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- Category: – Bassins Versant (33)
Emission du |
07/10/08 |
Thème |
L’aménagement des bassins versants |
Invité |
Alain Thermil |
Transcription
Bernard |
Cet après-midi, nous allons aborder le concept de bassin versant. Ce thème a été souvent mentionné au cours des émissions, mais nous n’y avons encore jamais consacré une émission. Pas que nous ne voulions pas le faire, au contraire, nous avions toujours cela en tête, mais l’actualité nous a toujours tiré ailleurs. Aujourd’hui, les bassins versants font l’actualité, parce que tout le monde s’accorde à dire que, si nos bassins versants n’étaient pas si dégradés, nous n’aurions pas atteint ce niveau de dégâts après les cyclones qui nous ont visités. Pour parler de ce thème, nous avons quelqu’un qui est notre « homme de référence » quand il s’agit de bassins versants ; il s’agit de Alain Thermil. Depuis longtemps, il avait manifesté le désir de venir en parler, mais, comme je l’ai déjà dit, l’actualité ne lui en a pas laissé le loisir. Avec l’entrée des bassins versants en plein dans l’actualité, nous avions pris rendez-vous pour la semaine prochaine, car cette semaine je devais recevoir les deux agronomes de la CNSA. Ils ont été empêchés à la dernière minute, soit par des problèmes familiaux, soit avec la préparation de la journée mondiale de l’alimentation, le 16 octobre. Je me suis donc tourné vers Alain, bien qu’il ait été avec nous la semaine dernière pour parler des dégâts enregistrés sur les périmètres touchés par le PATRAI, il m’a répondu : je ne peux rien te refuser. Je remercie donc Alain pour sa disponibilité, et je crois qu’il se passe de présentation. Il est venu trois fois nous parler du PATRAI, il a accompagné Jean-Robert Jean-Noël, quand celui-ci était venu parler de la proposition de la FONHDILAC pour la relance de la production agricole, il a accompagné Edna qui était venue parler d’agroforesterie. Je ne veux pas lui imposer un plan, mais il y a des points qui mériteraient qu’on s’y arrête. Pour commencer, qu’est-ce que c’est qu’un bassin versant ? Puis, quelle relation y a-t-il entre les bassins versants et les dégâts provoqués par les cyclones ; quel est leur rôle dans le renouvellement de cette ressource qu’on appelle l’eau ; quelle est l’importance des bassins versants dans la protection de ceux qui vivent en aval ; enfin qu’est-ce qui peut être fait pour corriger cet état de dégradation que j’ai mentionné ? En deux occasions, dans le courant du mois dernier, j’ai dû faire une émission sans invité, et, chaque fois, j’ai mentionné un article de l’agronome William Michel, où celui-ci fait une évaluation de ce coûterait la réhabilitation du bassin versant de la rivière la Quinte, responsable des dégâts aux Gonaïves. Michel arrivait à des chiffres astronomiques et concluait que Haïti ne disposerait jamais de ces sommes ; il affirmait cependant qu’il y avait des actions qui pouvaient être entreprises, mais n’était pas rentré dans le détail. Nous pourrions l’inviter, mais il est souffrant ; heureusement nous avons Alain avec nous ; Alain, à toi. |
Alain |
Merci, Bernard, et salut à tous les auditeurs. C’est pour moi un plaisir de venir parler d’un sujet qui me tient à cœur. D’entrée de jeu, tu as posé un problème intéressant : on parle de bassin versant, mais qu’est-ce que c’est ? Ce n’est pas compliqué, un bassin versant est une surface qui draine toute l’eau de pluie vers une ravine, laquelle va déverser cette eau dans un lac, une rivière ou à la mer. |
Bernard |
Prenons un exemple sur Port-au-Prince ; le bassin versant de la ravine du Bois-de-Chène, c’est d’un coté le Morne l’Hôpital et de l’autre le morne de Bourdon. Toute l’eau de pluie qui tombe sur cette partie du Morne l’Hôpital, toute l’eau qui tombe sur les collines de Bourdon vont dans le Bois-de-Chène, et à la fin, on la retrouve au Boulevard du Bicenteraire. |
Alain |
C’est une bonne illustration. Maintenant, il faut que je retrouve tes questions. |
Bernard |
La deuxième question : l’importance des bassins versants. |
Alain |
On dit qu’Haïti est un pays essentiellement agricole ; mais un pays qui est fait de mornes pour les trois quarts a plutôt une vocation agroforestière ou sylvicole. |
Bernard |
Quand tu dis sylvicole, tu parles de forêt. |
Alain |
C’est cela. Si on considère le relief montagneux d’Haïti, on constate que nous avons une quantité de bassins versants, de tous ordres et de toutes tailles. Ce qui est important, c’est l’eau ; on a besoin d’eau pour les usages domestiques, pour l’agriculture, et ce sont les bassins versants qui nous alimentent en eau. Le bassin versant est un espace qui peut être utilisé à différentes fins : construction de ville, par exemple ; la ville de Port-au-Prince est située dans n bassin versant, ainsi que la plupart des villes. |
Bernard |
Je profite pour signaler qu’on a eu la journée inter-américaine de l’eau, le 5 octobre et, qu’à cette occasion j’ai participé à un séminaire organisé par l’ADISH. |
Alain |
Le bassin versant est un réceptacle, quand l’eau arrive, elle est drainée ; si cet espace est boisé, les arbres facilitent l’infiltration de l’eau dans le sol ; cela va recharger la nappe ; les sources auront un débit plus important et plus régulier. A l’inverse, quand le bassin versant est dégradé, le ruissellement est plus important. |
Bernard |
La semaine dernière, je suis allé dans l’Artibonite ; je suis donc passé par Cabaret, pour la première fois depuis les cyclones, et j’ai pu voir les dégâts. C’est un exemple de ce que tu dis. Le bassin versant de la rivière Bethel commence depuis la zone de Saut-d’Eau et il est totalement dégradé. A la première pluie la terre s’en va … |
Alain |
… c’est bien cela, et quand on a une ville en contre-bas, elle est inondée, et souvent les gens n’ont même pas le temps de se mettre à l’abri … |
Bernard |
… surtout avec cette rivière qui a la mauvaise de s’amener en pleine nuit. |
Alain |
Bon ! notre climat fait que c’est le soir qu’il pleut. Avec cette illustration, on voit l’importance des bassins versants. Pour ma part, depuis l’époque des ateliers de la FHE (Fondation Haïtienne de l’Environnement)… |
Bernard |
… c’est là que tu m’as parlé de faire une émission sur les bassins versants … |
Alain |
… c’est bien cela ; donc depuis lors je fais un plaidoyer pour une autre approche des bassins versants. |
Bernard |
Parce que jusqu’à présent on n’a fait que de la m. |
Alain |
Bon ! |
Bernard |
Ecoute ! 2004 Gonaïves, quatre ans après la même chose ; 2007 Cabaret, un an après le même coup de bâton. Je crois que c’est après Hanna que j’ai vu la Rivière Grise à la télé ; j’ai attrapé ma camera et je suis parti faire des photos. J’ai une relation particulière avec la Rivière Grise, parce que je la traverse souvent et chaque fois je me dis qu’il serait facile d’évaluer un travail de réhabilitation qui aurait été entrepris. Pendant une grande partie de l’année, elle est réduite à un filet d’eau, et puis, l’autre jour, c’était l’Artibonite ! et elle était sale. Cela veut dire que, si on entreprend de réhabiliter le bassin de la Rivière Grise, qui remonte jusqu’à Furcy, on a deux moyens de vérifier le résultat du travail : la couleur de l’eau et la régularité du débit. |
Alain |
C’est correct. Quand on a un bassin non dégradé, on n’a pas de grandes variations de débit et de turbidité de l’eau … |
Bernard |
… qu’est-ce que c’est que cela ? |
Alain |
C’est le niveau de limpidité de l’eau. Plus on aura de sédiments, plus on aura une coloration de l’eau qui dépendra de la terre qui est charriée. |
Bernard |
Et cette coloration on la retrouve dans la mer. Dany Laferrière dit que la mer des Caraïbes n’est pas bleue, elle est turquoise, mais aux embouchures des rivières, elle est brune. |
Alain |
J’ai pris des photos d’avion, après le mauvais temps ; c’est toute la côte, depuis la baie de Port-au-Prince jusqu’à Gressier, qui a cette couleur. Donc, quand on a des bassins versants dégradés, on a des problèmes au niveau de l’exploitation des plages pour le tourisme…. |
Bernard |
… et au niveau de l’éco-système marin : tous les poissons fichent le camp. Sans oublier l’éco-système des mangroves qui est de la plus grande importante dans le cycle de reproduction des poissons et des crustacés. |
Alain |
Ce qui montre que celui qui habite en haut de Furcy ne peut pas penser, qu’il n’a rien à voir avec celui qui pèche en bas. Nous sommes tous sur le même bateau et notre mauvais comportement, au niveau du bassin versant, a des répercussions directes pour celui qui pèche et indirectes pour leur auteur, car il ne trouvera pas de poisson, en qualité et en quantité, à consommer. On peut parler aussi du manque à gagner pour ceux qui exploitent les plages. En Europe on classifie les plages pour leur degré propreté, ici, il faudrait aller bien loin ... |
Bernard |
… à l’Anse du Clerc ! |
Alain |
Ces jours-ci, à cause des cyclones, on parle de bassins versants, cela fait très savant, même quand on ne sait pas de quoi on parle ; j’ai entendu des gens parler de « bassin Vincent ». Mais nous sommes tous concernés, avec un pays compose à 75 % de mornes. |
Bernard |
Pour ceux que cela intéresse, j’ai trouvé une liste des principaux bassins versants d’Haïti, on en a identifié 30, et j’ai pu constater que la superficie donnée par William Michel ne correspond pas à ce que dit cette liste. |
Alain |
Je crois qu’il a été trop à l’ouest, vers la zone de la Sedren ; mais c’est bien que tu fasses référence à ce document. Ces informations remontent à 1972 ; elles viennent d’une mission de l’OEA qui a produit un document extraordinaire. J’ai eu l’occasion de le consulter après les cyclones, et ce qu’il disait en 1972 était encore actuel ; il y avait déjà un cri d’alarme. Il y a un autre document que la USAID avait commandité et qui tentait de faire un classement des bassins versants selon leur degré de vulnérabilité, en tenant compte de différents paramètres, c’est le document le plus récent que l’on ait ; il date, je crois, de 2005. Il y a aussi les nouvelles technologies - je crois que tu dois recevoir Gina Porcena à cette émission – elles ont permis d’affiner les données de 1972. |
Bernard |
Nous avons dit ce qu’était un bassin versant, nous avons dit qu’Haïti vivait à l’heure des bassins versants et nous avons dit qu’ils étaient dégradés. Maintenant, qu’est-ce qu’on peut faire ? |
Alain |
D’abord il faut faire un choix des bassins versants sur lesquels on peut intervenir. On parle de bassin versant de taille gérable. Il faut rester dans l’optique de sauver ce qui peut être sauvé. Il faut protéger ce qui est encore là, par exemple la réserve du Macaya, dans le massif de la Hotte. Il y a toute une série de bassins versants qu’on n’a plus d’intérêt à protéger. La nouvelle approche consiste à voir le bassin versant comme une unité, avec celui qui l’exploite au niveau du sommet, celui qui l’exploite dans la partie médiane, et le pêcheur. Il faut une approche où tous se sentent concernés. Autrefois, on écartait les personnes ;aujourd’hui, avec 8,5 millions d’habitants, il faut intégrertout le monde dans la gestion des bassins versants. |
Bernard |
Avant de continuer, j’ai une question. Ce matin, j’ai eu une discussion au cours de laquelle quelqu’un a parlé de déplacer la ville des Gonaïves. Comment réagis-tu à cette idée ? |
Alain |
Ma réaction c’est : non. |
Bernard |
J’en parle, parce que tu as mentionné les 8,5 millions d’habitants. Nous avons la plus forte densité de population en Amérique, donc, quelque soit l’endroit où on va, on trouve du monde. C’est sur ce point que j’ai toujours eu des discussions avec Sébastien Hilaire, quand il était Ministre de l’Agriculture. Mais revenons à ce que tu disais de l’intégration des personnes dans la gestion des bssins versants. |
Alain |
Oui, il faut instituer un partenariat entre l’Etat et la population. Depuis le temps qu’on parle de reboisement, on voit le résultat. Le problème est qu’on utilise le bois comme une ressource fossile, pas comme une ressource renouvelable. Il faut renouveler la ressource ; il faut un plan d’exploitation de cette ressource naturelle et finalement arriver à ce fameux plan d’aménagement du territoire. Ce qu’il ne faut pas oublier, surtout avec cette croissance démographique, c’est que ce sont les personnes qui sont le plus important. Pour revenir à cette affaire de déplacer la ville des Gonaïves, est-ce que l’habitant des Gonaïves a envie d’être déplacé ? |
Bernard |
Il y a une autre chose qu’il ne faut pas oublier ; une ville ne s’est pas développée en un endroit par hasard. Il y a une série de facteurs géographiques, économiques et autres, qui ont amené ce développement. Dans le cas des Gonaïves, la ville a connu une croissance dont on ne tient pas compte. On continue à en parler comme la quatrième ville d’Haïti, en terme de population, autrement dit après les Cayes. Or, depuis 1972, les statistiques indiquent que les Gonaïves ont dépassé les Cayes. Cela veut dire qu’il se passait quelque chose dont les dirigeants n’ont pas su tenir compte, et en 1984, cela leur a explosé à la figure. |
Alain |
Je crois donc que la nouvelle approche consiste à composer avec les gens qui vivent dans les bassins versants, qui y ont leurs habitudes de vie, ou de survie. Les ressources naturelles sont là pour le bien-être de l’homme ; elles doivent être exploitées de manière à être utiles à l’homme maintenant et dans le futur. Il y a des bassins versants qui ont atteint un niveau de dégradation où on ne peut plus faire grand chose. |
Bernard |
Cite m’en un. |
Alain |
Ne sont-ils pas tous dans ce cas ? |
Bernard |
Voilà ! Quand on parle de bassins versants gérables, on parle de petits bassins. Mais, par exemple, au CNIGS (Centre National de l’Information Géo-Spatiale), il a été question de choisir un bassin versant pour une expérience pilote. J’ai proposé celui de la Grande Rivière du Nord. On m’a demandé si j’étais fou. Effectivement, le bassin de la Grande Rivière du Nord est gigantesque, 680 km2, mais attention, il faut tenir compte de tous les aspects. On parle de reconstruire le barrage de la Tannerie, sur la Grande Rivière du Nord, pour irriguer la plaine de Quartier Morin. Mais, si on ne fait rien sur le bassin versant, ce sera de l’argent jeté. |
Alain |
Moi, je me pose des questions, quand je vois les évaluations de William Michel, cela va coûter beaucoup d’argent ; il faut qu’on arrête de jouer. En l’espace de trois semaines, on a de l’eau partout, des ponts emportés, etc, et je me suis demandé si c’était une affaire exceptionnelle ; mais la République Dominicaine est sur la même île, elle a subi les mêmes intempéries, elle n’a pourtant pas eu tous ces dégâts. |
Bernard |
Il ne faut pas que cela se passe comme pour Jeanne. On parle beaucoup, juste après la catastrophe, et puis, après quelque temps, on ne s’y intéresse plus. Je crois qu’il faut que des personnes s’attachent à toujours rappeler le problème. Mais le thème de l’émission c’est l’aménagement des bassins versants ; tu dis que cela va coûter cher ; qu’est-ce qui va coûter cher ? des structures physiques ? parce que l’aménagement c’est quoi ? des structures physiques, des canaux, des structures biologiques et un plan d’occupation du sol. Cela me rappelle l’histoire de la Rouillonne. Chaque année la Rouillonne inonde Léogane, amenant des tonnes de sable. Un beau jour, le Président Préval a déclaré qu’il en avait assez d’entendre parler des dégâts causés par le Rouillonne ; on a décidé de faire quelque chose sur le bassin versant. On a découvert que le sol des mornes d’où vient la Rouillonne est de très mauvaise qualité ; c’est une sorte de basalte très friable. Les bourgeois de Léogane n’ont rien trouvé de mieux à faire que d’y envoyer des métayers cultiver de l’arachide, notre pistache. Or on sait que la récolte d’arachide se fait en arrachant la plante, créant dans le sol une sorte de plaie à nu qui n’attend que la première pluie pour envoyer le sable en bas de la montagne. |
Alain |
L’aménagement, c’est une combinaison de toutes les technologies que l’on connaît, mais il faut toujours intégrer les personnes, car, si on se contente d’un projet, une fois ce projet terminé, il n’y a plus rien. En plus du fait que, dans les projets, on est toujours sous la pression des échéances. C’est l’approche sociologique qui permettra la durabilité de l’entreprise. Il faut que les personnes trouvent un intérêt dans ce qui se fait, c’est l’aspect économique. Et il faut un document-maître, un plan d’aménagement. |
Bernard |
Voilà pourquoi cela ne doit pas être un projet, cela doit être une politique … |
Alain |
… et même un mode de vie, car il faut que chacun sente qu’il a une responsabilité.. |
Bernard |
Je me demande si la première démarche ne doit pas être une vaste campagne d’éducation pour permettre à tous, ceux d’en haut comme ceux d’en bas, de se rencontrer et de comprendre les mécanismes de la dégradation. Cela me mène à parler de la maquette du bassin versant de la Grande Rivière de Jacmel qui a été réalisée par la CROSE (Coordination Régionale des Organisations du Sud-Est). Je crois que c’est un outil extraordinaire pour cette campagne d’éducation. Cela me rappelle aussi que, dans la zone goâvienne le thème des relations entre le haut bassin et le bas bassin revient régulièrement, non seulement de la part des techniciens, comme Isaac lors de son émission, mais aussi chez les leaders paysans, comme Manno et Maxo. |
Alain |
J’allais en arriver la zone goâvienne, car dans le cas de l’agriculture, depuis le PPI (Projet de réhabilitation des petits périmètres d’irrigation), avec les « focus groups » qu’on avait organisés, le problème est devenu évident ; les paysans qui travaillent sur les aires irriguées ont eux-mêmes monté une commission pour aller discuter avec les gens d’en haut, et, même après la fin du projet, les relations ont continué. |
Bernard |
Essayons de reprendre les grands points : 1. approche intégrée, voir le bassin versant comme une unité ; 2. intégration de la population dans tout ce qui se fait ; 3. aménagement : plan d’occupation du sol, aménagement en terme de modifications, structures physiques. |
Alain |
Et puis tenir compte des aires protégées. |
Bernard |
Je n’aime pas qu’on parle d’aires protégées ; dans l’état où est le pays, tout doit être protégé, sauf peut-être le Champs-de-Mars ; et encore il faut le protéger du maire ! |
Alain |
Il faut trouver des mécanismes grâce aux-quels il ne faudra pas toujours refaire le même travail. |
Bernard |
Je crois que c’est un thème sur lequel il faudra toujours revenir afin qu’on n’oublie pas. |
Alain |
Je pense que c’est une bonne idée. Des cas comme les Gonaïves, les lacs (Azueï, Etand de Miragoâne), tout cela m’intéresse. Il ne s’agit pas de faire des actions d’éclat, et puis plus rien, mais il est difficile de trouver les fonds et le personnel pour un travail de longue haleine. |
Bernard |
Je repense à Fonds Verrettes ; cela a été la même histoire. Je me demande s’il ne faudrait pas choisir des points de ce genre et aller voir chaque six mois comment la situation évolue. |
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A l’assaut des mornes
La semaine dernière, nous avons parlé de la contradiction existant entre la nécessité de protéger la couverture forestière des bassins versants, afin que ceux-ci puissent remplir correctement leur fonction dans le cycle de l’eau, et les besoins de coupe en vue de la production de charbon de bois, de bois de chauffe, de bois d’œuvre pour la construction ou l’ameublement, et de l’exportation de bois précieux.
Mais en plus de cette exploitation sans réserve de la couverture forestière, il y a aussi ce que Serge Michel Pierre-Louis, dans une déclaration faite à Agropresse, appelle la mauvaise gestion du foncier. Reprenons ce passage déjà cité : « La mauvaise gestion du foncier est l’une des causes majeures de la vulnérabilité des espaces cultivables aux catastrophes naturelles, selon l’ingénieur-agronome Serge Michel Pierre-Louis, spécialiste en environnement et en foncier. La densité élevée de la population conduit à une utilisation abusive des ressources forestières, et de manière générale à une utilisation abusive du sol, soutient-il. »
On retrouve cette même idée dans l’étude du GTA déjà mentionnée : « La pression démographique et l’augmentation continue de la demande alimentaire poussent les agriculteurs à cultiver des terres marginales inaptes à toutes activités de production agricole. Il en résulte une dégradation de plus en plus accélérée des ressources naturelles. ».
Autrement dit, c’est encore ce diable de paysan qui, en s’amusant à aller cultiver dans les mornes, est responsable de tous nos maux. La question est de savoir pourquoi le paysan est ainsi parti à l’assaut des mornes. Il y a, à cela, plusieurs raisons. La première est à chercher dans la situation créée au lendemain de l’indépendance par les nouveaux dirigeants. René Préval l’a évoquée, toujours dans le cadre de sa participation au sommet de la francophonie à Montréal. On sait, en effet que les généraux de la guerre d’indépendance s’étaient partagé les dépouilles des vaincus : les plantations situées dans les plaines. Les nouveaux libres, qui ne tenaient absolument pas à reprendre le travail dans les plantations, n’avaient plus qu’une solution : gagner les montagnes.
Mais attention, ils n’y étaient pas les premiers, et je ne parle pas des Indiens. Il y a un chapitre de notre histoire qui n’est, à mon avis, pas assez développé : celui du marronnage. Ces nègres marrons, une fois qu’ils avaient fui la plantation, il fallait bien qu’ils aillent vivre quelque part. Je me suis laissé dire que la paroisse de Verrettes, du temps de la colonie, connaissait trois types de peuplement, géographiquement distincts. Dans la plaine, on avait les plantations avec l’organisation qu’on leur connaît; en haut, sur le plateau qui surplombe, au nord, la vallée de l’Artibonite et, au sud, la côte du Canal de Saint Marc, s’étalaient les grandes caféteraies ; entre les deux, les flancs de la montagne étaient le domaine des marrons.
Encore une fois, je regrette que nous n’ayons pas autant d’études sur les marrons qu’il n’y en a par exemple à la Jamaïque ; cela nous permettrait peut être de distinguer trois modes de peuplement pour la période coloniale : la grande plantation sucrière des plaines, les caféteraies sur les plateaux (Goayavier, Salagnac) et les marrons sur les flancs des montagnes. Cela nous permettrait peut-être aussi d’identifier deux sources de notre culture rurale : l’arpent vivrier, qui est au départ du jardin familial, et l’organisation des marrons qui se perpétue dans le lakou. En tout cas, si mon hypothèse est vérifiée, cela expliquerait que les nouveaux libres aient pu si facilement choisir de s’installer dans les mornes.
Une fois les paysans installés et cultivant les flancs des montagnes, deux facteurs vont aggraver les dommages que leurs activités pouvaient causer à l’environnement. Le premier de ces facteurs est la croissance démographique. La rapide augmentation de la population fait que l’on a toujours besoin de plus de terre, de défricher de nouveaux « bois neufs », pour faire davantage de culture, en résumé, d’accélérer la destruction de la couverture forestière. Le second facteur serait ce que je voudrais appeler la débilité de notre économie.
La classe possédante, celle qu’on pourrait considérer comme l’élite économique du pays, n’a jamais su jouer effectivement ce rôle d’élite. Confinée dans le secteur de l’import-export, elle n’a jamais su sortir de son statut de boutiquier, elle n’a jamais su développer d’autres secteurs d’activités qui, en plus de leur garantir d’autres sources de revenus, auraient eu pour résultat de créer des emplois pour les nouveaux arrivés sur le marché du travail. Résultat, les paysans se trouvaient dans l’obligation de demander encore plus à ces mornes qui se desséchaient à vue d’œil.
Mais nos mornes n’ont pas seulement à subir les assauts des paysans cultivateurs. Dans le premier article de cette série, j’ai parlé de l’étalement urbain qui tend à réduire les surfaces propres à l’agriculture lesquelles sont déjà insuffisantes. Cet étalement urbain n’affecte pas seulement les plaines, mais aussi les mornes au voisinage des grandes villes.
Depuis quelques décennies, les Morne l’Hôpital, pour prendre l’exemple de Port-au-Prince, se voit envahi par des personnes à la recherche, non plus d’un lopin de terre à cultiver, mais de terrain à bâtir. Cela a commencé avec les classes aisées en quête, d’abord, d’un lieu de villégiature, puis de lieux de résidence permanente, éloignés de la chaleur du bord-de-mer. A Port-au-Prince, elles ont commencé par conquérir Turgeau, puis Pétionville, et maintenant Thomassin, voire Kenscoff, sans tenir le moins du monde compte des restrictions imposées pour la protection des bassins des sources alimentant la population en eau potable. Les exemples les plus criants sont le Morne Rigaud et, plus récemment, la zone du Juvénat.
L’exemple venant d’en haut, il n’y avait aucune raison pour que les populations de la campagne, chassées par l’exode rural, ne partent pas, elles aussi, à la conquête de la montagne. Pour ceux qui pratiquent l’humour noir, j’ai choisi cette photo où l’on voit les belles villas construites en haut du Morne Rigaud et les constructions plus modestes, partant de Bois Jalousie et montant à l’assaut des beaux quartiers.
En résumé, si nous revenons à notre propos initial : la problématique de la dégradation des bassins versants, on doit conclure que par delà les causes immédiates et directement observables, c’est la structure même de notre société, et pas seulement sur le plan économique, qui doit être remise en question et il n’est pas étonnant que tous les projets de reboisement et autres programmes de conservation de sol n’aient donné aucun résultat car, que je sache, personne n’a osé, à date, poser le problème dans toute sa profondeur.
Quelqu’un a dit, à propos des récentes catastrophes, qu’elles pouvaient représenter une chance pour Haïti. Oui, si le choc a été assez fort pour provoquer une sorte de sursaut national. On verra bien.
Bernard Ethéart
Haïti en Marche, Vol. XXII, No. 41, du 5 au 11 novembre 2008
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Alors … ces bassins versants ?
A la suite des « émeutes de la faim » du mois d’avril, le grand sujet de conversation était la « relance de la production agricole ». Même en l’absence d’un gouvernement légalement constitué, cette relance semblait être la priorité # 1 du pouvoir. Et puis sont arrivés ces quatre cyclones avec tout leur cortège de destructions et de malheurs pour les population touchées ; et un second thème s’est mis à occuper les esprits : la « protection des bassins versants ».
Or il se trouve que les deux sont intiment liés au point que ces deux objectifs peuvent paraître contradictoires. En effet la relance de la production veut certainement dire : augmentation de la productivité par des investissements dans les infrastructures agricoles, dans les équipements, les intrants ; mais on pourrait imaginer qu’elle passe aussi par une augmentation des surfaces cultivées. Et là, nous avons un problème.
En effet, une étude menée par un Groupe de Travail sur l’Agriculture (GTA), mis sur pied à l’initiative du Ministre Séverin dresse un tableau plutôt sombre. « Le pays est essentiellement montagneux avec plus de la moitié des terres possédant des pentes supérieures à 40 %. Les plaines occupent seulement 20 % de la superficie totale du pays avec 550.000 hectares. Sur une superficie de 2.775.000 hectares, 1.500.000 hectares de terre sont cultivés alors que seulement 770.000 hectares sont cultivables. » [1]
Autrement dit, le relief su pays nous impose des contraintes ; non seulement il n’y a pas de terres pour une augmentation des surfaces cultivées, mais déjà actuellement certaines terres sont cultivées qui ne devraient pas l’être, avec les conséquences néfastes que l’on peut prévoir. En effet l’étude du GTA poursuit : « La pression démographique et l’augmentation continue de la demande alimentaire poussent les agriculteurs à cultiver des terres marginales inaptes à toutes activités de production agricole. Il en résulte une dégradation de plus en plus accélérée des ressources naturelles. »
Un article de Agropresse à l’occasion des cyclones semble le confirmer. « La mauvaise gestion du foncier est l’une des causes majeures de la vulnérabilité des espaces cultivables aux catastrophes naturelles, selon l’ingénieur-agronome Serge Michel Pierre-Louis, spécialiste en environnement et en foncier. La densité élevée de la population conduit à une utilisation abusive des ressources forestières, et de manière générale à une utilisation abusive du sol, soutient-il. »
Mais ce n’est pas tout, hélas. En ce qui concerne les terres cultivables, le secteur agricole est en compétition avec d’autres secteurs souvent bien plus dynamiques, parce que disposant de moyens qu’il n’a pas. Nous allons passer en revue trois évolutions qui mettent en péril l’avenir de l’agriculture.
Le premier, le plus dangereux, mais aussi le plus visible, est ce qu’on appelle « l’étalement urbain ». Historiquement, nos villes les plus importantes, à l’exception d’une seule, ont été établies au bord de la mer, à proximité des grandes plaines. C’est compréhensible, les colons avaient besoin de ports pour expédier vers la métropole la production qui venait des plaines, le sucre en particulier. Mais avec le phénomène de l’urbanisation, l’extension des villes s’est faite aux dépens des plaines avoisinantes. Nous n’avons pas besoin d’aller très loin pour le constater ; une petite visite dans la Plaine du Cul-de-Sac peut nous convaincre de l’ampleur du phénomène.
Nous ne nous attarderons pas sur ce point. Il existe un programme de recherches, d’actions et de plaidoiries autour de la problématique de l’étalement urbain sur les terres agricoles d’Haïti, entrepris par quatre regroupements : CROSE, FONHADI, FONHDILAC, GREF, sur lequel nous aurons certainement l’occasion de revenir.
Le deuxième danger pour l’agriculture est la demande de terre pour l’implantation de zones franches. On ne sait pas assez que l’implantation du parc industriel de Ouanaminthe a provoqué le déplacement de près de deux cents familles paysannes. Ces derniers temps on en parle moins, mais il y a quelques mois, le Ministère du Commerce et de l’Industrie était inondé de projets d’implantation de zones franches, dont les promoteurs se fichaient pas mal de savoir si les terres sur lesquelles ils avaient jeté leur dévolu étaient occupées ou exploitées.
Le troisième danger est la demande de terre pour la production d’agro-carburants. Ce thème est également sorti de l’actualité, émeutes de la faim et cyclones obligent, mais on se souvient de ce projet de lancer le pays dans la production d’agrocarburants, projet fortement encouragé par des personnages aussi importants que George W. Bush et Luis Ignacio da Silva, dit Lula. La grande presse nationale s’était du reste enthousiasmée pour l’idée, je citerai seulement cet article de Jean Panel Fanfan paru dans le Matin du 1er juillet 2008 : « Produits pétroliers en hausse / Le biocarburant, seule opportunité pour Haïti ».
Le Nouvelliste, par contre, publie, le 24 mars 2008, une dépêche de Ronald Colbert dans AlterPresse : « Manifestation et pétition pour la production agricole nationale et contre le programme d’agro carburant ». Il s’agissait d’une manifestation organisée le 20 mars, sur la place Charlemagne Péralte, à Hinche, pour clôturer le congrès du 35ème anniversaire du Mouvement Paysan de Papaye (MPP).
Nous aurons probablement de revenir sur ce sujet de la compétition entre la production vivrière et la production de matières premières pour la production d’agro-carburants, et ce pas seulement en Haïti, sans parler de la responsabilité des agro-carburants dans la hausse des prix des denrées alimentaires au niveau mondial, dont il a beaucoup été question lors des émeutes de la faim.
Ceci dit, il y a peut-être une solution à cette quadrature du cercle, elle s’appellerait l’aménagement du territoire. Notre nouvelle Première Ministre en a parlé, lors de la présentation de son programme politique à la Chambre des Députés, comme d’une des priorités de son gouvernement. Mais, quand elle parle de déterminer quelles zones seront réservées à l’agriculture, aux installations industrielles, à l’habitat, etc, je me demande s’il ne s’agit pas de ce qu’on appelle un plan d’occupation du sol, qui est la première étape de l’aménagement du territoire proprement dit, autrement dit l’établissement de structures en vue d’une exploitation optimale de la ressource naturelle sol.
Si nous revenons à l’étude du GTA mentionnée plus haut, nous trouvons un « Tableau Résumé des Politiques, des Aires Privilégiées et des Termes de mise en œuvre ». pour les besoins de notre propos, nous ne retiendrons que les deux paliers concernant les aménagements :
Politique |
Aire Privilégiée |
Produit |
Aménagements hydro-agricoles |
Plaines irriguées et vallées inter-montagneuses |
Légumes, fruits |
Aménagement de bassins versants |
Montagnes humides et semi sèches |
Bananes, ignames, fruits, lait |
Alors que dans le domaine des aménagements hydroagricoles, nous pouvons montrer des réalisations, même si il y a encore beaucoup à faire, dans le domaine de l’aménagement des bassins versants, en dépit de tous les discours, c’est pratiquement le néant ; il s’airait de savoir pourquoi et ce qui peut être fait.
Bernard Ethéart
HEM, Vol. II, No. 38, du 15-21 octobre 2008
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- Category: – Bassins Versant (33)
Qu’est-ce qu’un bassin versant ?
L’intérêt général pour les bassins versants vient du fait que, de l’avis général, les inondations que le pays a connues au cours des dernières semaines sont dues à l’état de dégradation de la plupart de nos bassins versants. Il y aurait donc une étroite relation entre les bassins versants et l’écoulement des eaux de pluies et il n’est pas étonnant et il n’est pas étonnant que c’est à partir de là que l’on définisse un bassin versant, comme dans ce passage suivant que l’on peut trouver sur le net.
L’eau qui coule dans une rivière n’a pas une source mais une multitude de sources réparties le long de son parcours. Une rivière naît bien à sa source mais grandit au fur et à mesure qu’elle s’écoule vers la mer. Elle se charge de l’eau de ses affluents mais aussi de l’eau de pluie, infiltrée dans le sol ou provenant du ruissellement à sa surface. L’eau de pluie qui s’est infiltrée alimente les nappes souterraines : elle est accumulée dans le sol et peut ressortir dans le réseau de surface sous forme de sources ou de résurgences. L’eau qui ruisselle converge directement vers la rivière. L’ensemble des terres qui recueillent les eaux de pluie pour les concentrer dans la rivière constitue le bassin versant.
On en arrive donc tout naturellement à cette définition : un bassin versant est une portion de territoire délimitée par des lignes de crête, dont les eaux alimentent un exutoire commun : cours d’eau, lac, mer, océan, etc. Chaque bassin versant se subdivise en un certain nombre de bassins élémentaires (parfois appelés « sous-bassin versant ») correspondant à la surface d’alimentation des affluents se jetant dans le cours d’eau principal.
Dans un pays comme Haïti, avec plus de la moitié des terres possédant des pentes supérieures à 49 %, on peut imaginer que l’on va trouver un grand nombre de bassins versants. Et de fait, on s’accorde pour identifier 30 bassins versants, 54 si on tient compte des sous-bassins. Cela va du plus étendu, celui de l’Artibonite, avec 6.336 kilomètres carrés, et ses dix sous-bassins, parmi lesquels on peut identifier la Rivière Canot, le Bouyahha, le Ouandever cher à mon cœur (sur la carte on le trouvera désigné comme Onde Verte), le Fer-à-Cheval, la Thème, etc, aux plus petits : Fonds Verrettes et l’île de la Tortue, avec respectivement 189 et 179 kilomètres carrés.
Et puisque c’est à partir de la circulation de l’eau qu’on définit les bassins versants, nous allons nous arrêter un moment à ce qu’on appelle le cycle de l’eau.
Le cycle de l’eau
On peut faire partir ce cycle des océans, qui, par évaporation, humidifient les masses d’air véhiculées par les vents. La condensation de la vapeur d’eau forme les nuages, qui sont à l’origine de la pluie. Une partie de l’eau de pluie va retourner à l’atmosphère par évaporation au niveau des nappes d’eau libres : lacs, étangs, mares, retenues. Une autre partie est perdue au niveau du sol par l’évapotranspiration : l’eau est absorbée par les végétaux ou les animaux et restituée à l’atmosphère par transpiration.
L’eau qui n’est pas resituée à l’atmosphère migre sous deux formes :
1. l’écoulement de surface dans les cours d’eau qui peuvent transiter dans des zones de stockage naturel : étangs, mares, ou artificiel : retenues, avant d’arriver finalement à la mer ;
2. l’écoulement souterrain : l’eau de pluie qui s’est infiltrée est stockée en profondeur dans des réservoirs constitués de roches poreuses, mais parvient finalement à la mer.
La couverture végétale
Quand on parle de la dégradation de nos bassins versants, on fait référence aux mornes complètement dénudés suite à une exploitation abusive des bois dont ils étaient couverts à l’origine. Et de fait, la couverture végétale d’un bassin versant joue un rôle primordial dans le déroulement du cycle de l’eau et de différentes manières.
1. on a déjà signalé le mécanisme de la transpiration, commune à tous les êtres vivants et par lequel l’eau est restituée à l’atmosphère ;
2. la biomasse aérienne, autrement dit le feuillage,
∙ intercepte une plus ou moins grande partie des précipitations,
∙ capte plus ou moins brouillard et rosée,
∙ protège plus ou moins efficacement le sol contre l’insolation, donc l’évaporation, et contre l’érosion pluviale ;
3. l a biomasse souterraine, autrement dit les racines,
∙ pompe l’eau du sol et des nappes qu’elle peut atteindre ;
4. les déchets de la couverture végétale, les feuilles mortes, en devenant humus, accroissent la teneur en matière organique des sols et leur capacité de rétention de l’eau.
On peut donc conclure à la nécessité de la reconstitution de la couverture végétale des bassins versants, mais devant l’échec patent de tous les programmes de reboisement entrepris au cours des dernières décennies, il y a aussi nécessité de repenser les actions à entreprendre sur nos mornes. Nous nous proposons d’apporter notre contribution, si modeste qu’elle, soit à cette réflexion.
Bernard Ethéart
Haïti en Marche, Vol. XXII, No. 39
du 22 au 28 octobre 2008
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- Category: – Bassins Versant (33)
Il est interdit d’interdire
Les moins jeunes se souviennent de ce principe né dans la vague qui a pris naissance à la fin de la décennie 60 ; cela s’est concrétisé dans cette fameuse éducation anti-autoritaire que les jeunes parents que nous étions avons tenté de mettre en pratique. Mais, pour notre propos d’aujourd’hui, je voudrais modifier quelque peu la formule et l’énoncer ainsi : « il est inutile d’interdire », sous-entendu, « quand on n’a pas les moyens de faire respecter l’interdiction ».
Je pense à ce spot de la Chambre de Commerce et d’Industrie d’Haïti (CCIH) que l’on peut entendre sur plusieurs radios depuis les catastrophes naturelles qui ont frappé le pays en août-septembre. « Il faut que l’Etat interdise la coupe du bois etc … » J’aime bien Jorbit, mais je dois lui rappeler que cette interdiction, ou tout au moins réglementation, de la coupe du bois existe depuis longtemps ; elle n’a rien donné, parce que les moyens de la faire appliquer n’existent pas, ou ne fonctionnent pas.
Je me souviens, dans les années 70, chaque fois que je me rendais aux Cayes, pour le suivi du projet de développement communautaire chrétien (DCC) de Robert Ryo, curé de Laborde, je m’amusais à lire une pancarte accrochée à la barrière d’une petite propriété, juste avant la descente du Morne Coma qui vous mène à Vieux Bourg d’Aquin. Elle disait : « Ici on vend le papier du charbon ». Vous avez compris ; cette maison était celle d’un agent du Ministère de l’Agriculture qui avait pour rôle de contrôler la coupe du bois. Quand un paysan voulait abattre un arbre, il fallait qu’il obtienne l’autorisation de cet agent. Eh bien, l’agent en question, il vendait l’autorisation. Comment voulez-vous qu’une interdiction soit respectée quand celui qui a la charge de la faire respecter la détourne à son propre bénéfice ?
Mais ce n’est pas tout. On a déjà signalé que la production du charbon peut représenter une part non négligeable des revenus du paysan. Toutes les bonnes paroles autour de la lutte contre le déboisement ne font pas le poids devant le primum vivere. Je me souviens, c’était au début des années 70, j’étais récemment revenu d’Allemagne, j’ai été invité à accompagner des agents du Ministère de l’Agriculture lors d’une visite au Morne l’Hôpital. Et j’entendais cet animateur faire tout un discours sur la nécessité de ne pas couper les arbres, et, parmi les arguments qu’il utilisait, il y avait les dégâts causés par les dernières grosses averses. Effectivement toute la zone du cimetière avait été récemment inondée et encombrée de sédiments. Je me disais en moi-même, qu’est-ce que le paysan du Morne l’Hôpital en a à foutre des inondations à Port-au-Prince ?
Evidemment, à la CCIH, on sait bien qu’une simple interdiction ne suffit pas et qu’il faut l’accompagner de mesures de substitution qui feraient perdre au charbon et au bois de chauffe leur valeur. Et de suggérer une baisse des tarifs des produits pétroliers, de manière à les rendre plus compétitifs par rapport aux combustibles traditionnels. J’ai longtemps été partisan d’une telle politique, mais les informations que j’ai pu recueillir pour préparer mes émissions sur le développement durable m’incitent à réviser ma position, comme on dit bien, seul Dieu et les imbéciles ne changent pas.
Il s’agit de ce qu’on appelle le cycle du carbone. On sait que le gaz carbonique est un des grands responsables de l’effet de serre qui est cause du réchauffement de la planète. Ce gaz carbonique est rejeté dans l’atmosphère, d’une part par tous les êtres vivants, végétaux ou animaux, au cours de le respiration, mais aussi par toute combustion ; chaque fois que nous brûlons quelque chose, nous produisons du gaz carbonique. Le gaz carbonique de l’atmosphère est absorbé par les végétaux au cours de cette opération très compliquée qu’on appelle la photosynthèse.
On parle donc du cycle du carbone pour décrire ce passage du carbone de l’atmosphère dans les organes des végétaux, par la photosynthèse, et des autres êtres vivants qui consomment ces végétaux, puis son retour dans l’atmosphère par la respiration des êtres vivants ou la combustion du bois. Pendant des millénaires, il y a eu un certain équilibre entre le carbone absorbé et le carbone rejeté. Jusqu’au moment où l’homme s’est mis à utiliser des combustibles fossiles : charbon minéral, pétrole, gaz naturel. L’équilibre s’est trouvé rompu parce ces combustibles sont composés de carbone, mais d’un carbone emprisonné depuis des millénaires dans les profondeurs du sol, d’où leur nom de combustibles fossiles.
En les faisant brûler, on libère donc un carbone qui n’était pas dans le cycle que nous venons de décrire ; la quantité de gaz carbonique produit augmente donc considérablement et ce gaz va s’accumuler dans les hautes couches de l’atmosphère, contribuant à cet effet de serre cause de tant de problèmes.
Ayant compris cela, je me suis demandé si nous devions contribuer à augmenter la quantité de carbone fossile libéré et si nous ne pourrions pas trouver le moyen de continuer à utiliser nos combustibles traditionnels sans provoquer les dégâts que l’on sait. On me dira que notre production de gaz carbonique ne pèse pas bien lourd devant celle d’un pays comme la France, pour ne pas parler des Etats Unis. Sans doute, mais pourquoi ne donnerions-nous pas l’exemple ? Cette méthode existe, et nous y reviendrons certainement, car c’est un de mes dadas.
Mais avant cela, je voudrais citer un autre cas d’interdiction inutile, et pour cela je reviens à notre cher Morne l’Hôpital. Je ne sais de quand date la création de l’Organisme de Surveillance du Morne l’Hôpital (OSAM) placé sous la tutelle du Ministère de l’Intérieur ; mais, chaque fois qu’un port-au-princien jette un regard vers le sud, il ne peut s’empêcher de penser que cet organisme n’a pas été très efficace.
Je me souviens d’avoir dit à Anthony Dessources, à un moment où il n’était plus directeur de l’OSAM, qu’à mon avis, la mission de l’OSAM avait été mal définie. Dans un pays caractérisé par un exode rural incontrôlé et par une centralisation qui résiste à toutes les tentatives de redressement de la situation, il est évident que la capitale doit faire face à une très forte demande d’espace habitable. Tant qu’on n’aura rien fait de sérieux pour relancer l’agriculture et revitaliser les villes de province, Port-au-Prince devra faire face à une demande croissante d’espace, et il est illusoire de penser qu’on puisse bloquer ces constructions sur le Morne l’Hôpital.
Je dirais même que, puisqu’entre deux maux il faut choisir le moindre, plutôt que de voir la ville continuer à s’étaler sur les terres agricoles, je préfère encore qu’elle escalade la montagne. Bien sûr, pas dans n’importe quelles conditions. C’est le sens de ce que je disais à Tony Dessources ; on ne peut pas empêcher les gens de construire, mais on peut leur donner certaines directives. Je pense à des normes d’urbanisme qui éviteraient cette densité de l’espace bâti qui ne laisse aucun espace pour la circulation, voire des espaces verts, comme le montre cette photo prise sur un versant de la source Cerisier ; je pense à des normes au niveau de la construction qui préviendraient de catastrophes comme celle que nous venons de vivre à Nérette.
Dans un film sur Port-au-Prince, réalisé par son frère Frantz, Leslie Voltaire avait exposé son rêve de voir le Morne l’Hôpital se présenter comme un tableau de Préphète Dufaut, avec des maisons partout, mais joliment peintes et séparées par des espaces de verdure, des voies d’accès, etc. Je peux très bien partager ce rêve avec lui, mais il faut prendre les mesures adéquates.
Bernard Ethéart
Haïti en Marche, Vol. XXII, No. 42, du 12 au 18 novembre 2008