Emission du |
21/10/08 |
Thème |
Le Programme d’Informations Territoriales pour le Développement durable (PITDD) |
Invitée |
Gina Porcena Meneus |
Transcription
Bernard |
La semaine dernière, nous avions une émission sur les bassins versants avec Alain Thermil ; cette semaine, nous allons encore parler de bassins versants avec Mme Gina Porcena Meneus. Au départ, Gina est géographe. Elle a été responsable de l’Unité de Télédétection et de Systèmes d’Informations Géospatiales (UTSIG) au Ministère du Plan ; maintenant elle est responsable du Centre National d’Informations Géo-Spatiales (CNIGS), toujours au Ministère du Plan, et, à ce titre, elle est responsable du Programme d’Informations Territoriales pour le Développement durable (PITDD). Gina, explique nous de quoi il s’agit. |
Gina |
Le CNIGS est un organisme public autonome, créé en 2006, après tout un processus qui avait commencé 10 ans auparavant. L’idée est sortie d’un besoin identifié après un diagnostic du secteur qui s’occupe de cartes pour représenter le territoire du pays. Nous avions constaté que ce secteur était complètement dysfonctionnel. Il y avait un organisme, le Service de Géodésie et de Cartographie, qui, au départ, dépendait de l’armée, comme dans la plupart des pays d’Amérique, et qui avait bénéficié de l’apport d’experts cartographes, des militaires US, dans les années 40-50, pour faire le premier jeu de cartes, car autrefois, la cartographie était un outil plus d’ordre stratégique, militaire. |
Bernard |
Oui, ce sont les militaires qui ont besoin de cartes pour savoir par où ils vont passer avec leurs troupes. |
Gina |
Nous avons pensé qu’il était important qu’Haïti fasse une vraie réforme pour avoir la capacité institutionnelle d’utiliser les nouveaux outils, car on ne fait plus les cartes de la même façon. De même que tu vois une série de petits métiers se servir de plus en plus de l’informatique, de même pour la cartographie, on utilisait règles, papier et autres instruments, le domaine a beaucoup évolué et on utilise toutes les avancées de l’informatique. Nous étions en dehors de ce processus, et la première initiative a été de faire des recommandations concernant notre capacité institutionnelle : remembrer le secteur, créer un organisme plus apte à faire le travail. Le processus a été long ; en Haïti, il est difficile de faire des changements ; on s’acroche à des structures, même quand elles ne fonctionnent pas. |
Bernard |
Surtout que ce que vous ameniez est tellement révolutionnaire et scientifique. Il y a une chose que je voulais que tu dises et sur laquelle je voulais insister, c’est l’utilisation des satellites. Je pense à ce point géo-référencé que seul le Service de Géodésie pouvait donner. Je veux faire une comparaison pour que l’auditeur comprenne bien. Prenons la profession d’arpenteur, auquel on fait appel quand on veut mesurer un terrain. Pour faire son travail, il doit parcourir le terrain pour fermer le polygone, après quoi il calcule la surface. Cela prend des jours. Actuellement, je le sais parce que je le vois à l’INARA, les ingénieurs viennent avec un appareil, qu’on appelle le GPS, un outil électronique qui est en contact avec le satellite ; il parcourt le périmètre en cliquant sur l’appareil ; le satellite lui donne les positions. Le tout est enregistré dans l’appareil puis chargé sur un ordinateur qui sort le plan. |
Gina |
Et tu peux mettre le plan sur une carte. |
Bernard |
Je me souviens de l’ingénieur Baudin me disant : ce que les arpenteurs mettent un mois à réaliser, nous le faisons en trois jours. C’est révolutionnaire ! |
Gina |
Ce n’est pas seulement révolutionnaire par rapport au gain de temps, mais aussi par rapport à la précision. Donc, pour toutes ces raisons, nous avons estimé qu’il nous fallait ces nouvelles technologies, les nouvelles photographies aériennes, etc. Tout un processus ! Dans une première étape, en 1998, nous sommes passés par une structure transitoire, une structure de projet, l’UTSIG, mais logiquement nous ne pouvions pas continuer à aller de projet en projet, car les instruments utilisés demandent une utilisation continue. Il fallait donc une structure permanente. Et dans tous les pays on est arrivé à une telle structure, qu’elle s’appelle IGN, centre, ou autrement, elle est là pour gérer ces informations, qui sont stratégiques, d’une manière permanente. C’est donc le CNIGS, dont la création n’a pas été facile ; il a fallu convaincre beaucoup de monde, mais on y est arrivé ; le décret de création a été publié en mars 2006. |
Bernard |
Maintenant le PITDD. |
Gina |
Si tu veux, ce programme entre dan la mouvance de la mise en place du CNIGS. Nous avions fait un premier projet pour le Ministère de la Planification et de la Coopération Externe (MPCE) pour qu’il dispose des informations actuelles en vue de prendre des décisions au niveau de la planification spatiale. On a pris les images et on a produit des cartes sur l’occupation des sols, les risques d’érosion, la densité de l’habitat … On avait donc une première vue. Mais par rapport à la mouvance qui allait sensiblement avec le renforcement de la capacité nationale, car il n’était pas question de rester dépendant des experts internationaux, nous avons envoyé de jeunes professionnels, agronomes, ingénieurs, prendre une formation à l’étranger, en télédétection, en cartographie digitale, en systèmes d’informations géographiques (SIG), et au retour ils ont travaillé avec les experts européens, car le financement est un financement européen et de l’Etat Haïtien, et on est arrivé à produire une série de résultats assez intéressants. Par rapport à cela, les besoins ont augmenté. Différentes institutions ont commencé à se rendre compte comment il est intéressant, pas seulement d’utiliser les données cartographiques sur le papier, qui sont actualisées, mais aussi d’aller plus loin qu’une simple carte. Avec cela, nous avons pu justifier qu’il fallait avoir des données plus détaillées. On a fait de nouvelles prises de vue du pays. La première datait de 1978, mais le pays a tellement changé qu’on ne pouvait pas utiliser des données aussi vieilles. Nous avons donc fait les prises de vue aériennes ; nous les avons traitées pour les intégrer dans les bases de données géo-spatiales, géo-référencées. Il devenait nécessaire de passer à une autre étape. Il fallait commencer à s’assurer que les données étaient exploitées pour prendre des décisions. Nous ne faisons pas de la technologie pour la technologie, nous ne collectons pas des données pour collecter des données … |
Bernard |
… cela doit servir à quelque chose … |
Gina |
… cela doit servir à mieux gérer le pays. D’où ce PITDD qui a commencé en 2005. Une des conditionnalités pour son financement était la mise en place du CNIGS. Le programme est articulé autour de deux composantes. Il y a une composante d’appui à la mise en place de ce nouvel organisme ; renforcement des capacités nationales, tant au niveau de la production des données, que de leur gestion, de leur archivage dans de bonnes conditions et de leur diffusion. Car c’est une information qui est à la disposition de tout le monde, institutions publiques, institutions privées, ONG, universités, particuliers. Le PITDD appuie donc le renforcement des capacités. On aura un nouveau bâtiment ; on va former une quarantaine de spécialistes de haut niveau ; on va renforcer nos capacités technologiques. L’autre composante c’est l’application thématique. On s’est rendu compte que nous avions des données actualisées, que nous avions de nouvelles demandes, mais la décision d’aménagement et de gestion de l’espace haïtien n’est pas faite sur une base rationnelle. Donc dans l’organigramme du CNIGS nous avons deux paliers. Dans la plupart des pays, il y a seulement les données géographiques de base ; nous avons les données géographiques de base et les applications thématiques. Elles impliquent des mécanismes d’échange, de partenariat, de manière à ce que le PITDD, non seulement appuie le CNIGS et le met au niveau que nous voulons, mais aussi que les institutions commencent à utiliser ces données de manière opérationnelle. Nous avons 6 applications … |
Bernard |
… bassins versants, parcs nationaux … |
Gina |
… planification spatiale et aménagement du territoire, informations agricoles et sécurité alimentaire, voies de communications … |
Bernard |
… le maillage … |
Gina |
… oui le maillage routier et l’observatoire global du territoire, qui est une application très importante. Quand on voit ce qui vient de se passer dans cette saison cyclonique, nous pensons que c’est une des applications que nous allons prioriser pour que nous soyons mieux outillés pour la prochaine saison cyclonique. Je ne sais pas si tu veux plus de détail. En gros, pour chaque application, nous nous mettons en relation avec l’institution publique concernée et nous faisons appel à toutes les autres institutions que nous pouvons consulter. C’est un énorme travail, qui n’est pas sorti dans la presse, car c’était un processus interne. L’idée transversale est que tous les systèmes deviennent fonctionnels dans l’institution. Par exemple, si on parle de route, l’idée n’est pas de créer une base de données qui resterait au CNIGS ; l’idée est que cela aide le MTPTC à avoir des données, à les actualiser, et, quand ils veulent prendre une décision de construire ou de réparer une route, ils ont les données sur l’état de la route, sur l’occupation du sol … Ce n’est plus la route de façon isolée, c’est la route dans son contexte. |
Bernard |
Je voudrais entrer plus dans le concret, car tout cela est un peu théorique, en prenant, par exemple, les informations agricoles et la sécurité alimentaire, deux thèmes très à la mode ces jours-ci. Depuis les émeutes dites de la faim on ne parle que de relancer la production agricole, et depuis les cyclones, on ne parle que de sécurité alimentaire. Concrètement, qu’est-ce qu’on va chercher comme information ? qu’est-ce qu’on va mettre à la disposition des décideurs, le MARNDR, la Coordination Nationale de la Sécurité Alimentaire (CNSA), comme information ? |
Gina |
Comme on dit qu’Haïti est un pays agricole … |
Bernard |
… la semaine dernière, Alain nous a dit qu’Haïti n’est pas un pays à vocation agricole, mais à vocation sylvicole. |
Gina |
C’est partagé ; mais en fonction des zones, en fonction des caractéristiques du milieu, il y a des spécificités. Ce qui est clair, c’est qu’on a besoin de mieux connaître le milieu agricole, les activités agricoles ; on ne peut lancer des chiffres n’importe comment. Il faut des données fiables pour prendre de bonnes décisions. Si tu ne sais pas où on produit quoi ; si tu ne sais pas combien d’hectares sont plantés en riz, en maïs, comment veux-tu orienter convenablement tes actions pour augmenter la production ? |
Bernard |
Par exemple, envoyer de l’engrais quand on en a besoin ? |
Gina |
Envoyer de l’engrais, c’est faire un choix. Le MARNDR nous a fait part d’un besoin de capacité d’évaluer le potentiel agricole de manière rationnelle. Nous avons commencé par une enquête pilote, en commun, avec le MARNDR, et nous avons été appuyés par des Italiens. Par exemple, dans le Nord, quelle surface est plantée en maïs pendant le première saison ? la deuxième saison ? quelle surface est plantée en café ? Déjà les surfaces donnent une notion de la prédominance de telle culture par rapport à une autre. Cela donne une idée de la distribution spatiale de telle ou telle culture. Pour calculer la production, il faut connaître les rendements ; il faut aller sur le terrain. Il faut des gens qui puissent estimer les rendements ; et il faut utiliser d’autres données, par exemple les données pluviométriques, vu que notre agriculture dépend beaucoup de la pluie. Le MARNDR voulait donc un système de statistiques annuelles et il pourrait publier, pour chaque année, ce que l’on a comme production. On pourrait donc suivre les variations, voir les tendances, de manière à savoir comment agir. Le MARNDR voulait un système intégré d’informations, avec les données déjà mentionnées, mais aussi des données sur l’occupation du sol. Le relief, les pentes, la pluviométrie … Nous ne sommes pas outillés et c’est très grave. Un pays qui est aussi vulnérable, et nous n’avons même pas un bon réseau … |
Bernard |
… de pluviomètres ; on en parlait la semaine dernière, à propos de ce fameux rapport de l’OEA de 1972, qui est un catalogue de stations qui ont disparu. Il y avait un équipement relativement important ; il n’en reste plus rien. |
Gina |
La base de données que l’on a pu utiliser date des années 40-50 ; pour faire des modèles, on a besoin de données fiables. Nous nous étions rendus compte que c’est une donnée fondamentale, en plus des données sur le sol, les caractéristiques du sol, qui font vraiment défaut. C’est pourquoi, dans les observatoires, nous voulons voir comment établir un premier niveau de réseau installé en 2009 ; une vingtaine de stations synoptiques qui permettent d’avoir les données, non seulement sur la pluie, mais aussi sur les vents, la température, l’humidité, un paquet de paramètres qui permettent de recommencer à canaliser les données pour analyser le pays. Mais le réseau est une chose, autre chose est de l’entretenir, collecter les données, les archiver correctement, les rendre disponibles … |
Bernard |
… et voir que celui qui les reçoit les utilise. |
Gina |
On aura des images satellites chaque jour qui permettront de suivre, par exemple, l’évolution de la végétation, de voir si dans une année on a eu moins de pluie, et quel impact cela a eu sur l’agriculture ; y a-t-il risque de baisse de la production ? C’est l’alerte précoce au service de la sécurité alimentaire. |
Bernard |
Ce système d’alerte précoce, c’est une chose ; mais, par exemple, j’ai beaucoup de relations avec la CNSA, qui sort régulièrement un bulletin. Dans un de ces bulletins, en janvier, elle avait averti : en avril on aura des problèmes, personne n’en a tenu compte. D’où tient-elle ses informations ? |
Gina |
La CNSA est un partenaire important de l’application production agricole et sécurité alimentaire ainsi que de l’observatoire global. Autrement dit, à la CNSA il y aura la capacité de donner des informations plus fiables et elle a beaucoup insisté sur la capacité de diffusion. Ils parlent de l’internet, mais ils auront les moyens pour que les informations soient plus diffusables et cela aura un impact important sur tout ce qui a à voir avec l’agriculture. |
Bernard |
Je pensais à la CNSA pour tout ce que tu as dit sur les surfaces en culture, le volume de production, et c’est ce que la CNSA fait et qui lui a permis de lancer cet appel en janvier. |
Gina |
Elle a des observatoires de terrain, mais là elle aura plus de capacité technologique. Ce qui s’est passé aux Gonaïves montre de manière flagrante à quel point nous ne sommes pas outillés. Il ne suffit pas de donner les informations pluviométriques basées sur un modèle régional. Pour le moment, du fait que toutes ces stations n’existent pas, quand Miami nous avertit qu’il va y avoir un cyclone, quelle zone il va toucher, quelle masse d’eau il charrie, cela ne suffit pas. Il faut les données locales. Quand j’ai des pluviomètres qui me disent quelle quantité d’eau est tombée dans les hauteurs, je peux prévoir les conséquences pour la partie basse. C’est parce que les gens des Gonaïves ont fait leurs propres prévisions … |
Bernard |
… les gens des Gonaïves, dès que le temps est couvert, ils se mettent à l’abri ! |
Gina |
Quand on parle d’infrastructures de données territoriales, c’est aussi important qu’un tas d’autres infrastructures. Une route est plus visible, mais il est important que nous soyons outillés pour avoir de bonnes informations à temps. C’est comme cela que nous pourrons protéger la population, car à ce niveau de dégradation, la première chose c’est de protéger les personnes et les infrastructures. |
Bernard |
Je pensais à Cabaret. C’est peut-être encore plus grave ; il pleut jusqu’en haut dans les mornes de Saut d’Eau et brusquement l’eau leur arrive dessus. C’est comme moi, qui vit au bord du Bois-de-Chène ; brusquement je l’entends qui descend, pourtant il ne pleut pas chez moi, mais dans les mornes. |
Gina |
C’est pour cela que tu t’intéresse aux bassins versants. |
Bernard |
Oui, je vis sur un bassin versant. |
Gina |
Et c’est pour cela qu’il faut bien maîtriser les composantes afin de gérer les bassins versants. |
Bernard |
Bien sur, et dans le cas de Cabaret, Elsie a beaucoup parlé avec leur correspondant. Il disait : nous ne nous doutions de rien ; j’étais en train de dormir et brusquement l’eau est arrivée ; je n’ai eu que le temps de sortir deux enfants et je suis sorti rechange sur le corps. S’il y avait eu quelqu’un, au niveau de Saut d’Eau, pour dire : attention, il pleut ; de manière plus sophistiquée, pas comme je le dis maintenant, les gens auraient été avertis et auraient pris leurs précautions. C’est cela, l’application pratique. |
Gina |
Voilà, il faut des modèles, et qu’ils soient adaptés, et il faut les alimenter avec des données. Mais si les données ne sont pas bonnes, cela ne marchera pas. C’est la capacité de suivi qu’il faut développer. Par exemple, quand on parle de pluie, il ne suffit pas d’avoir les données sur une année. Dans certains cas, il faut des séries sur plusieurs dizaines d’années. |
Bernard |
Est-ce que c’est vrai ? on parle de cycles ; par exemple, pour le Nord-Ouest, on dit que tous les sept ans il y a une grande sécheresse. |
Gina |
Oui, il y a des modèles qui montrent des phénomènes qui se reproduisent chaque dix ans ; il y en a même qui se reproduisent chaque cent ans. Même chose au niveau des tremblements de terre. Nous ne pouvons donc pas gérer un pays au jour le jour, ou alors nous serons toujours dans l’urgence ; et un des meilleurs moyens est d’avoir une capacité de comprendre le territoire, de suivre le territoire, de voir les tendances. Il faut voir comment était le territoire il y a 20 ou 30 ans, comment il est aujourd’hui. Cela permet de savoir quelles pressions il y a sur telle ou telle zone, et de quelle nature sont les pressions. Il ne suffit donc pas d’avoir des images satellites ou des cartes ; il faut aller sur le terrain et faire des observations, des enquêtes, parler aux gens. C’est pour cela que pour plusieurs applications nous devons utiliser une méthode participative. Il ne suffit pas de fournir des données, pour que les gens prennent conscience et que, par exemple, ils cessent de couper des arbres, de construire là où il ne faut pas, car nous créons notre propre vulnérabilité. |
Bernard |
Nous détruisons notre environnement. Maintenant entrons un peu plus dans le détail à propos des bassins versants. |
Gina |
Nous avons donc une application qui est l’étude pour l’aménagement des bassins versants. Quand nous réfléchissions aux applications à choisir, nous avons pensé que celle-là était fondamentale, car, si nous voulons comprendre le pays, cela doit passer par une bonne compréhension des mécanismes bio-physiques, mais aussi de la façon de vivre des gens dans ce milieu, de manière à pouvoir donner des outils pour mieux gérer le territoire. Nous avons un pays très montagneux. |
Bernard |
75 % du territoire. |
Gina |
Nous avons un réseau hydrographique très dense, beaucoup de rivières, de ravines, et de ravines qui se créent. Si on prend la zone de Fond Verrettes, par exemple, et que l’on compare les cartes d’avant et après 2004, c’est incroyable le nombre de nouvelles ravines. |
Bernard |
J’observe, sur la Chaîne des Matheux, le nombre de nouvelles ravines qui se créent et j’aimerais comprendre comment elles apparaissent. |
Gina |
C’est le résultat du fait qu’il n’y a plus d’arbres. |
Bernard |
Oui, mais j’aimerais comprendre pourquoi, à un endroit précis, une portion de terre s’en va. Je me souviens que feu Garvey Laurent, qui habitait en plaine, me demandait : qu’est-ce qu’on va faire ? le morne s’en va. Je le voyais, mais maintenant je regarde et je constate que cela va en s’aggravant. |
Gina |
Si tu regardes la carte de positionnement des villes, presque toutes sont localisées près de la côte (héritage colonial). |
Bernard |
Les 13 villes les plus importantes sont sur la côte, sauf une : la Petite Rivière de l’Artibonite. |
Gina |
Il y a Hinche aussi. Mais puisque l’enjeu est vraiment important, cela passe par un bon diagnostic de la situation. Dans le cadre de cette application, nous ne voulons pas tout faire ; nous voulons commencer à mettre le système en place. Voir si on peut faire un premier niveau de diagnostic, mais cela ne permet pas de prendre des décisions. |
Bernard |
On commence à comprendre. |
Gina |
Cela aide aussi à s’orienter vers les bassins versants qu’il faut prioriser par rapport à l’optique d’aménagement et de développement. Il ne faut pas que des considérations politiques influent le choix. |
Bernard |
Si on était sous Namphy, vous choisiriez le bassin versant que je vous propose. |
Gina |
Lequel ? |
Bernard |
La Grande Rivière du Nord. |
Gina |
Je crois dans la capacité d’un professionnel de faire une analyse visuelle, mais je crois aussi que le choix peut être fait de manière plus transparente et objective, avec un Système d’Information Géographique qui permet de comparer, et à partir d’une vision. L’autre composante de cette application plus proche d’un outil d’aide à la décision : nous allons choisir un bassin versant et nous allons collecter des données plus détaillées, à plus grande échelle, comme nous disons dans notre jargon. Nous allons produire de nouvelles données, nous allons sur le terrain, pour des campagnes de relevé, mais aussi des enquêtes, parler avec les gens, pour un bon diagnostic de ce bassin versant-là ; et sur cette base, faire un zonage et un plan d’aménagement. |
Bernard |
Concrètement, vous allez mettre en œuvre toute la batterie de données à collecter. |
Gina |
Pour une approche de gestion intégrée du bassin, il y a un ensemble de données importantes. |
Bernard |
Cite m’en quelques unes. |
Gina |
Par exemple, il y a des données sur les caractéristiques du sol, le parcours des rivières avec leurs affluents, l’occupation du sol. |
Bernard |
Il y a une donnée que tu n’as pas citée : le relief. |
Gina |
Bien sur, une des premières données que nous allons collecter, ce sont les données altimétriques. Nous allons prendre les données au laser, qui donne une précision de l’ordre centimétrique, car une précision de l’ordre de 30 mètres ne suffit pas ; 50 cm peuvent faire la différence. Il y a les données pluviométriques. |
Bernard |
Donc : le sol, la pente, les précipitations … |
Gina |
… l’occupation du sol, l’utilisation du sol, la tenure, toutes les données sur l’habitat. Puis il faut coupler toutes ces données avec des enquêtes : comment vivent les gens ? comment ils travaillent la terre ? |
Bernard |
Attends, tu as dit : on va confronter avec la population. |
Gina |
On va avoir des rencontres. |
Bernard |
Tu vas leur demander s’ils ont d’accord avec ce que tu avances ? |
Gina |
On va les questionner pour voir comment ils comprennent l’espace dans lequel ils vivent. |
Bernard |
Je pose la question parce que tu parles de gestion intégrée, c’est à dire que la population est partie prenante dans l’analyse et dans les décisions. Pour cela, il faut qu’elle comprenne le problème. |
Gina |
C’est pour cela que nous commençons à parler de cartographie participative. |
Bernard |
Tu ne connais pas l’expérience de CROSE ? ils ont fait une maquette du bassin versant de la Grande Rivière de Jacmel, avec la population. |
Gina |
Nous avons fait une expérience similaire à Marmelade. C’est important, parce que le fait que la personne habite un lieu ne veut pas dire qu’elle a une vue d’ensemble. Si on veut faire une conscientisation, il ne suffit pas d’utiliser la radio, il faut aussi aller voir les gens. Il faut leur faire comprendre ; il faut les faire participer dans les choix. |
Bernard |
Parce que si les gens ne sont pas d’accord, rien ne se fera. |
Gina |
On n’a qu’à voir tous les millions qui ont été dépensés etle couvert végétal continue à diminuer. On aura aussi la capacité de faire le suivi-évaluation. Autrement dit, j’ai un projet de 5 millions pour reboiser x hectares quelque part ; je sais où sont ces hectares, je pourrai voir l’année prochaine si les plantules sont encore là, et dans 5 ans. Avec le Système d’Informations Géographiques (SIG) on a la capacité de faire le suivi. On le fait dans beaucoup de pays. Avec l’observatoire global on veut arriver à cela. |
Bernard |
Vous avez déjà choisi le bassin versant pilote ? |
Gina |
Pas encore. |
Bernard |
Qu’est-ce que vous attendez ? J’en parle parce que l’autre jour il était question d’un bassin gérable. Qu’est-ce c’est qu’un bassin gérable ? un petit bassin sans importance ? Moi, je continue à plaider pour la Grande Rivière du Nord, sachant très bien que c’est un très grand basin, 600 km2 ! mais ce n’est rien devant celui de l’Artibonite : 6.000 km2. |
Gina |
C’est un fait qu’il y a énormément de besoins. En tout cas, nous allons développer une série d’études, d’outils, de recommandations ; mais cela servira aussi de modèle, pour d’autres applications, qu’il faudra adapter. Ce sera une expérience extraordinaire qui durera deux ans. |
Bernard |
Allez vous entrer dans toutes les applications en même temps ? |
Gina |
Nous avons un premier maillage de données pour l’ensemble du pays. Puis nous aurons à faire des cartographies nettement plus fines. Nous sommes dans la planification opérationnelle. Bientôt nous allons lancer des appels d’offres pour l’achat des équipements. |
Bernard |
Vous avez un site ? |
Gina |
On est en train de le monter. Tout le monde pourra avoir accès à des données de base. |
Bernard |
Une question triviale : le PITDD, c’est combien de personnes ? |
Gina |
C’est d’abord l’équipe de base qui est au CNIGS ; certains sont là depuis 1998 ; c’est une nouvelle équipe formée : depuis 2005, nous envoyons de jeunes universitaires prendre une formation plus poussée, qui commencent à revenir ; nous prenons aussi des stagiaires et des résidents ; et puis nous avons des experts externes qui viennent nous appuyer. |
Bernard |
C’est un projet de 5 ans ? |
Gina |
Il nous reste 2 ans ; il faut que tout soit terminée fin 2010. Nous avons perdu beaucoup de temps avec les problèmes de la conjoncture et avec un terrain que l’Etat devait nous donner pour construire notre bureau ; mais c’est un gros effort que l’Etat a fait. Nous avons commencé dès 2005 avec la formation, non seulement pour le personnel du CNIGS, mais aussi au niveau des institutions partenaires. C’est une grosse machine, qui sera aussi sur le terrain avec les équipes d’enquêteurs. |
Bernard |
Et après les 2 ans ? |
Gina |
Cela va continuer. |
Bernard |
Tu connais la chanson bavaroise : wer soll das bezahlen ? qui va payer pour cela ? tu viens de dire : l’Etat a fait un gros effort, va-t-il continuer à faire de gros efforts ? |
Gina |
Il y a quelque chose qui te surprendra. Contrairement à beaucoup d’initiatives qui ont été prises dans ce pays, et qui sont tombées, je peux dire que, dans ce domaine l’Etat a fait preuve de continuité avec nous. Nous avons commencé en 1998 avec l’UTSIG, non seulement nous avons eu un support continu de l’Union Européenne, qui est notre principal bailleur de fonds, mais nous avons un support vraiment continu de l’Etat. Et c’est important. Au CNIGS, il y aura une direction des applications thématiques qui sera le cadre institutionnel pour maintenir le partenariat avec les autres institutions. Nous ne voulons pas être une institution « tour d’ivoire » ; notre objectif est de renforcer la capacité de nos partenaires, pendant que nous renforçons notre propre capacité. Il faut un aller-retour entre le CNIGS et les institutions pour que nous soyons un vrai service public. |
Bernard |
Lucky lady ! |
Gina |
Je ne pense pas que ce soit une affaire de chance, je pense que c’est une affaire de travail. L’expérience que j’ai faite me fait arriver à la conclusion que, l’une des raions qui fait que le pays ne marche pas, c’est que chacun reste dans son coin, dans une pose d’attentisme. Il y a tout un travail de plaidoyer à faire, et de livrer le travail promis. |
Appel |
Est-ce que toute rivière ou ravine a un bassin versant ? |
Bernard |
Chaque rivière, chaque ravine a un bassin versant ; un bassin versant est une portion de terre dont toute l’eau de pluie qui tombe dessus va dans une ravine ou une rivière. |
Gina |
Avec les différentes informations que l’on peut collecter, on peut mieux comprendre le milieu et savoir que faire et où le faire. |
Bernard |
Et, pour rester dans l’actualité, quelles mesures prendre pour que ce qui vient d’arriver aux Gonaïves ou à Cabaret ne se reproduise pas. Maintenant, il va falloir s’arrêter. Je crois qu’il nous faudra revenir et re-expliquer, ne serait-ce que pour l’auditeur qui vient d’appeler, d’autant que nous avons une programmation pour les parcs naturels. |