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La compensation carbone
Le principe de compensation est issu du Protocole de Kyoto de 1997 à travers la mise en place des Mécanismes de Développement Propre (MDP). Les MDP sont des méthodologies d’aide au développement dans les pays pauvres par la mise en œuvre de projets qui permettent de compenser les émissions de gaz carbonique (CO2) émises dans le monde. D’après Kyoto, cet effort doit être supporté prioritairement par les pays riches, ceux-ci étant les plus gros émetteurs.
Les pays riches sont ainsi en mesure de « compenser » les dommages collatéraux (environnementaux, voire sociaux) de leur développement non durable en finançant des projets censés à la fois diminuer leur empreinte carbone, et par ailleurs apporter de l’argent dans les pays pauvres pour mettre en place des projets qui auront un impact sur leur développement. Ces projets concernent les énergies alternatives (éolienne, solaire, biomasse …), les économies d’énergie ou optimisations énergétiques et la reforestation par exemple.
Un peu d’histoire
Comme déjà dit, ces mécanismes remontent à la Conférence de Kyoto (Japon), en 1997. En effet, pour la première fois, avec le Protocole de Kyoto, les pays industrialisés ont accepté de limiter leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) responsables du réchauffement de la planète. Ils se sont engagés à réduire globalement leurs émissions de 5,2 %, pour la période 2008-2012, par rapport à leur niveau de 1990.
Ce protocole intervenait cinq ans après le sommet de la terre, à Rio de Janeiro (Brésil), en 1992, qui avait vu la création de la Conférence Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC), et où 189 pays s’étaient engagés à stabiliser les émissions de GES. On avait en effet constaté que, cinq ans après Rio, la situation n’avait pas évolué, d’où la décision de réunir une nouvelle conférence, où les participants prendraient des engagements chiffrés.
Cependant, au cours des discussions, il a bien fallu tenir compte du fait que, imposer des contraintes environnementales impliquait des coûts. On a donc imaginé, pour les réduire, une monétarisation des GES, avec la création d’un marché de GES qui confère une valeur marchande à la tonne de CO2. Ce sont les Accords de Marrakech, adoptés en 2001, qui fixent les règles de fonctionnement des MDP.
Principe des MDP
Une entreprise, dans un pays industrialisé, investit dans un projet de réduction des émissions GES dans un pays en développement. En échange des réductions constatées, un volume équivalent d’Unités de Réduction d’Emissions Certifiées (UREC) lui est délivré. Cet investisseur pourra vendre ces Unités ou les déduire de ses obligations internationales de réduction.
Nature des projets
Les secteurs concernés par des projets MDP sont : l’énergie, le traitement des déchets, l’industrie, le secteur résidentiel et tertiaire, les transports, l’agriculture et le secteur forestier. Les projets MDP peuvent être des projets d’économie d’énergie, de changement de combustible, d’énergies renouvelables ou des projets « puits de carbone » (pour le secteur forestier).
L’intérêt pour Haïti
Par le biais des MDP, un projet énergétique ou forestier dans un pays en développement (PED) peut vendre des crédits carbone à un pays industrialisé. Les crédits carbone représentent la contribution du projet à l’atténuation du changement climatique, que ce soit une réduction d’émissions de GES ou une absorption de carbone.
Il y a quelque temps déjà que j’avais entrevu une opportunité pour Haïti, et j’en avais fait le thème d’une émission sur Mélodie and company, le 29 janvier 2001, sous le titre : Le Marché du carbone (on peut trouver la transcription de cette émission sur le site www.etheart.com). L’idée centrale était qu’il y avait là un moyen de financer des projets de reboisement qui, comme on le sait, sont très coûteux.
Conditions de fonctionnement
Il y a cependant des conditions à remplir pour bénéficier de ces mécanismes. En premier lieu, il faut que les deux états impliqués aient ratifié le Protocole de Kyoto. Il faut aussi que le projet contribue au développement durable du pays où le projet sera exécuté. Mais ce sont des conditions de type institutionnel qui me posent le plus de problèmes.
Ainsi, le pays où le projet sera exécuté doit mettre en place une Autorité Nationale Désignée (AND) qui détermine les critères de développement durable propre au pays et contrôle le processus d’approbation du projet. Il faut également la mise en place d’Entités Opérationnelles Désignées (EOD), responsables de la validation, de la vérification des projets MDP et de l’information du Public. Il est aussi question d’un Conseil Exécutif qui a pour rôle de superviser la mise en place du MDP, d’enregistrer les projets MDP et de délivrer les UREC.
Je crois savoir que nous avons ratifié le Protocole de Kyoto, mais je n’ai aucune idée du point où nous en sommes avec la mise en place des institutions devant jouer un rôle dans la mise en œuvre des mécanismes. C’est là une question qu’il faudrait poser aux représentants du Ministère de l’Environnement.
Bernard Ethéart
Haïti en Marche, Vol. XXII, No. 49,
du 31 décembre 2008 au 6 janvier 2009
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Emission du |
22/01/08 |
Thème |
L’agroforesterie |
Invité |
Edna Civil Blanc Alain Thermil |
Transcription
Bernard |
Aujourd’hui nous avons une émission un peu particulière. Au départ, c’est Alain Thermil, après qu’il ait fait une émission sur le PATRAI, qui avait parlé de revenir pour une émission sur les bassins versants, pour parler d’une gestion plus intelligente des bassins versants. Puis, au début de l’année, il m’a dit : j’ai mieux ; il y a quelqu’un à la FONHDILAC qui est la femme de référence sur l’agroforesterie. C’est notre amie Edna Civil qui nous est revenue de l’étranger. Nous connaissons Edna depuis longtemps ; elle était à l’université et participait aux rencontres du RENAH-FIDA/CIARA. Puis elle a disparu de la circulation et maintenant elle nous revient comme femme de référence sur l’agroforesterie, et Alain a décidé de l’amener à ce micro. Donc, Edna, bonsoir. |
Edna |
Bonsoir Bernard, bonsoir Alain, bonsoir à toutes les auditrices et auditeurs. |
Bernard |
Au cours de notre échange de correspondance pour la préparation de cette émission, Edna m’a écrit : je vais parler des dimensions de l’agroforesterie, plus particulièrement des aspects socio-économiques et culturels, de son application dans les pays en voie de déve-loppement et les pays développés, particulièrement de la façon dont les innovations et les techniques agroforestières peuvent aider à pallier aux problèmes causés par les pratiques agricoles en Haïti, ainsi que de leur apport dans l’amélioration du revenu de l’agriculteur. Voilà tout un programme, Edna, nous sommes tout oreille. Tu vas commencer par nous dire ce qu’est l’agroforesterie. |
Edna |
Quand on parle d’agroforesterie, on voit les forêts, et quand une haïtienne parle d’étudier l’agroforesterie, on lui dit : quelle idée folle, il n’y a plus de forêts en Haïti. Mais l’agroforesterie c’est plus que les forêts ; c’est une discipline qui n’est pas nouvelle, ou plutôt une discipline nouvelle pour des pratiques anciennes. Les agriculteurs ont toujours pratiqué l’agroforesterie, aussi bien dans les pays en voie de développement que dans les pays développés. Avec la révolution industrielle et l’exploitation de grandes surfaces dans les pays industrialisés, on a vu une disparition de ces pratiques, mais dans les pays tropicaux elles existent toujours. Avec les difficultés que connaissent de nombreux pays, développés ou en voie de développement, on revient aux pratiques agroforestières pour pallier à une série de situations : problème de déforestation, crise du bois, sécheresse, en particulier dans les pays du Sahel. Le plus grand centre de recherche en agroforesterie est à Nairobi (Kenya), c’est le ICRAF (International Center for Research in Agroforestry), mais il s’en est créé plusieurs autres depuis. |
Bernard |
Tu as été au Kenya ? |
Edna |
Pas encore, mais j’aimerais bien. L’agroforesterie est une nouvelle discipline et on a mis du temps à lui trouver une définition. En 1982, deux auteurs ont proposé la définition suivante : « l’agroforesterie est un système d’aménagement durable qui accroît les rendements globaux, combine les cultures, les plantes forestières et les animaux, séquentiellement ou de manière simultanée, sur la même parcelle, et applique des techniques qui sont compatibles avec les habitudes sociales des populations locales ». Cette définition date de 1982, car c’est dans les années 80 que l’agroforesterie a commencé à prendre sa dimension scientifique. Au 1er congrès sur l’agroforesterie, qui s’est tenu en Floride en 2004, on a révisé cette définition. « L’agroforesterie », suivant la déclaration d’Orlando, « est un système dynamique d’aménagement écologique des ressources naturelles qui, en intégrant les espèces ligneuses aux champs agricoles, fermes et autres paysages, diversifie, augmente la production et engendre des bénéfices sociaux, économiques et environnementaux pour les propriétaires terriens. » Donc, si on regarde bien ces définitions, on voit que l’agroforesterie ce n’est pas seulement de l’agriculture et de la foresterie … |
Bernard |
C’est justement là où je voulais en venir. Toutes ces définitions, c’est bien joli, c’est de la littérature, mais je ferai une première remarque. Tu as dit que le 1er congrès s’est tenu en 2004 ; c’est tout récent, en tant que science, mais en tant que pratique, c’est autre chose. Maintenant ce que je veux dire, pour nous autres haïtiens, quand le paysan a travaillé toute la terre plane disponible, tandis qu’il n’arrête pas de faire des enfants, il va dans les mornes, déboise et fait des cultures sur de nouvelles terres. C’est ce qu’on appelle les « bois neufs ». Mais en pratiquant des cultures sarclées en montagne on accélère l’érosion. L’agroforesterie permettrait, au lieu de détruire la forêt, de combiner forêt et jardin, de cultiver sous les arbres, évidemment pas n’importe quel arbre. On ne peut pas faire des cultures sous les manguiers, leur feuillage est trop dense et produit trop d’ombre. L’agroforesterie c’est l’association de cultures, culture vivrière et culture d’espèces ligneuses. |
Edna |
En d’autres termes, pour donner une définition haïtienne, l’agroforesterie c’est quand l’agriculteur décide de mettre sur la terre qu’il exploite, des arbres et des cultures vivrières. Il peut aussi mettre des animaux sur cette même parcelle. |
Bernard |
Et comment s’appelle cette technique ? |
Edna |
Je ne veux pas le dire maintenant car je compte y revenir. |
Bernard |
Tu m’enlèves une occasion de faire l’intéressant. |
Edna |
L’agroforesterie n’interpelle pas seulement ceux qui sont dans l’agriculture et la foresterie, mais aussi les spécialistes en sociologie, en économie rurale, en anthropologie, en géographie. L’agroforesterie s’est la réconciliation des arbres avec les cultures vivrières, de l’économie avec l’écologie. Elle accroît les revenus tout en préservant les ressources naturelles ; elle accompagne la diversité de l’économie rurale et augmente les revenus des paysans. On ne la pratique pas seulement pour des raisons esthétiques, bien que les parcelles cultivées en agroforesterie soient très belles, mais parce que c’est un système productif et efficace. L’élément indispensable, c’est l’arbre. C’est dans cette optique que l’aspect écologique est important ; on ne peut avoir d’agroforesterie sans les arbres. C’est là qu’on a la durabilité du système. C’est aussi un système qu’on a développé pour s’adapter aux techniques culturales modernes. Elle favorise une meilleure valorisation des éléments naturels : les éléments nutritifs, l’eau, la lumière. Si on a une association arbres-maïs, le maïs s’approvisionne dans les couches supérieures du sol, alors que l’arbre puise ses éléments nutritifs plus en profondeur, puis les restitue à la surface par la chute des feuilles. Pour l’eau, c’est la même chose. L’arbre rend l’eau disponible pour les cultures vivrières, car quand il perd ses feuilles, celles-ci forment une litière qui retiendra l’eau de pluie. C’est ce qu’on appelle l’interaction positive. Mais il y a aussi la compétition. Elle est toujours présente, qu’il s’agisse des éléments nutritifs, de l’eau ou de la lumière. L’agroforesterie amène aussi la facilitation, et c’est ce dont Bernard parlait tout à l’heure. Ainsi on ne peut utiliser n’importe quel type d’arbre. Il faut des essences forestières dont les racines pénètrent profondément, pour ne pas nuire aux autres cultures, dont les cîmes ne sont pas trop larges, créant trop d’ombre. C’est pourquoi on choisit des légumineuses, des arbres qui portent des gousses riches en azote qu’ils ont capté de l’atmosphère et qu’ils mettent ensuite à la disposition des autres cultures. Les légumineuses sont aussi de bonnes sources de fourrage pour l’alimentation du bétail. |
Bernard |
Donne-moi un exemple de légumineuse. |
Edna |
Le leucena, qu’on appelle aussi délin. |
Bernard |
Bon, ce n’est pas exactement la même chose ; leucena et délin sont cousins, mais le délin est une plante endémique, tandis que le leucena a été introduit en Haïti récemment. |
Edna |
Il y a aussi l’acacia. |
Bernard |
Le flamboyant aussi ? |
Edna |
Oui, toutes les plantes à gousses sont en général des légumineuses. Maintenant on peut commencer à parler des types de systèmes agroforestiers existants ; il y en a trois :
|
Bernard |
C’est là où je voulais en venir ; parce que, dans le cadre d’un projet à la Forêt des Pins, l’équipe de techniciens était arrivée à la conclusion qu’il fallait développer un système agro-sylvo-pastoral. C’est ce que je voulais que tu dises, maintenant je suis satisfait. |
Edna |
De ces systèmes ont découlé toute une série de techniques, chacune en fonction de la zone concernée. Les techniques que l’on utilisera dans la Plaine du Cul-de-Sac ne seront pas celles utilisées dans la plaine de Léogane, ou dans les mornes. Il y a des techniques appropriées à chaque condition écologique. Elles dépendent de la manière dont on dispose les composantes que sont les arbres, les cultures vivrières, le bétail. Il y a des arrangements spatiaux et des arrangements temporels. Un exemple d’arrangement spatial serait un système intercalaire régulier où les cultures alternent avec des rangées d’arbres. On peut aussi avoir un système irrégulier, comme dans un « jaden-lakou ». Dans l’aménagement temporel, les composantes ont une présence simultanée ou séquentielle sur la parcelle. Dans le cas de la jachère, on a une présence séquentielle. |
Bernard |
Tu veux dire en alternance : une fois c’est cette composante, puis c’est l’autre, puis on revient à la première. |
Edna |
Le système agroforestier est pensé en raison d’une fonction : nutritionnelle, fourragère, conservationniste, productrice de bois pour le chauffage ou autres usages. Comme on l’a déjà dit, la technique sera différente dans chaque zone écologique, et il y aura autant de techniques qu’il y a d’utilisateurs. Il y a aussi des techniques traditionnelles, qui ne répondent plus aux besoins, d’où l’introduction de techniques modernes, innovantes, issues de la recherche. Avec cela nous touchons à un autre point, car dès qu’on parle de techniques modernes, on parle de recherche. Comme toute discipline scientifique, l’agroforesterie dépend de la recherche. On en pratique dans de nombreux pays, mais Haïti est un des pays qui restent à la traîne. Pourtant, dans un pays où la majorité de la population vit de l’agriculture, et où beaucoup d’agriculteurs pratiquent l’agroforesterie, avec des systèmes traditionnels, il devrait y avoir une recherche qui propose des techniques modernes, innovantes, de manière à améliorer les rendements. |
Bernard |
Je vais venir avec autre chose. L’agroforesterie c’est l’association des cultures vivrières avec les bois. Il y a d’autres types d’associations, des associations de cultures vivrières. Il y a des années la France a financé un programme de stages pour les étudiants de la FAMV (Faculté d’Agronomie et de Médecine Vétérinaire) sur le Plateau de Salagnac, au-dessus de Fonds-des-Nègres, et ils ont découvert que les paysans pratiquaient des associations de cultures, que les agents d’extension condamnaient, au nom de la modernité (monoculture, avec application d’engrais et de pesticides chimiques), alors que ces associations avaient toute leur logique. Le paysan ne pouvait pas l’expliquer, n’ayant aucune notion de botanique, de chimie et autres sciences, mais la pratique la lui avait apprise. |
Alain |
Une association classique c’est maïs-pois (haricot). Le pois, comme Edna l’a expliqué, est une légumineuse, il permet au maïs de profiter de l’azote … Les techniciens ne connaissent pas ces pratiques, les agronomes non plus, du reste, qui ne connaissent que la monoculture, plus facile à contrôler … |
Bernard |
… et qui rend la mécanisation plus facile … |
Alain |
… car quand tu rentres dans les associations de cultures, tu prends disons 2 cultures, pour faire plus facile, le calcul de rendement devient un casse tête. |
Bernard |
J’ai un autre cas très amusant. Il y a quelques années, Bob Maguire, de la Fondation Inter-Américaine, avait fait venir en Haïti un paysan de la Dominique, Andrew Rouyer. Andrew faisait de l’agriculture bio avant la lettre ; pour protéger certaines cultures des chenilles, il intercalait, entre ses bandes de légumes, des bandes de fleurs, en l’occurrence des soucis, qui ont une très forte odeur. Tu m’excuses de l’interruption. |
Edna |
Au contraire, c’était très intéressant, car on ne fait pas de l’agroforesterie pour faire de l’agroforesterie, il faut un objectif. J’ai aussi une anecdote. Mon professeur à Laval, qui est un des pionniers de l’agroforesterie au Canada, a fait de la recherche au Burkina Faso. Il a mis au point une variété de sorgho (petit mil) résistante à un parasite qui infestait les plantations. Il s’est rendu compte que les paysans n’appréciaient pas son sorgho : ils n’en aimaient pas le goût, mais surtout il résistait moins bien à la sécheresse et ne pouvait pas produire toute l’année. Il a compris qu’il n’avait pas tenu compte de l’aspect nutritionnel et du besoin de sécurité alimentaire. Les arbres ont de nombreux usages : alimentation, fourrage, médecine, bois de chauffe, bois d’œuvre, haies vives fertilisation du sol, l’ombre. Dans l’agroforesterie, on ne laisse rien passer. Les arbres sont décortiqués pour voir ce qu’on peut tirer des produits ligneux : le bois, l’écorce, dont on peut extraire des essences, et des produits non ligneux : fruits, graines, feuilles pour le fourrage, fleurs, essences, même la sève (sucre d’érable) |
Appel |
Le point de vue des petits producteurs … |
Edna |
Il ne s’agit pas de marier les cultures pour marier les cultures ; il faut analyser les conditions pour savoir quel mariage permettra d’augmenter les rendements tout en protégeant l’environnement. Pour revenir à l’utilisation du bois, j’ai amené quelques chiffres : ∙ au Mozambique, une famille de 6 personnes consomme, en moyenne, 7 m3 de bois de feu par an ∙ au Ruanda, 96,2 % des ménages utilisent le bois comme source d’énergie ∙ à Java, 63 % de l’énergie vient du bois ∙ pour la région Asie-Pacifique, le bois est la source d’énergie pour 2 milliards de personnes ∙ en Haïti, le bois est la source principale d’énergie en milieu urbain comme en milieu rural. |
Bernard |
En milieu urbain, on utilise le charbon de bois, en milieu rural le bois mort. |
Edna |
En milieu rural, 90,25 % de bois mort, 25,97 % de charbon. |
Alain |
Il faut rappeler que ces données datent de 2003, nous sommes en 2008, avec l’augmentation du prix de la bonbonne de gaz, les chiffres sont probablement plus élevés. Ce qui est intéressant avec le charbon de bois, c’est que comme d’habitude, en Haïti, nous posons mal le problème. Le bois est une ressource naturelle renouvelable ; en Haiti on ne comprend pas ce que cela veut dire. Une ressource naturelle est là pour être exploitée pour le bien-être de l’homme ; l’important est de gérer la ressource naturelle renouvelable. Il faut un plan énergétique … |
Bernard |
… c’est dans le document d’Edna : elle parle de forêt énergétique, mon dada, l’exploitation rationnelle de la ressource naturelle renouvelable. Mais il y a autre chose ; j’ai fait une émission avec Georges Michel sur l’utilisation du charbon. Et George disait que la technique que nous utilisons pour faire le charbon nous fait perdre tout un tas de substances, alors qu’il existe de techniques de fabrication du charbon qui permettent de récupérer ces substances qui autrement partent en fumée. On a donc un revenu supplémentaire à partir de ces substances. |
Alain |
Il faut poser le problème différemment, et l’agroforesterie permet d’aller dans ce sens. |
Bernard |
Madame la femme de référence, je ne sais pas si tu vois une aiguille … |
Edna |
… je la vois et je me demande si nous aurons le temps de rentrer dans l’histoire de l’agro-foresterie. |
Bernard |
Il y a un chapitre où tu parles des institutions qui font de l’agroforesterie en Haïti : Oxfam Québec, le Projet Transfrontalier, le projet de la FAO à Marmelade. |
Edna |
Oxfam Québec a un projet à Petite Rivière de Nippes … |
Bernard |
… pour lequel j’avais invité Manolo, mais le jour où il devait venir, la rivière est descendue ! |
Edna |
J’ai travaillé sur ce projet pour mon mémoire de maîtrise. |
Bernard |
Ou est ce mémoire ? |
Edna |
Tu l’auras ; le mémoire traitait de l’évaluation socio-économique des pratiques agroforestières. |
Alain |
Tu nous as fait une belle présentation de l’agroforesterie, mais si tu pouvais nous donner des éléments à partir de ta thèse. |
Edna |
A Marmelade, j’ai vu des choses très intéressantes autour du travail de la FAO avec le bambou et la canne-à-sucre, deux espèces intéressantes, car il y a toujours une demande pour la canne et la FACN fait des meubles avec le bambou. |
Bernard |
En fait, je n’ai jamais compris pourquoi la Fédération des Associations Caféières Natives (FACN) se lançait dans le bambou. Quelle est la relation entre le café et le bambou ? y a-t-il une association café-bambou ? |
Edna |
Je ne sais pas, mais l’essentiel est que la FACN fait du bambou … |
Bernard |
… et des meubles en bambou. |
Edna |
Il y a une tendance à développer un système agro-sylvo-pastoral, et ils pensaient faire une association avec VETERIMED. |
Bernard |
Ce que je voulais dire, c’est que là ou j’ai entendu parler de système agro-sylvo-pastoral, c’était à la Forêt-des-Pins. Un des problèmes, là-haut, c’est la présence d’une population qui vit dans la forêt et qui coupe des arbres pour planter de la pomme-de-terre qui est vendue aux Dominicains. Bien sur, ils font aussi du charbon et des planches … |
Alain |
Même si nous n’avons plus beaucoup de temps, il faut quand même signaler que c’est une des zones du pays où la coupe du bois est interdite. On n’a pas le droit de couper un arbre vivant, alors les gens utilisent un truc … |
Bernard |
… je connais cela depuis mon enfance ; ils coupent l’écorce, l’arbre meurt et alors ils peuvent le couper. Donc pour la forêt, il y a une ONG qui a lancé la formule agro-sylvo-pastoral et, puisque tu parles de VETERIMED, VETERIMED a installé une laiterie juste au-dessus de Savane Zombi. |
Edna |
Cela ne dérange pas qu’on fasse cette production dans la forêt. Il y a 2 méthodes : soit on introduit les arbres dans l’espace agricole, soit on introduit l’agriculture dans l’espace forestier. Ce qui est important, c’est que les techniques ne détruisent pas l’environnement. |
Bernard |
Tu as parlé d’arrangement spatial ; l’INARA avait fait un travail pour ce projet dans la localité de Mare Bœuf. Nous avons identifié, à partir du relief, quelles zones devaient rester réservées à la forêt et quelles zones pouvaient avoir des cultures maraîchères. |
Edna |
Tu sais que la Forêt-des-Pins est une réserve naturelle, elle n’est donc pas supposée être habitée. |
Bernard |
Chérie, je vais te dire quelque chose : ça c’est la théorie. Il y a un crétin au Ministère de l’Agriculture qui est radicalement opposé au projet, parce que « une forêt ne doit pas être habitée ». Mais les gens sont là, depuis plusieurs générations, et ce même ministère a perçu pendant des années un droit de fermage de ces gens. |
Edna |
Il peut y avoir du monde, c’est la gestion qui est importante. |
Alain |
Il y a plusieurs façons d’exploiter une forêt ; ainsi il y a l’écotourisme, si notre ami nous entend, il sera content, qui est une exploitation durable. |
Bernard |
Il faut rappeler qu’une bonne partie des dégâts est causée par des gens qui ne vivent pas dans la forêt. Ce sont des gens qui montent de Fonds-Verrettes, par exemple, pour couper des arbres, faire des cultures etc. |
Edna |
Il y a des chiffres. Toute la littérature que j’ai utilisée pour mon mémoire dit que la couverture forestière est de 1 %, la couverture végétale de 3 %. |
Alain |
Je le redis, ce sont des chiffres qui m’irritent … |
Bernard |
… on en a déjà parlé … |
Alain |
… c’est la forêt primaire qui est a moins de 2 %, c’est à dire la forêt que la nature a mise, qui est la depuis la nuit des temps… |
Bernard |
… celle que Christophe Colomb a trouvée en arrivant … |
Alain |
… mais il y a des espaces boisés, regarde les Nippes, par exemple … |
Bernard |
… sur la route qui va du Borgne à l’Anse-à-Foleur, il y a de la forêt, et je pense même que c’est une forêt primaire. |
Alain |
Dans son papier, Edna parle de la République Dominicaine où la « Naturaleza » fait de l’agroforesterie ; c’est quoi cette Naturaleza ? pour Haïti, tu donnes des exemples : Oxfam, Projet Transfrontalier, FAO, mais cela vient de l’extérieur ; j’ai l’impression qu’en République Dominicaine ils sont plus avancés que nous. |
Edna |
Ils sont très intéressés. J’ai eu l’occasion de participer à un forum en République Dominicaine, en juin 2006 ; nous avons visité un projet, de Naturaleza, je pense, où ils produisent des plantules pour un espace déjà boisé ! j’ai l’habitude de voir des pépinières, mais rien de tel ! |
Bernard |
Je crois que tu parles de Plan Sierra. |
Alain |
J’ai été à Ti Lory … |
Bernard |
… tu sais qui m’a parlé de Ti Lory ? Georges Michel |
Alain |
Il a un projet, de la PADF (Pan American Development Foundation), des deux cotés de la frontière ; et du coté dominicain les gens te disent : « tu vois cet espace boisé, eh bien il y a 20 ans c’était comme en face », c’est à dire Haiti. Autrement dit, quand je proteste contre certaines façons de parler, ce n’est pas que je suis contre la reconstitution de la couverture forestière … |
Bernard |
… il faut refaire la couverture forestière, certes, mais, pense un peu, la fête de l’arbre a été instaurée sous Vincent, je crois, elle est donc aussi vieille que moi, mais cela n’a rien changé. On n’a pas encore trouvé la formule qui rende le reboisement possible. Ce matin, je racontais mon histoire du Morne l’Hopital. Peu après mon retour en Haiti, j’ai été invité à accompagner des techniciens du MARNDR sur le Morne l’Hopital. Il y avait eu de fortes pluies les jours précédents et tous les abords du cimetière étaient encombrés d’alluvions. Et j’entends ces techniciens expliquer aux paysans qu’ils doivent reboiser le morne pour empêcher que Port-au-Prince ne reçoive tous ces débris ! Qu’est-ce que le paysan en a à cirer des problèmes des port-au-princiens ? s’il doit faire du reboisement il faut qu’il y trouve son intérêt. Une formule, c’est l’association forêt-culture-élevage ; une autre serait, c’est mon dada, les forêts énergétiques. Quand Gérald Mathurin était ministre je lui avais proposé une formule. On attribuait une portion de terre à une association paysanne, qui pourrait y produire du charbon et en tirer les bénéfices, à condition qu’ils cultivent cette parcelle selon des directives qui leur seraient données par des techniciens du ministère. Cela avait semble l’intéresser, mais il n’est pas resté ministre très longtemps. |
Edna |
Permets moi de dire un mot. Dans le projet que j’ai visité en République Dominicaine, ce sont les paysans qui gèrent la pépinière ; ils suivent chaque plantule ; comment faire cela en Haiti. |
Bernard |
La formule, c’est le paysan responsabilisé et intéressé. |
Edna |
Pour les forêts énergétiques, on peut parler du Ruanda … |
Bernard |
… oui, je voudrais y aller, c’est Seminario, de la FAO, qui m’en a parlé. |
Edna |
Ils font des forêts énergétiques, avec des espèces à croissance rapide, qui ne sont pas en compétition avec les cultures ; l’une d’elles est l’eucalyptus, sur lequel nous avons toutes sortes de mythes en Haiti ; 244.000 hectares plantés à 65 % en eucalyptus. |
Bernard |
Tu parles de mythes, mais j’ai appris, il y a très longtemps, qu’il y avait, en Italie, les Marais Pontins qui ont été asséchés sous Mussolini par la plantation d’eucalyptus. |
Edna |
En tout cas, nous avons une quarantaine d’espèces à croissance rapide que nous pourrions utiliser pour des forêts énergétiques. |
Alain |
Je reviens d’Anse Rouge, où il y a un projet de forêt ; mais les hommes et les arbres sont en compétition pour l’eau, et puis il y a le problème des caprins, qui mangent tout, même les neems, mais pas les cassia. |
Edna |
En République Dominicaine, dans les parties sèches, on fait de l’élevage caprin sous les bayahondes. |
Bernard |
Ce sont des cabrits de Thomazeau. |
Edna |
L’aspect socio-économique nous renvoie à la productivité des parcelles. Toutes les études montrent un accroissement. |
Bernard |
Edna je dois te remercier et je pense que nous devrons t’inviter à nouveau, pas pour une vue d’ensemble comme aujourd’hui … |
Edna |
… il faudra traiter de thèmes précis … |
Alain |
… à partir de ton mémoire. Par ailleurs, à la FONHDILAC, nous avions parlé de reprendre nos discussions thématiques, ceci pourrait être un thème ; moi-même, j’ai quelques sujets dont je pourrais parler. |
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L’agroforesterie
Le quadrige de cyclones et autres tempêtes tropicales qui s’est abattu sur nous à la fin de l’été dernier a mis les bassins versants au centre des préoccupations et, au cours des dix dernières semaines de l’année, avec deux interruptions (voir Haïti en Marche, Vol. XXII, # 38 – 44 et 47 – 49), nous avons consacré une série d’articles à cette problématique, tentant de définir un bassin versant, de voir où sont les problèmes, et de proposer quelques exemples d’interventions.
Aujourd’hui, grâce à une émission que j’avais faite, il y a un an, avec Madame Edna Civil Blanc, nous allons pouvoir prendre connaissance d’une formule un peu plus structurée, il s’agit de l’agroforesterie (on pourra trouver une transcription de cette émission sur le site www.etheart.com).
Mais qu’est-ce que c’est que l’agroforesterie ? Edna nous en avait offert deux définitions que je reproduis ci-dessous :
(1) L’agroforesterie est un système d’aménagement durable qui accroît les rendements globaux, combine les cultures, les plantes forestières et les animaux, séquentiellement ou de manière simultanée, sur la même parcelle, et applique des techniques qui sont compatibles avec les habitudes sociales des populations locales.
(2) L’agroforesterie est un système dynamique d’aménagement écologique des ressources naturelles qui, en intégrant les espèces ligneuses aux champs agricoles, fermes et autres paysages, diversifie, augmente la production et engendre des bénéfices sociaux, économiques et environnementaux pour les propriétaires terriens.
Disons tout de suite que ces deux définitions sont assez récentes ; la première date de 1982 ; quant à la seconde, elle a été adoptée lors du premier congres international sur l’agroforesterie qui s’est tenu à Orlando (Floride) en 2004. cela veut dire que l’agroforesterie est une discipline scientifique récente, mais qui étudie des pratiques aussi vieilles que le monde.
Ces pratiques, et je cite Edna, avaient disparu dans les pays industrialises car la révolution industrielle avait poussé à favoriser une monoculture mécanisée, sur de vastes espaces. Cependant, depuis quelque temps, la prise de conscience des dangers de la pollution par les intrants chimiques, très utilisés dans cette agriculture dite moderne, avait incité les environnementalistes à remettre en question certaines pratiques.
Mais c’est surtout pour des pays tropicaux, menacés, comme Haïti, de voir disparaître leur couverture forestière sous l’effet d’une demande croissante de terres agricoles afin de pouvoir nourrir une population en pleine expansion, que cette discipline, qui promet des innovations et des techniques pouvant aider à pallier aux problèmes causés par les pratiques agricoles, ainsi qu’un apport dans l’amélioration du revenu de l’agriculteur, présente le plus grand intérêt.
Edna nous a dit que l’on pouvait identifier trois types de systèmes agroforestiers :
1. l’agri-sylviculture, qui associe les cultures forestières et les cultures vivrières,
2. le sylvo-pastorslisme, qui associe les cultures forestières et l’élevage.
3. l’agro-sylvo-pastoralisme, qui associe cultures forestières, cultures vivrières et élevage.
Pour le moment, afin de ne pas trop compliquer les choses, nous nous en tiendrons au premier type, l’agri-sylviculture, l’association des cultures forestières et vivrières.
Pour commencer, il s’agit de savoir comment cela fonctionne. Cette association repose sur le principe de l’interaction positive, qui consiste à éviter la compétition dans la valorisation des trois éléments que sont la lumière, l’eau et les éléments nutritifs.
Prenons l’exemple d’une association que serait une plantation de maïs dans une zone boisée. Le maïs s’approvisionne en éléments nutritifs dans les couches supérieures du sol, alors que l’arbre puise ses éléments nutritifs plus en profondeur, puis les restitue à la surface par la chute des feuilles. Il en est de même pour l’eau. L’arbre va cherche l’eau en profondeur, mais la rend par la suite disponible pour les cultures vivrières, car quand il perd ses feuilles, celles-ci forment une litière qui retiendra l’eau de pluie.
Pour la lumière c’est un peu différent. On doit veiller à choisir des essences forestières dont les cîmes ne sont pas trop larges ni trop touffues, ce qui créerait trop d’ombre pour les plantes situées en-dessous, gênant le processus de la photosynthèse. C’est pour cela que l’on choisit des légumineuses (leucena, acacia etc), qui en plus d’avoir un feuillage très léger, ont la capacité d’absorber l’azote de l’air, de le fixer dans leurs gousses et de le restituer aux autres cultures par la chute de ces gousses, sans parler de la possibilité d’utiliser le feuillage pour l’alimentation du bétail, dans le cas d’un système agro-sylvo-pastoral.
Pour ce qui est de l’exploitation de la culture forestière, il faut retenir que, en plus de l’impact de la couverture forestière sur la fertilisation et la protection du sol, les arbres ont de nombreux usages et dans l’agroforesterie, qui est un système rationnel et intensif, on ne laisse rien passer. Les arbres sont décortiqués pour en tirer les produits ligneux : le bois, bois de chauffe ou bois d’œuvre, l’écorce, et des produits non ligneux : feuilles pour le fourrage, fleurs, fruits, graines, même la sève (sucre d’érable), sans parler de toutes les substances que l’on peut extraire : essences, résines, latex etc.
Pour finir il faut signaler que, au cours de l’émission, Edna a insisté sur deux points qui me paraissent importants. Tout d’abord, il y a le fait que l’agroforesterie n’interpelle pas seulement ceux qui sont dans l’agriculture et la foresterie, mais aussi les spécialistes en économie rurale, en sociologie en anthropologie … et de fait, si nous revenons à une des deux définitions citées plus haut, nous voyons que « l’agroforesterie est un système d’aménagement durable qui … applique des techniques qui sont compatibles avec les habitudes sociales des populations locales ».
Cela signifie l’introduction d’une autre dimension dans la mise en application des techniques agroforestières, la dimension sociale, et nous aurons l’occasion d’en parler plus longuement en traitant du principe de participation.
Dans la liste des spécialistes interpellés, Edna avait également mentionné les géographes, et je ne les avait pas cités parce que ce groupe implique l’introduction d’une autre dimension, une dimension technique. Car il faut savoir que les techniques agroforestières utilisées doivent être appropriées aux conditions écologiques de la zone. Cela suppose toute une série d’études préalables dont nous aurons aussi l’occasion de parler.
Bernard Etheart
Haïti en Marche, Vol. XXII, No. 50,
du 7 au 13 janvier 2009
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- Category: – Bassins Versant (33)
L’agroforesterie
Le quadrige de cyclones et autres tempêtes tropicales qui s’est abattu sur nous à la fin de l’été dernier a mis les bassins versants au centre des préoccupations et, au cours des dix dernières semaines de l’année, avec deux interruptions (voir Haïti en Marche, Vol. XXII, # 38 – 44 et 47 – 49), nous avons consacré une série d’articles à cette problématique, tentant de définir un bassin versant, de voir où sont les problèmes, et de proposer quelques exemples d’interventions.
Aujourd’hui, grâce à une émission que j’avais faite, il y a un an, avec Madame Edna Civil Blanc, nous allons pouvoir prendre connaissance d’une formule un peu plus structurée, il s’agit de l’agroforesterie (on pourra trouver une transcription de cette émission sur le site www.etheart.com).
Mais qu’est-ce que c’est que l’agroforesterie ? Edna nous en avait offert deux définitions que je reproduis ci-dessous :
(1) L’agroforesterie est un système d’aménagement durable qui accroît les rendements globaux, combine les cultures, les plantes forestières et les animaux, séquentiellement ou de manière simultanée, sur la même parcelle, et applique des techniques qui sont compatibles avec les habitudes sociales des populations locales.
(2) L’agroforesterie est un système dynamique d’aménagement écologique des ressources naturelles qui, en intégrant les espèces ligneuses aux champs agricoles, fermes et autres paysages, diversifie, augmente la production et engendre des bénéfices sociaux, économiques et environnementaux pour les propriétaires terriens.
Disons tout de suite que ces deux définitions sont assez récentes ; la première date de 1982 ; quant à la seconde, elle a été adoptée lors du premier congres international sur l’agroforesterie qui s’est tenu à Orlando (Floride) en 2004. cela veut dire que l’agroforesterie est une discipline scientifique récente, mais qui étudie des pratiques aussi vieilles que le monde.
Ces pratiques, et je cite Edna, avaient disparu dans les pays industrialises car la révolution industrielle avait poussé à favoriser une monoculture mécanisée, sur de vastes espaces. Cependant, depuis quelque temps, la prise de conscience des dangers de la pollution par les intrants chimiques, très utilisés dans cette agriculture dite moderne, avait incité les environnementalistes à remettre en question certaines pratiques.
Mais c’est surtout pour des pays tropicaux, menacés, comme Haïti, de voir disparaître leur couverture forestière sous l’effet d’une demande croissante de terres agricoles afin de pouvoir nourrir une population en pleine expansion, que cette discipline, qui promet des innovations et des techniques pouvant aider à pallier aux problèmes causés par les pratiques agricoles, ainsi qu’un apport dans l’amélioration du revenu de l’agriculteur, présente le plus grand intérêt.
Edna nous a dit que l’on pouvait identifier trois types de systèmes agroforestiers :
1. l’agri-sylviculture, qui associe les cultures forestières et les cultures vivrières,
2. le sylvo-pastorslisme, qui associe les cultures forestières et l’élevage.
3. l’agro-sylvo-pastoralisme, qui associe cultures forestières, cultures vivrières et élevage.
Pour le moment, afin de ne pas trop compliquer les choses, nous nous en tiendrons au premier type, l’agri-sylviculture, l’association des cultures forestières et vivrières.
Pour commencer, il s’agit de savoir comment cela fonctionne. Cette association repose sur le principe de l’interaction positive, qui consiste à éviter la compétition dans la valorisation des trois éléments que sont la lumière, l’eau et les éléments nutritifs.
Prenons l’exemple d’une association que serait une plantation de maïs dans une zone boisée. Le maïs s’approvisionne en éléments nutritifs dans les couches supérieures du sol, alors que l’arbre puise ses éléments nutritifs plus en profondeur, puis les restitue à la surface par la chute des feuilles. Il en est de même pour l’eau. L’arbre va cherche l’eau en profondeur, mais la rend par la suite disponible pour les cultures vivrières, car quand il perd ses feuilles, celles-ci forment une litière qui retiendra l’eau de pluie.
Pour la lumière c’est un peu différent. On doit veiller à choisir des essences forestières dont les cîmes ne sont pas trop larges ni trop touffues, ce qui créerait trop d’ombre pour les plantes situées en-dessous, gênant le processus de la photosynthèse. C’est pour cela que l’on choisit des légumineuses (leucena, acacia etc), qui en plus d’avoir un feuillage très léger, ont la capacité d’absorber l’azote de l’air, de le fixer dans leurs gousses et de le restituer aux autres cultures par la chute de ces gousses, sans parler de la possibilité d’utiliser le feuillage pour l’alimentation du bétail, dans le cas d’un système agro-sylvo-pastoral.
Pour ce qui est de l’exploitation de la culture forestière, il faut retenir que, en plus de l’impact de la couverture forestière sur la fertilisation et la protection du sol, les arbres ont de nombreux usages et dans l’agroforesterie, qui est un système rationnel et intensif, on ne laisse rien passer. Les arbres sont décortiqués pour en tirer les produits ligneux : le bois, bois de chauffe ou bois d’œuvre, l’écorce, et des produits non ligneux : feuilles pour le fourrage, fleurs, fruits, graines, même la sève (sucre d’érable), sans parler de toutes les substances que l’on peut extraire : essences, résines, latex etc.
Pour finir il faut signaler que, au cours de l’émission, Edna a insisté sur deux points qui me paraissent importants. Tout d’abord, il y a le fait que l’agroforesterie n’interpelle pas seulement ceux qui sont dans l’agriculture et la foresterie, mais aussi les spécialistes en économie rurale, en sociologie en anthropologie … et de fait, si nous revenons à une des deux définitions citées plus haut, nous voyons que « l’agroforesterie est un système d’aménagement durable qui … applique des techniques qui sont compatibles avec les habitudes sociales des populations locales ».
Cela signifie l’introduction d’une autre dimension dans la mise en application des techniques agroforestières, la dimension sociale, et nous aurons l’occasion d’en parler plus longuement en traitant du principe de participation.
Dans la liste des spécialistes interpellés, Edna avait également mentionné les géographes, et je ne les avait pas cités parce que ce groupe implique l’introduction d’une autre dimension, une dimension technique. Car il faut savoir que les techniques agroforestières utilisées doivent être appropriées aux conditions écologiques de la zone. Cela suppose toute une série d’études préalables dont nous aurons aussi l’occasion de parler.
Bernard Etheart
Haïti en Marche, Vol. XXII, No. 50,
du 7 au 13 janvier 2009
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- Category: – Bassins Versant (33)
Aménagement des bassins versants : les approches
La semaine dernière, partant de la définition de l’agroforesterie comme « un système d’aménagement durable qui … applique des techniques qui sont compatibles avec les habitudes sociales des populations locales » (voir Haïti en Marche, Vol. XXII, No. 50, du 7 au 13 janvier 2009), nous nous étions promis d’aborder la dimension sociale dans le cas de l’aménagement des bassins versants.
Pour le faire, nous utiliserons une émission réalisée, en octobre de l’année dernière, sur Mélodie FM, avec Alain Thermil, qui voulait exposer « son plaidoyer pour une autre approche des bassins versants ». (La transcription de cette émission est disponible sur le site www.etheart.com).
Cette nouvelle approche consiste à voir le bassin versant comme une unité. Alain insiste en effet beaucoup sur le fait que ce qui se passe dans la partie supérieure du bassin a une influence sur les parties inférieures, et même au niveau de la mer. Il cite ce constat que peuvent faire tous ceux qui survolent Haïti, à savoir que, au niveau des embouchures des rivières, la mer a une affreuse couleur brune qui vient des particules entraînées par les eaux de ruissellement.
Sans aller jusque là, nous savons que la dégradation de la partie supérieure d’un bassin versant entraîne une baisse du débit des rivières, catastrophique pour les paysans qui utilisent cette eau pour l’arrosage de leurs cultures dans la partie inférieure du bassin. On peut également citer le cas du système d’irrigation de la Tannerie, dans les communes de Milot et de Quartier Morin, dont le barrage avait été complètement ensablé, avant d’être emporté, par les alluvions de la Grande Rivière du Nord.
Pour désigner cette approche, qui considère les aspects topographiques ou géographiques du bassin versant, nous utiliserons le concept d’approche « holistique », afin de ne pas créer de confusion avec l’approche intégrée, qui touche à la dimension sociale de l’aménagement d’un bassin versant.
Cette approche consiste à composer avec les gens qui vivent dans les bassins versants, qui y ont leurs habitudes de vie, ou de survie. Car il ne faut pas perdre de vue que, compte tenu de la densité de population du pays, la plupart des bassins versants sont habités et exploités, et que ce sont bien souvent des modes d’exploitations inappropriés qui sont cause de la dégradation.
Nombreux sont ceux qui proposent de déplacer tout simplement ces populations, sans se poser la question de la destination de ces déplacements de population. Il faudra un certain temps avant de leur faire comprendre que ce déplacement se fera de lui-même, quand la structure économique du pays aura évolué vers le développement d’autres secteurs capables d’absorber le surplus de population active actuellement sous-employée dans le secteur agricole.
Aussi longtemps que ces conditions ne seront pas réunies, nous allons devoir compter avec les populations vivant sur les bassins versants, car il faudra non seulement les convaincre de modifier certains de leurs comportements, mais aussi obtenir leur contribution dans la mise en places de structures de protection, qu’il s’agisse de planter des cultures anti-érosives ou de l’implantation de structures physiques.
C’est dans ce sens que Arabella Adam, dans une émission sur la biodiversité, réalisée sur Mélodie FM en février de l’année dernière, après avoir cité le reboisement des bassins versants comme une des premières mesures de protection de la biodiversité, avait insisté pour que cela soit fait de manière participative. (La transcription de cette émission est également disponible sur le site www.etheart.com).
Pour que les non-initiés puissent comprendre de quoi nous parlons quand nous évoquons le concept de participation, je vais simplement reprendre quelques passages d’un mémo adressé par l’INARA au cnigs (Centre National d’Informations Géo-Spatiales) à propos de la mise en œuvre du PITDD (Programme d’Informations Territoriales pour le Développement Durable) :
Dans notre papier sur la participation de l’INARA au PITDD, nous avions mentionné que, conformément aux attributions formulées dans le décret portant création de l’institut, notre action vise à obtenir la participation de la population à la gestion des bassins versants ou des parcs. Nous conformant aux prescrits du décret, nous avons placé la participation parmi les grandes catégories d’activité dans nos programmes. Quand nous parlons de participation nous comprenons les relations que nous entretenons avec les organisations de base, qui doivent déboucher sur la responsabilisation, par exemple, dans le cadre de ce que, sur les fermes reformées de l’Artibonite, nous avons appelé les comités de gestion. Dans le cadre de l’application bassin versant, un comité de gestion représenterait l’ensemble de la population vivant sur le bassin versant, éventuellement regroupée en un certain nombre d’organisations de base, et c’est à travers ce comité de gestion
∙ que nous pourrons faire passer l’information relative au projet, à ses objectifs et ses modalités de mise en œuvre,
∙ que, grâce à cette information, nous pourrons obtenir l’adhésion de la population au projet,
∙ que, grâce à cette adhésion, nous pourrons obtenir sa collaboration, par des éclaireurs, quand nous ferons l’étude foncière, ou, plus tard, éventuellement, lors de la mise en place d’aménagements physiques.
Il est évident, que pour la réalisation d’un tel programme, il est indispensable que les représentants de la population disposent des informations nécessaires à une participation constructive au processus de prise de décision. Cela suppose un programme d’éducation touchant non seulement les dits représentants mais l’ensemble de la population concernée.
Par ailleurs, il est important de combiner les deux approches, holistique et participative. Les personnes vivant sur les différents secteurs du bassin versant doivent se rencontrer de manière à ce que chaque groupe connaisse les problèmes et besoins de l’autre. Nous connaissons une zone où ce genre de rencontres a déjà commencé à prendre place. Il s’agit de la zone dite « goâvienne » (Grand Goâve – Petit Goâve) où les usagers des systèmes d’irrigation ont entamé des discussions avec les paysans vivant dans les parties supérieures du bassin versant pour voir quel type d’activité de protection ils peuvent mener de concert. (On pourra trouver des informations sur ces développements dans les émissions réalisées sur Mélodie FM sur le PPI et le FAG dont les transcriptions sont disponibles sur le site www.etheart.com).
Autrement dit, tout ce que nous avançons n’a rien d’utopique, il suffit d’un peu de vision et de persévérance dans l’effort.
Bernard Ethéart
Haïti en Marche, Vol. XXII, No. 51,
du 14 au 20 janvier 2009