de l’intérêt pour travailler avec nous; organisation d’ateliers sur le transfert de gestion, fédération régionale des associations d’irrigants; un comité mixte pour les bassins versants, haut et bas.
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Appel |
2 remarques: - est-ce que le FAG se retrouve dans cette affaire de relance de la production? - le coût est-il évalué? - le financement?
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Mano |
Pour la relance, nous parlons de production agricole nationale; tout notre programme a pour objectif de faire la production agricole devenir une réalité. Le budget se chiffre à 600.000 G Pour les sources de financement, nous avons soumis le document à plusieurs institutions. Le forum devra être actif tout au long de l’année parce que les gens ne veulent pas se contenter d’un atelier annuel. A propos de la relance, il y a des expériences faites durant le premier mandat du président Préval que nous n’aimerions pas voir se renouveler, comme ces distributions de tracteurs à des organisations plus politiques qu’autre chose. Si on avait un centre d’équipement agricole comme le CNE, ce serait une bonne chose.
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Bernard |
Nous devons mettre fin a la conversation, mais il va falloir se revoir avant longtemps. |