Plantation ou Jardin ?

 

Les quelques pages qui vont suivre sont un essai d’explication de la situation du paysan haïtien à l’intérieur de la structure agraire et de compréhension de la lutte qu’il a mené au cours de l’histoire pour améliorer cette situation, dans le sens de ce qui est pour lui son intérêt.

 

I.        Les Types d’Agriculture

 

Pour bien comprendre la structure agraire, nous allons proposer un cadre d’analyse, en définissent deux types d’agriculture - ces types devant être compris dans le sens de « type idéal ».

Ces types peuvent être définis à partir des quatre facteurs de production, qui sont :

·         terre

·         capital

·         travail

·         débouché

 

A.     Terre

 

Pour ce facteur, ce qui nous intéresse ici, c’est la tenure de la terre. Sur le plan de la taille, deux types d’exploitations agricoles s’opposent : le latifundia et le minifundia. Le latifundia, c’est la grande propriété, qui peut s’étendre (dans certains pays d’Amérique Latine) sur plusieurs milliers d’hectares. A l’opposé, le minifundia, c’est la toute petite exploitation.

 

En Haïti, nous utilisons, pour désigner ces deux types, les termes de : plantation et jardin.

 

B.     Capital

 

Il existe un rapport direct entre la dimension de l’exploitation et le volume du capital. Ceci s’explique aisément, quand on sait que le capital n’est autre chose que l’épargne réinvestie, que l’épargne à son tour n’est que la partie du revenu qui n’a pas été consommée, et que le volume du revenu dépend de l’importance de l’exploitation.

 

On comprend donc que les grandes exploitations, les plantations, puisent avoir un fort apport de capital ; le chiffre d’affaires de telle exploitations permet donc l’emploi des procédés les plus modernes pour accroître le rendement de la terre : irrigation, fertilisation, élimination de parasites de toutes sortes ; de plus, la dimension des unités de production, et le fait qu’on n’y cultive qu’un seul produit, permettent le mécanisation du travail ; aussi cette économie de plantation est-elle caractérisée par l’utilisation d’un matériel parfois très perfectionné.

 

Par contre, en économie de jardin, le revenu du paysan est, la plupart du temps, bien trop faible pour lui permettre les investissements que représentent l’installation d’un système d’irrigation, l’achat d’engrais et des pesticides ; de plus l’exiguïté de la parcelle exclue l’utilisation d’un matériel lourd ; l’outillage reste donc très rudimentaire, en économie de jardin.

 

C.     Travail

 

Pour analyser ce troisième facteur, il faut tout d’abord tenir compte de ses relations avec les deux facteurs précédemment cité : terre et capital, tout en le considérant sous les deux aspects : quantitatif et qualificatif.

 

1.     terre et travail

 

Il existe une relation directe entre le volume de la main-d’œuvre et la dimension de l’exploitation agricole. Ceci est simplement logique : plus il y a de terre à cultiver, plus on a besoins de bras pour exécuter le travail. Une très petite exploitation, par contre, nécessite très peu de main-d’œuvre. Ceci pour l’aspect quantitatif.

 

Pour ce qui est de l’aspect qualitatif, le grand volume de main-d’œuvre nécessaire à l’exploitation de la plantation conduit nécessairement à une organisation plus ou moins stricte de cette main-d’œuvre, à une répartition des tâches, allant jusqu'à une sorte de spécialisation ; alors que les quelques personnes travaillant un jardin sont appelées presqu’indistinctement à accomplir toutes les tâches qui se présentent.

 

2.     capital et travail

 

Pour l’aspect quantitatif, il existe entre ces deux facteurs une relation inverse : plus une entreprise est capitalisée, moins elle utilise de main-d’œuvre, par contre, moins une entreprise possède de machines, plus elle a besoin de bras.

 

Il y a, par contre, une relation directe entre le niveau de capitalisation et la qualité de la main-d’œuvre. En effet, plus les opérations à effecteur sont mécanisées, plus elles exigent une main-d’œuvre qualifiée et spécialisée.

 

D.     Débouché

 

Il existe également une relation ente la dimension de l’exploitation (facteur terre) et le débouché.

 

En effet, du fait de l’exiguïté de sa terre, le minifundiste consomme la plus grande partie de ce qu’il produit - soit directement, soit après échange. Pour ce qui est des échanges, ils ont du reste tendance à être assez réduits du fait de la pratique de la production ne soit perdue si une culture était détruite par suite d’intempéries ou autrement.

 

Le latifundiste, par contre, du fait du volume de sa production, du fait aussi qu’il pratique la monoculture - l’utilisation de techniques perfectionnées lui permettant plus facilement de parer aux aléas de la production - commercialise pratiquement la totalité de sa production.

 

Le minifundiste tend donc à l’autosubsistance, alors que le latifundiste produit pour les grands réseaux de commercialisation.

 

En Haïti, nous avons deux termes pour désigner ces deux types de production :

·         nous parlons de vivres pour ce que produit le minifundiste dans son jardin,

·         et de denrées pour ce que produit la latifundiste sur la plantation.

 

En résumé, les deux types d’agriculture se définiraient ainsi :

·         nous avons d’une part la polyculture vivrière,

pratiquée sur un petit jardin,

avec peu de capital,

une main-d’oeuvre peu nombreuse, peu spécialisée,

tendant à l’autosuffisance ;

·         d’autre part, la monoculture de denrées,

pratiquée sur des plantations,

avec un fort apport de capital,

une main-d’œuvre abondante, spécialisée plus ou moins hautement qualifiée,

en vue de la commercialisation ;

ce qui peut se résumer en un tableau (v. page suivante).

 

Type d’Agriculture

Polyculture Vivrière

Monoculture de Denrées

Terre

jardin

plantation

Capital

faible

important

Travail

faible quantité

peu spécialisé

peu qualifié

important

plus spécialisé

plus qualifié

Débouché

autosuffisance

commercialisation

Produit

vivres

denrées

 

II.       Les deux Etapes Historiques

 

L’histoire de la structure agraire serait marquée par la prédominance de l’un ou l’autre de ces deux types que nous venons de décrire.

 

A.     Période coloniale

 

Pour suivre l’évolution de la structure agraire, il nous faut, évidemment, commencer par la période coloniale, car c’est elle qui contient les germes de tout ce qui va suivre. La structure de cette période est caractérisée par la prédominance de la monoculture de denrées.

 

Il n’est pas nécessaire de trop insister là-dessus, tout le monde connaît l’importance de la production de sucre et de café de la Colonie de St. Domingue, production qui est pratiquée sur de grandes plantations. Rappelons simplement la description de Pierre Léon :

            « ... une activité commercialisée, faite exclusivement en vue d’exportations massives, de la vente sur les marchés français et européens, concentrée sur un petit nombre de productions rares et de haut prix, essentiellement spéculative, hautement capitalisée. A cette agriculture « coloniale » était liée étroitement une très importante industrie, fondée sur l’élaboration plus ou moins poussée des produits du sol mais qui, elle aussi, revêtait, dès l’origine, un caractère capitaliste, s’appuyant sur une main-d’œuvre spécialisée, et surtout sur un matériel qu’un fort capital circulant. Moulins à indigo, moulins à café, mais surtout moulins à sucre qui permettaient d’exporter le sucre semi-raffiné, ainsi que les tafias, et qui permettaient aux planteurs de substantielles ressources, en même temps qu’ils faisaient d’eux autant des industriels que de grands agriculteurs. » [i]

 

Cependant, à côté de cette activité agro-industrielle fondée sur la plantation, il existait parallèlement une petite agriculture de subsistance sur les « places à vivres »  . Il s’agit de petits lopins de terre que le propriétaire laissait à la disposition de l’esclave, et sur lesquels ce dernier pouvait cultiver ce qu’il voulait, pour sa propre subsistance, et même, éventuellement, pour la commercialisation.

 

Signalons que ce n’est pas là une pratique exceptionnelle. Ainsi , Paul Moral signale que « la loi du 20 Avril 1807 prend soin de reconnaître aux cultivateurs » (il s’agit de ceux que l’on faisait travailler sur les plantations coloniales que l’on était arrivée à maintenir ou à reconstruire) « la jouissance de places à vivres reparties équitablement entre chaque famille... » [ii]

 

Pour ma part, il m’est arrivé de constater le fait suivant sur une plantation de la Plaine du Cul-de-Sac. Le propriétaire avait laissé une portion de terre à la disposition de ses ouvriers agricoles. Une partie de ce terrain était divisée en lotissements sur lesquels les ouvriers agricoles construisaient leurs maisons individuel ; ils y faisaient pousser des légumes et, particulièrement, des aubergines et des piments, qu’ils allaient vendre à la Croix-des-Bouquets.

 

Pour prendre un exemple hors d’Haïti, je crois savoir qu’il était  aussi une pratique courante chez les latifundistes latino-américains de laisser à leurs peones la jouissance d’un petit jardin individuel.

 

Enfin, je crois également savoir que même sur les grandes fermes collectives de l’Union Soviétique, il existe de ces jardins individuels, lesquels se caractérisent du reste par le fait qu’ils sont souvent mieux cultivés que la ferme collective elle-même.

 

Il semblerait donc que, chaque fois qu’on a une grande masse de main-d’œuvre concentrée sur une plantation, la tendance sit de laisser une portion de la terre à la disposition de cette main-d’œuvre, ceci probablement dans le but de diminuer la rémunération que l’on devrait lui verser.

 

Cependant, cette pratique, qui pourrait paraître avantageuse au propriétaire de la plantation, contient les germes d’un conflit. Reprenons le cas de l’esclave de St. Domingue. Ce petit lopin de terre qu’on lui laisse, si réduit soit-il, représente son jardin, qu’il cultive comme il veut, et dont le produit lui appartient. Si un jour il se trouve devant le choix entre l’exploitation de ce lopin de terre et le travail sur la plantation, travail qu’il exécute sous les ordres de quelqu’un d’autre et au profit de quelqu’un d’autre, on voit tout de suite où ira sa préférence. Et c’est à peu près un choix pareil qui s’est offert à lui au moment de l’affranchissement général.

 

B.     Début du conflit

 

« La proclamation de la liberté générale par le Commissaire Civil Sonthonax (29 Août 1793) est à l’origine d’un malentendu fondamental qui persistera un demi - siècle » quel sens attribuer à la libération civique alors que subsistent les fondements anciens de la société ? Comment concilier l’affranchissement général avec le maintien d’un système d’exploitation basé sur le travail servile ? »

 

Ce passage de Paul Moral [iii] annonce bien la situation de conflit qui se présente au moment de l’affranchissement général. Voyons un peu quels sont les protagonistes de ce conflit.

 

Il y a bien sûr les nouveaux libres, pour qui l’abolition de l’esclavage signifie qu’ils peuvent enfin cultiver leur propre jardin, en tant que cultivateurs indépendants, et qu’ils ne sont plus astreints à travailler sur les terres de quelqu’un d’autre, sous les ordres de quelqu’un d’autre, au profit de quelqu’un d’autre.

 

Une telle attitude se retrouve même dans des situations où les conditions ne sont pas absolument identiques. Ainsi à l’Ile Maurice et dans les Antilles Françaises, alors  que l’abolition de l’esclavage ne coïncidait pas avec une période révolutionnaire devant aboutir à l’Indépendance, les nouveaux libres ont également refusé de continuer à travailler sur les plantations, même comme ouvriers salariés, et il a fallu, pour éviter l’effondrement de l’économie, faire appel à une nouvelle masse de main-d’œuvre, en l’occurrence des Indiens et des Pakistanais.

 

En face des nouveaux libres, il y a l’Etat, l’Administration de la Colonie, puis celle de la République, de l’Empire ou du Royaume du Nord, qui sait bien que toute l’économie du pays repose sur la bonne marche des plantations et qui va produire toute une législation visant à conserver la structure agraire initiale :

 

·          Règlement relatif à la culture du 12 Octobre 1800 [iv]

·          Constitution du 2 Juillet 1801 [v]

·          Arrêté du 24 Novembre 1801 [vi]

·          Loi du 20 Avril 1807 [vii]

 

Deux points retiennent particulièrement l’attention des législateurs, deux facteurs de production, qui doivent être garantis à tout prix pour que le système continue de fonctionner :

 

la terre

il faut assurer le maintien des plantations aussi l’arrêté du 7 Mai 1801 interdit-il formellement aux notaires de passer des actes de ventes de moins de 50 carreaux [viii]

le travail

il faut assurer à ces plantations la main-d’œuvre nécessaire ;

ici on se rappellera toutes les mesures que l’on désigne sous le terme de    « caporalisme agraire » ;

on se rappellera également les tentatives de faire appel, comme à l’Ile Maurice ou aux Antilles Françaises, à une nouvelle masse de main-d’œuvre, en l’occurrence des Africains ou des Noirs Américains [ix]

 

A côté de l’Etat, les anciens et nouveaux propriétaires de plantations ont, eux aussi, évidemment, tout intérêt à voir le maintien d’une structure agraire caractérisée par la prédominance de la monoculture de denrées.

 

Revenons à Paul Moral, qui, en deux ou trois occasions, trouve des termes qui décrivent assez bien les positions des uns et des autres, ainsi quand il parle d’une « ... opposition entre les principaux héritiers de la succession coloniale, préoccupés de la production des denrées commerciales... et la petite paysannerie, désireuse d’accéder à la propriété individuelle, surtout vivrière... » [x]

 

Plus loin, à propos de la présidence de Boyer, il dit : « Pendant vingt ans se développe une lutte sourde entre les grands domaniers et la paysannerie indépendante, entre l’exploitation de type portionnaire et le faire-valoir individuel. Le divorce s’accentue entre les nécessités de la culture des denrées commerciales et l’expansion de la petite tenure familiale. » [xi]

 

Ce que nous avons appris à connaître comme « l’affaire Moise » serait, selon René A. Saint Louis, une illustration de ce conflit. Il écrit, en effet, parlant de la Constitution de 1801 ; Cette Constitution étant l’expression réelle du jeu des classes en présence, accorde la priorité à l’économique sur les problèmes politiques. Ainsi, préconise-t-elle un régime agraire qui, s’il n’était pas le servage, le rappelait par certains côtés. La discipline est exigée dans les plantations avec tout ce qu’elle pouvait comporter de sévérité, les moyens de répression corporelle étant même tolérés. Une telle politique devait fatalement être très mal acceptée des officiers de Louverture, qui, ne voyant pas assez loin dans la perspective politique, vont jusqu'à dire qu’elle avait été faite pour favoriser les planteurs. De là chez les nouveaux libres, un fort courant qui réclame la propriété du sol et le droit de travailler pour leur compte. Un des principaux officiers de Louverture, Moise, en fut le leader, et édifia une conception d’indépendance qui diffère totalement de celle de son chef. ... Alors que ls Constitution établissait la grande propriété (...), Moise, partisan de la petite propriété, réclamait le partage des grandes plantations en lots aux cultivateurs, à la pensée que la notion de propriété était liée à celle de la citoyenneté. La propriété est à ses yeux un attribut essentiel de cette liberté nouvellement conquise. » [xii]

 

C.    Stabilisation ... ?

 

Vers la fin du XIXe siècle, le conflit semble se solder par la victoire du petit paysan. Moral parle du « ... petit exploitant qui achève de conquérir, en dépit de toutes les résistances, son autonomie, en somme sa liberté. Partout, en dehors des plaines, la tenure individuelle l’a emporté sur le grand domaine .» [xiii] Un peu plus loin il décrit le paysan haïtien comme « ayant conquis patiemment  son droit à la possession et à la jouissance paisible de la terre familiale.... » [xiv]

 

Cette victoire paraît d’autant plus complète que même la production de la principale denrée d’exportation, le café, se fait, pour la plus grande partie, sur de petites plantations familiales.

 

Pourtant cette victoire nést qu’apparente. En effet, si la bourgeoisie et son allié naturel, l’Etat, ont abandonné la production [1], ils n’en exploitent pas moins le petit paysan, grâce au contrôle qu’ils exercent sut les réseaux de commercialisation :

·         la grosse bourgeoisie exportatrice et l’Etat prélèvent leur part au moment de l’exportation du café ;

·         la petite bourgeoisie prélève également sa part en servant d’intermédiaire entre le producteur de café et l’exportateur et en chargeant de l’acheminement, vers les gros marchés urbains, de la part de la production vivrière que le paysan commercialise ;

·         enfin tout ce beau monde s’assure également de solides revenus en se chargeant d’acheminer, vers les marchés ruraux, les produits manufacturés venus de l’étrange

 

Mais il y a plus grave : le principe même de la propriété individuelle porte en lui-même le germe de sa destruction. En effet, il a pour conséquence logique le partage, à chaque génération, du domaine familial entre les héritiers. Ceci conduit, sous l’effet de la pression démographique, à une atomisation de la terre, que se traduit dans le fait que actuellement 71% des exploitations agricoles ont une superficie de 1 hectare ou moins. [xv]

 

Le conflit prend alors une autre tournure. Le petit paysan n’a plus à rejeter le travail sur les plantations, mais il remet en question une denrée (le café) dont la production, certes, est faite sur des jardins individuels, mais dont le mode de commercialisation est tel, qu’il se voit confisquer une bonne partie de ses revenus et qu’il a peu de moyens d’en contrôler les fluctuations de prix.

 

Certes, il n’arrachera pas les plants de café qu’il a déjà, mais si une catastrophe naturelle détruit les plantations de café d’une région, celles-ci ne sont pas reconstituées. Ainsi, il m’a été donné de parcourir de vastes zones dont on m’a dit que « avant Flora », elles étaient couvertes de caféiers, et où l’on pouvait voir encore des « usines de café » - usines désaffectées, ca au moment de ma visite, tout était planté en mais.

 

On peut même se demander si, à la limite, le peu de soins que le paysan accorde à ses plantations de café, et qui est mis sur le compte de son ignorance, voire de sa paresse, n’est pas un indice de sa désaffectation à l’égard d’une denrée qui le déçoit.

 

Une telle attitude, en tout cas, n’est pas faite pour plaire aux spéculateurs et exportateurs, ni du reste à l’Etat, car la baisse, tant qualitative que quantitative, de la production caféière nationale représente pour eux un sérieux manque à gagner.

 

Depuis quelque temps, deux programme, l’un d’initiative privée, l’autre gouvernemental, avec aide extérieure, tentent de populariser la régénération des plantations caféières existantes et l’extension des superficies plantées en café. Je ne dispose d’aucun moyen de juger des résultats déjà obtenus ou d’augurer des résultats futurs, je voudrais cependant citer cette réflexion d’un paysan de la région de Fonds-des-Nègres qui m’a été rapportée. « On me dit de planter du café ; je veux bien. L’an dernier le café avait fait un bon prix et j’avais pu tirer quelque chose. Mais voilà que cette année le café ne fait pas prix. Que vais-je faire de mon café ? Je ne peux pas le manger. »

 

L’alternative reste donc essentiellement la même pour le petit paysan : produire des denrées, dont la vente profitera surtout à la bourgeoisie d’affaires, ou produire des vivres, et en premier lieu, pour soi-même. Et le choix qu’il a tendance à faire est dans la logique du combat qu’il amené pour conquérir le jardin familial.

 

III.      L’Avenir

 

Cependant l’agriculture haïtienne est en crise. La production n’arrive pas à suffire à la demande alimentaire. Il est certain que l’on arriverait à augmenter le rendement de cette agriculture en modernisant les techniques culturales, mais la généralisation des jardins ne permet pas cette modernisation. Le revenu du petit paysan est trop faible pour lui permettre d’investir et le confine dans un travail routinier à faible rendement.

 

Aussi y a-t-il de bons esprits pour proposer de regrouper les terres, éventuellement sous forme de fermes d’Etat, permettant ainsi de faire les investissements nécessaires et d’organiser le travail de manière plus rationnelle.

 

Pour ma part, je ne pense pas que ce soit la solution. Je pense au contraire que le paysan a fait chois qu’il faut respecter ; je crains qu’en lui enlevant ce qu’il a conquis, on ne fasse qu’alimenter un nouveau conflit, d’autant que par une politique cohérente il est tout fait possible d’augmenter le rendement de l’agriculture en respectant la structure actuelle.

 

On peut, par une politique de crédit judicieuse, permettre aux paysans de disposer du capital nécessaire. On peut, en organisant la paysannerie, la mener à adopter des méthodes de travail plus rationnelles. Et ceci ne signifie pas un abandon de la production de denrées, car en réorganisant la commercialisation, on peut rendre celles-ci intéressantes pour le petit producteur. On peut, enfin, en créant des emplois, non seulement dans les villes, mains aussi, et peut-être surtout, dans les campagnes, diminuer la pression démographique sur la terre cultivable et aussi non seulement arrêter le processus d’atomisation de la terre, mais même renverser le mouvement. Il suffit de vouloir.

 

 

Conjonction,

No. 145-146, Novembre 1979

 



[1] Ceci n’est vrai que partiellement ; en effet, 1) la conquête de la tenure indivuduelle ne s’est pas étendue aux plaines ; 2) à partir des années 80, la bourgeoisie va s’intéresser de nouveau à la production de denrées ; 3) dúne manière générale, la bourgeoisie est toujours prête à acquérir des biens fonciers, même quand ils ne sont pas directement productifs.

 

 



[i] In : Marchands et spéculateurs dauphinois dans le monde antillais du XVIIIe siècle : Les Dolle et les Raby, Paris, 1963, pp.21-22 ; cité par François Girod : La vie quotidienne de la société créole (St Domingue au  XVIIIe siècle), Paris, 1972, p.38

[ii] Paul Moral : Le Paysan Haïtien, Paris, 1961, p.33

[iii] Paul Moral, op. cit., p.12

[iv] id., pp.17-18

[v] ibid.

[vi] ibid.

[vii] id., p.32

[viii] id., p.21

[ix] id., p.39

[x] id., pp.32-33

[xi] id., p.34

[xii] René-A. St Louis : La présociologie haïtienne, Ottawa, 1970, pp.44-46

[xiii] Paul Moral, op.cit., p.55

[xiv] id., p.57

[xv] Institut Haïtien de Statistiques : Résultats préliminaires du Recensement Général (Septembre 1971), Port-au-Prince, 1973