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- Category: Programmes et projets (25)
Emission du |
22/04/08 |
Thème |
Projet National de Développement Communautaire Participatif (PRODEP) |
Invités |
Henriot Nader |
Transcription
Bernard |
Cet après midi, nous avons avec nous l’ingénieur-agronome Henriot Nader. Je vais devoir faire une introduction assez longue, mais auparavant je veux présenter Henriot. J’ai déjà dit qu’il était ingénieur-agronome, mais par la suite tu as fait une spécialisation …
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Henriot |
Je salue tous ceux qui nous écoutent. Je suis Henriot Nader ; comme Bernard l’a dit, je suis agronome généraliste ; j’ai été étudiant en sociologie et j’ai fait une maîtrise en irrigation et drainage.
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Bernard |
C’était dans un endroit très spécial, Salt Lake City ?
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Henriot |
Chez les Mormons
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Bernard |
C’est cela, chez les Mormons, et il nous est revenu comme un grand spécialiste en irrigation, ce qui aura toute une série de conséquences par la suite. Nous avions annoncé cette émission la semaine dernière, lors de l’émission avec Camille Bissereth. Il y avait eu une petite modification. Au départ, Camille voulait faire un bilan de la foire binationale de Belladère ; cela n’avait pu se faire, pour des raisons techniques ; le mardi suivant, c’était le 8 avril, nous n’avons pas eu d’émission, tout le monde sait pourquoi ; finalement on l’a faite le 15 avril, mais entre temps, Camille avait réorienté son émission sur un thème plus théorique : écotourisme et développement local. Je dois dire que le développement local n’est pas seulement à la mode d’une manière générale, c’est aussi un sujet de conversation entre nous – je dirai tout à l’heure de quel groupe il s’agit – et Henriot, tout ingénieur-agronome qu’il est, tout spécialiste en irrigation qu’il est, s’est retrouvé responsable d’un projet intitulé Projet National de Développement Communautaire Participatif (PRODEP). Il y a longtemps qu’il nous parle de ce projet, mais sans nous dire ce qu’il fait exactement, et je m’étais dit que je le coincerais un jour pour le faire parler. Le jour est arrivé. Mais avant de commencer, je veux faire une petite introduction, pour que chacun puisse comprendre le contexte général. Henriot travaille donc dans le développement local ; ceux qui écoutent régulièrement l’émission m’entendent parler de Croix Fer. Qu’est-ce c’est que Croix Fer ? Le ministre Séverin dit toujours : « dès que Bernard parle, il en vient à citer Croix Fer, car c’est sa première expérience ». Croix Fer est une localité de la commune de Belladère où je me suis trouvé responsable d’un projet de construction d’un canal d’irrigation. L’ingénieur responsable de la construction était Jean-Robert Jean-Noel ; il avait fait appel à un agronome, Henriot Nader, gonaïvien comme lui, qui travaillait sur le canal d’Avezac, dans la plaine des Cayes, avec l’agronome Jean Marie Robert Chéry. Cela remonte à la période 1976-1986 ; et 22 ans après, tout ce monde se retrouve dans un groupe qui compte aussi Alain Thermil, neveu de Jean-Robert, qui a travaillé avec Camille Bissereth pour le projet PPI comme OPS, Xavier Isaac, un autre gonaïvien, qui était au PPI. Tout ce monde là est passé à ce micro, à part Jean Marie Robert Chéry, mais cela viendra ; et tout ce monde là forme le noyau de ce que nous appelons la Fondation Haïtienne pour le Développement Intégral Latino-americain et Caraïbéen (FONHDILAC). Les relations entre les personnes sont un aspect de la question, mais il y a un autre aspect, plus théorique. A Croix Fer, nous parlions d’un projet de développement communautaire participatif. Nous sommes dans les années 70, la dernière décennie du régime Duvalier ; à l’époque ce qui était à la mode, c’était le développement communautaire, les conseils communautaires, les groupements communautaires ; on parlera de tout cela avec quelqu’un d’autre que je compte inviter. 20 ans après, il n’y a plus de conseils communautaires. Quand Jean-Claude Duvalier est tombé, vu qu’il y avait un lien entre les conseils communautaires et le pouvoir, à travers l’Office National d’Alphabétisation et d’Action Communautaire (ONAAC) dont les agents étaient souvent des miliciens, les conseils communautaires ne pouvaient exister. Dans certains cas, la structure est restée mais elle a changé de nom. Aujourd’hui, on voit apparaître autre chose. Il y a une série de projets qui, dans ma compréhension, partent du même principe de participation, participation de la population à l’identification des problèmes, au choix des solutions et à la mise en œuvre des décisions, mais on ne parle plus de développement communautaire (encore que le PRODEP fasse exception), on parle de développement local. Cela veut dire que, à la base, au niveau de la population, il y a des mouvements qui ont commencé à se manifester, même déjà sous François Duvalier ; le peuple ne voulait plus être dans « le pays en dehors ». A la chute de Jean-Claude, des intellectuels, qui avaient saisi le sens de cette évolution, se sont retrouvés dans une Assemblée Constituante. Ils ont pensé que, pour répondre aux aspirations de la base, il fallait définir l’Etat comme un Etat, entre autre, participatif. Et pour qu’il y ait une structure qui permette cette participation, ils ont parlé de décentralisation, de développement des collectivités territoriales. Nous reparlerons des collectivités territoriales, mais disons tout de suite que la plus grande collectivité territoriale, c’est la nation, la seconde, c’est le département, la troisième, c’est la commune, et la plus petite, la section communale. Toutes ces collectivités ont leur « gouvernement » et leur « parlement » : CASEC et ASEC, Conseil et Assemblée Municipale, Conseil et Assemblée Départementale. Ce qui m’intéresse, c’est le lien avec l’Etat central, car c’était pour nous un problème à Croix Fer. Nous avions mis des structures en place, qui étaient des structures communau-taires, et c’est l’ONAAC qui faisait le lien avec l’Etat central ; mais vu la fonction répressive de l’ONACA, cela ne pouvait fonctionner. Aujourd’hui, une autre forme de lien est possible. Les organisations de base peuvent venir participer au niveau des assemblées. Je voudrais savoir si les organisations de base arrivent à « s’embrayer » avec les structures mises en place de manière un peu artificielle. J’ai été un peu long, Henriot, je te laisse la parole.
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Henriot |
Je suis coordonnateur d’un projet de l’Etat haïtien qui est financé par la Banque Mondiale. On a choisi le PL 480 pour recevoir les fonds de la banque, mais il n’avait pas les structures techniques.
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Bernard |
Penses-tu que tous ceux qui nous entendent savent ce qu’est le PL 480 ? le sigle est pour Public Law 480. C’est une loi que le Congrès nord-américain avait votée et qui autorisait le gouvernement nord-américain à livrer au gouvernement haïtien (et à d’autres) des dons en aliments que le gouvernement receveur pouvait vendre et utiliser le produit de cette vente pour financer des projets. Les fonds ainsi réalisés étaient gérés par un bureau que l’on a appelé le bureau du PL 480 ; il y avait donc un bureau de l’Etat qui portait le nom d’une loi US. Ce sont les bizarreries de ce pays. Ce PL 480 était une source de brigandages. Les fonds devaient servir à financer des projets, mais la plus grande utilisation qui en a été faite consistait à arroser les employés de l’Etat avec des suppléments de salaires, que l’on appelait PL, et qui étaient attribués de manière très arbitraire.
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Henriot |
Actuellement le bureau s’appelle Bureau de Monétisation des programmes d’aide au développement
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Bernard |
Et toi tu es à l’UCP
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Henriot |
Oui, c’est l’Unité de Coordination de Projet, qui gère les projets financés par la Banque Mondiale, comme le PRODEP. L’idée du projet c’est que ce sont les paysans eux-mêmes qui disent comment ils veulent leur développement. On parle de CDD = community driven development. C’est là que l’on voit la différence entre les projets CDD et un projet comme Croix Fer.
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Bernard |
Attention, tu vas dire une bêtise. Sais-tu comment le projet de Croix Fer est né ? Il n’a pas été conçu sur une table de travail ; je suis allé à Croix Fer, j’ai demandé aux gens ce qu’ils voulaient et ce sont eux qui m’ont parlé d’irrigation.
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Henriot |
C’est comme pour le PRODEP. Nous avons actuellement un projet à Cité Soleil que nous appelons PRODEPAP, de même à Solino. Les gens nous ont dit que c’est la première fois qu’on leur a demandé ce qu’ils veulent. Nous ne décidons pas du projet. Nous mettons une somme à la disposition des gens, et c’est à eux de savoir comment ils vont l’utiliser. Le projet PRODEP vient d’expériences faites dans plusieurs pays d’Amérique Latine, particulièrement au Brésil, où on a utilise cette méthode pour permettre aux gens d’identifier leurs besoins et de choisir des solutions à leur niveau. C’est la PADF (Pan American Development Foundation) qui a visité un projet au Brésil et a cherché du financement dans le cadre du fonds LICUS (Low Income Country Under Stress) pour un projet pilote à Ouanaminthe.
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Bernard |
Qu’est-ce qui est resté de ce projet ?
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Henriot |
Jusqu'à présent le projet est là ; il a été repris par le CECI.
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Bernard |
Je pose la question parce que nous sommes dans le Nord-Est. J’étais à une réunion de la TSA/E (Table Sectorielle Agriculture/Environnement) à Fort Liberté et j’ai effectivement rencontré des gens du CECI.
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Henriot |
Je dois te dire que, actuellement, le PRODEP est présent dans 57 communes et nous avons réalisé près de 500 petits projets que les paysans ont identifiés et qu’ils gèrent. Actuellement, il n’y a pas de zone du pays où on ne connaît pas le PRODEP. Quand le PRODEP entre dans une zone, il commence par faire l’inventaire de toutes les organisations. Elles feront toutes partie du PRODEP. Après une campagne de sensibilisation, les organisations envoient des représentants au niveau communal pour former une assemblée de conseil de projet qui, pour fonctionner, doit mettre sur pied un exécutif de 7 à 11 personnes lequel exécute les décisions de l’assemblée. Au niveau du COPRODEP, quand on fait une réunion de l’assemblée générale, on a des représentants de toutes les organisations de la commune. Par exemple, là où nous avons un PRODEPAP, le maire avait difficilement une plate-forme où il pouvait s’exprimer. Maintenant, il a cette plate-forme et si nous allons mener une action, il y a des personnes pour faire passer les messages. C’est un outil très puissant et je pense qu’il serait bon que tout le monde soit au courant et sache ce que cet outil peut permettre de faire.
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Bernard |
Quand tu parles de tout cela, tu me fais penser que, à l’INARA, nous avions imaginé des comités d’appui à la réforme agraire. Les animateurs identifiaient les organisations …
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Appel |
Nader parle toujours de petits projets qui sont exécutés dans 57 communes. Mais est-ce que le PRODEP ne pourrait pas choisir une zone avec un ensemble de petits projets visant le développement de la zone ? Cela pourrait servir d’exemple, de projet pilote.
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Henriot |
On rencontre souvent ce type de remarque. Ce que le PRODEP veut montrer, c’est la façon dont les ressources sont utilisées, gérées. Dans chaque section communale on peut financer 4 petits projets. Chaque organisation envoie un projet, le Coprodep doit tenir compte des besoins et d’une certaine cohérence en faisant son choix. Ce qui est important pour le PRODEP, ce n’est pas le projet, c’est le processus. En le faisant ainsi, on renforce la société civile.
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Bernard |
Notre interlocuteur a exprimé la nécessité d’éviter de faire du saupoudrage, il pense à la synergie.
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Henriot |
Actuellement, à Cité Soleil, PRODEP dépense US $ 1,2 million. Je te garantis que le PRODEP a plus d’aura que les institutions qui dépensent des millions parce que ces petits projets permettent aux gens d’avoir un espoir dans ce qu’ils sont, de se grandir à leurs propres yeux.
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Bernard |
Nous ne nous faisons pas les avocats des grands projets ; nous cherchons la synergie ; nous sommes d’accord avec les petits projets ; nous sommes d’accord avec la méthode ; la crainte est que cela aboutisse à du saupoudrage. La solution serait que l’Etat choisisse un département, par exemple le Nord-Est, qu’il élabore un plan de développement et à ce moment-là, tous les petits projets venant de Capotille ou de Gens-de-Nantes seraient examinés en fonction de ce que l’Etat a donné comme cadre.
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Henriot |
PRODEP est un projet de l’Etat, mais avec ses 38 millions, il ne peut pas développer tout le pays. Actuellement on a plusieurs types de projet de développement local : FAES (72 millions) …
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Bernard |
FAES n’est pas un opérateur.
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Henriot |
Non, il fonctionne comme le Bureau de Monétisation Il y a les projets de la coopération allemande, Il y a les projets du Canada La question est : l’Etat se donne-t-il les moyens de faire la coordination de tous ces projets ? Nous faisons beaucoup d’efforts pour trouver une harmonisation entre tous ces projets, en particulier, par échange d’information. Une particularité du PRODEP : nous ne donnons pas le projet à une organisation ; les relations ne sont pas avec une organisation, mais avec la communauté, et c’est la communauté qui va choisir l’organisation. C’est sans doute pour cela que nous n’avons pas enregistré de cas de vol et même quand il y a eu une tentative de détournement de fonds, la communauté a su gérer le problème. L’expérience montre que quand le contrôle est au niveau communautaire, la pression sociale est très forte et bloque les dérapages et je pense que, une fois que cet outil est mis en place, beaucoup de choses peuvent se réaliser.
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Appel |
Quels gardes fou y a-t-il pour que ces outils ne soient pas détournés comme cela l’a été dans le cas des conseils d’action communautaire ? Et puis Nader parle de petits projets, mais n’en dit pas le montant.
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Henriot |
Le total est de US $ 38 millions ; pour les projets ils sont en moyenne de US $ 17.500 et il faut en réaliser 1.200 en 5 ans. Au niveau de Croix Fer, il y avait les conseils communautaires et on était dans un « Ilot de Développement », mais il n’y a pas eu d’apport extérieur. Les gens sont restés au niveau du développement communautaire, les acteurs ont vieilli et n’ont pas transmis le pouvoir aux jeunes ; il n’y a pas eu de formation, pas de relève. Le PRODEP donne à la communauté le pouvoir de décider et de faire la transmission des connaissances. Quand la communauté a les connaissances et les informations, elle peut reproduire le système. Dans les conseils communautaires on ne permet pas aux gens de reproduire le système.
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Bernard |
Tu me fais penser à une chose. Effectivement, dans le cas de Croix Fer, on a parlé de vieillissement des leaders. Le jour où il n’y aura plus de PRODEP, qu’est-ce qui va se passer ? Y aura-t-il suffisamment de dynamisme pour rester ouvert et recevoir les impulsions de l’extérieur ? C’est toujours le problème de comment finir un projet. Une ONG est censée s’en aller …
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Appel |
Commet l’Etat fait-il la coordination de tous les projets dont on entend parler ? Comment se fait-il que nous ne voyons pas les résultats de tous ces projets qui s’exécutent dans les sections communales ?
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Henriot |
Normalement c’est le MPCE (Ministère de la Planification et de la Coopération Externe) qui assure cette coordination. Il y a les plates-formes, mais ce n’est pas assez. Avec le FAES, nous cherchons une harmonisation des approches, nous veillons à ce qu’il n’y ait pas de redondances. Avec le PICV (Projet d’Intensification des Cultures Vivrières) et AAA (AgroAction Allemande) nous avons des actions communes. Mais l’Etat n’a pas un outil qui fait cette coordination, et c’est peut-être pour cela que vous ne sentez pas les résultats, les impacts de ces actions. Cependant il y a un travail que se fait petit à petit. Un dernier rapport sur les subventions pour le riz constate que les zones où il y a eu le plus de problèmes, sont celles où il n’y a pas eu ce genre de projets et les zones urbaines. C’est un problème que nous ne pouvons pas résoudre dans le cadre de cette émission et que l’Etat devra prendre en main. Au niveau des zones de production, il se fait beaucoup de choses, PRODEP, PAIP, PICV, mais il n’y a pas d’informations
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Bernard |
Il y a eu des tentatives de créer une concertation, mais chaque fois un problème politique est intervenu. J’ai participé pendant des mois à une table ronde de concertation dans le Nord-Ouest …
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Appel |
Y a-t-il un programme de souveraineté alimentaire ? Quelle place donne-t-on à la formation d’entrepreneurs ?
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Bernard |
Je voulais finir ce que je disais. Chaque fois qu’une tentative de concertation démarrait, les évènements politiques remettaient tout en cause. On tente de lancer une table sectorielle dans le Nord-Est ; je vais voir ce qui va se passer.
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Henriot |
Il y a des difficultés à faire un suivi et c’est effectivement du à l’instabilité politique. Mais pour répondre à la question de Camille, la formation professionnelle est importante, et c’est une des faiblesses du PRODEP.
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Bernard |
Ce n’est pas son rôle non plus. Un projet est quelque chose qui a un commencement et une fin. La formation professionnelle est une activité continue, elle n’est pas de la compétence d’une ONG mais de l’Etat.
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Henriot |
Par contre, dans le cas du PRODEP, il y a une possibilité, si le projet concerne une école, de faire un accord avec l’Education Nationale pour qu’elle la prenne en charge. Nous avons une liste négative de sous-projets : projets individuels, projets touchant à tout ce qui est illégal … , nous allons maintenant donner une liste positive.
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Bernard |
Camille a posé la question, j’avais pensé à cela en lisant le manuel, un projet écotouristique est-il recevable ?
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Henriot |
Pour cette liste positive, nous allons faire appel à des économistes. Je sors d’une réunion autour des US $ 10 millions additionnels de la Banque Mondiale, et on réfléchissait à la manière d’utiliser les structures du PRODEP, qui est présent dans 57 communes, pour faire arriver l’aide au plus vite dans les zones.
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Bernard |
Rapidement, quels projets viennent le plus souvent ?
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Henriot |
Route 18 %, Elevage, charrue 17 %, Eau potable 15 %, Boutique communautaire 14 %, Moulins 10 %, Centre de loisirs 8 % Conservation de sol 6 %, Marché, drainage assainissement 6 %, Cybercafé 3 %, Pour les autres, il y a des projets économiques : semences, élevage caprin ; mais actuellement, on a davantage de projets économiques Pas d’écoles.
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Bernard |
Et mon problème avec « l’embrayage » sur les structures mises en place par la Constitution ?
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Henriot |
C’est la force du PRODEP ; il n’a pas besoin de ces structures, comme les mairies, même si les maires font partie de l’assemblée qui est constituée comme suit : 20 % collectivités territoriales + ONG + ministères 80 % organisations il n’y a pas de structures au niveau des collectivités territoriales capables d’absorber ces projets. Nous faisons une formation à la base pour que ces personnes apprennent ce qu’est leur rôle. Les communautés ont un pouvoir qui représente un défi pour les élus locaux. Le PRODEP renforce la société civile et une société civile forte peut proposer un plan de développement plus cohérent. Mais il arrivera un moment où le conseil de projets connaîtra ses limites. Nous venons de négocier avec la Banque Mondiale un projet de prodep urbain où le rôle de la mairie sera renforcé et où les maires pourront négocier des projets de US $ 50.000 qu’ils gèreront
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Bernard |
On n’aura pas le temps d’approfondir cela, il faudra donc que tu reviennes ainsi que pour parler d’une série d’autres projets. |
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Emission du |
21/10/08 |
Thème |
Le Programme d’Informations Territoriales pour le Développement durable (PITDD) |
Invitée |
Gina Porcena Meneus |
Transcription
Bernard |
La semaine dernière, nous avions une émission sur les bassins versants avec Alain Thermil ; cette semaine, nous allons encore parler de bassins versants avec Mme Gina Porcena Meneus. Au départ, Gina est géographe. Elle a été responsable de l’Unité de Télédétection et de Systèmes d’Informations Géospatiales (UTSIG) au Ministère du Plan ; maintenant elle est responsable du Centre National d’Informations Géo-Spatiales (CNIGS), toujours au Ministère du Plan, et, à ce titre, elle est responsable du Programme d’Informations Territoriales pour le Développement durable (PITDD). Gina, explique nous de quoi il s’agit. |
Gina |
Le CNIGS est un organisme public autonome, créé en 2006, après tout un processus qui avait commencé 10 ans auparavant. L’idée est sortie d’un besoin identifié après un diagnostic du secteur qui s’occupe de cartes pour représenter le territoire du pays. Nous avions constaté que ce secteur était complètement dysfonctionnel. Il y avait un organisme, le Service de Géodésie et de Cartographie, qui, au départ, dépendait de l’armée, comme dans la plupart des pays d’Amérique, et qui avait bénéficié de l’apport d’experts cartographes, des militaires US, dans les années 40-50, pour faire le premier jeu de cartes, car autrefois, la cartographie était un outil plus d’ordre stratégique, militaire. |
Bernard |
Oui, ce sont les militaires qui ont besoin de cartes pour savoir par où ils vont passer avec leurs troupes. |
Gina |
Nous avons pensé qu’il était important qu’Haïti fasse une vraie réforme pour avoir la capacité institutionnelle d’utiliser les nouveaux outils, car on ne fait plus les cartes de la même façon. De même que tu vois une série de petits métiers se servir de plus en plus de l’informatique, de même pour la cartographie, on utilisait règles, papier et autres instruments, le domaine a beaucoup évolué et on utilise toutes les avancées de l’informatique. Nous étions en dehors de ce processus, et la première initiative a été de faire des recommandations concernant notre capacité institutionnelle : remembrer le secteur, créer un organisme plus apte à faire le travail. Le processus a été long ; en Haïti, il est difficile de faire des changements ; on s’acroche à des structures, même quand elles ne fonctionnent pas. |
Bernard |
Surtout que ce que vous ameniez est tellement révolutionnaire et scientifique. Il y a une chose que je voulais que tu dises et sur laquelle je voulais insister, c’est l’utilisation des satellites. Je pense à ce point géo-référencé que seul le Service de Géodésie pouvait donner. Je veux faire une comparaison pour que l’auditeur comprenne bien. Prenons la profession d’arpenteur, auquel on fait appel quand on veut mesurer un terrain. Pour faire son travail, il doit parcourir le terrain pour fermer le polygone, après quoi il calcule la surface. Cela prend des jours. Actuellement, je le sais parce que je le vois à l’INARA, les ingénieurs viennent avec un appareil, qu’on appelle le GPS, un outil électronique qui est en contact avec le satellite ; il parcourt le périmètre en cliquant sur l’appareil ; le satellite lui donne les positions. Le tout est enregistré dans l’appareil puis chargé sur un ordinateur qui sort le plan. |
Gina |
Et tu peux mettre le plan sur une carte. |
Bernard |
Je me souviens de l’ingénieur Baudin me disant : ce que les arpenteurs mettent un mois à réaliser, nous le faisons en trois jours. C’est révolutionnaire ! |
Gina |
Ce n’est pas seulement révolutionnaire par rapport au gain de temps, mais aussi par rapport à la précision. Donc, pour toutes ces raisons, nous avons estimé qu’il nous fallait ces nouvelles technologies, les nouvelles photographies aériennes, etc. Tout un processus ! Dans une première étape, en 1998, nous sommes passés par une structure transitoire, une structure de projet, l’UTSIG, mais logiquement nous ne pouvions pas continuer à aller de projet en projet, car les instruments utilisés demandent une utilisation continue. Il fallait donc une structure permanente. Et dans tous les pays on est arrivé à une telle structure, qu’elle s’appelle IGN, centre, ou autrement, elle est là pour gérer ces informations, qui sont stratégiques, d’une manière permanente. C’est donc le CNIGS, dont la création n’a pas été facile ; il a fallu convaincre beaucoup de monde, mais on y est arrivé ; le décret de création a été publié en mars 2006. |
Bernard |
Maintenant le PITDD. |
Gina |
Si tu veux, ce programme entre dan la mouvance de la mise en place du CNIGS. Nous avions fait un premier projet pour le Ministère de la Planification et de la Coopération Externe (MPCE) pour qu’il dispose des informations actuelles en vue de prendre des décisions au niveau de la planification spatiale. On a pris les images et on a produit des cartes sur l’occupation des sols, les risques d’érosion, la densité de l’habitat … On avait donc une première vue. Mais par rapport à la mouvance qui allait sensiblement avec le renforcement de la capacité nationale, car il n’était pas question de rester dépendant des experts internationaux, nous avons envoyé de jeunes professionnels, agronomes, ingénieurs, prendre une formation à l’étranger, en télédétection, en cartographie digitale, en systèmes d’informations géographiques (SIG), et au retour ils ont travaillé avec les experts européens, car le financement est un financement européen et de l’Etat Haïtien, et on est arrivé à produire une série de résultats assez intéressants. Par rapport à cela, les besoins ont augmenté. Différentes institutions ont commencé à se rendre compte comment il est intéressant, pas seulement d’utiliser les données cartographiques sur le papier, qui sont actualisées, mais aussi d’aller plus loin qu’une simple carte. Avec cela, nous avons pu justifier qu’il fallait avoir des données plus détaillées. On a fait de nouvelles prises de vue du pays. La première datait de 1978, mais le pays a tellement changé qu’on ne pouvait pas utiliser des données aussi vieilles. Nous avons donc fait les prises de vue aériennes ; nous les avons traitées pour les intégrer dans les bases de données géo-spatiales, géo-référencées. Il devenait nécessaire de passer à une autre étape. Il fallait commencer à s’assurer que les données étaient exploitées pour prendre des décisions. Nous ne faisons pas de la technologie pour la technologie, nous ne collectons pas des données pour collecter des données … |
Bernard |
… cela doit servir à quelque chose … |
Gina |
… cela doit servir à mieux gérer le pays. D’où ce PITDD qui a commencé en 2005. Une des conditionnalités pour son financement était la mise en place du CNIGS. Le programme est articulé autour de deux composantes. Il y a une composante d’appui à la mise en place de ce nouvel organisme ; renforcement des capacités nationales, tant au niveau de la production des données, que de leur gestion, de leur archivage dans de bonnes conditions et de leur diffusion. Car c’est une information qui est à la disposition de tout le monde, institutions publiques, institutions privées, ONG, universités, particuliers. Le PITDD appuie donc le renforcement des capacités. On aura un nouveau bâtiment ; on va former une quarantaine de spécialistes de haut niveau ; on va renforcer nos capacités technologiques. L’autre composante c’est l’application thématique. On s’est rendu compte que nous avions des données actualisées, que nous avions de nouvelles demandes, mais la décision d’aménagement et de gestion de l’espace haïtien n’est pas faite sur une base rationnelle. Donc dans l’organigramme du CNIGS nous avons deux paliers. Dans la plupart des pays, il y a seulement les données géographiques de base ; nous avons les données géographiques de base et les applications thématiques. Elles impliquent des mécanismes d’échange, de partenariat, de manière à ce que le PITDD, non seulement appuie le CNIGS et le met au niveau que nous voulons, mais aussi que les institutions commencent à utiliser ces données de manière opérationnelle. Nous avons 6 applications … |
Bernard |
… bassins versants, parcs nationaux … |
Gina |
… planification spatiale et aménagement du territoire, informations agricoles et sécurité alimentaire, voies de communications … |
Bernard |
… le maillage … |
Gina |
… oui le maillage routier et l’observatoire global du territoire, qui est une application très importante. Quand on voit ce qui vient de se passer dans cette saison cyclonique, nous pensons que c’est une des applications que nous allons prioriser pour que nous soyons mieux outillés pour la prochaine saison cyclonique. Je ne sais pas si tu veux plus de détail. En gros, pour chaque application, nous nous mettons en relation avec l’institution publique concernée et nous faisons appel à toutes les autres institutions que nous pouvons consulter. C’est un énorme travail, qui n’est pas sorti dans la presse, car c’était un processus interne. L’idée transversale est que tous les systèmes deviennent fonctionnels dans l’institution. Par exemple, si on parle de route, l’idée n’est pas de créer une base de données qui resterait au CNIGS ; l’idée est que cela aide le MTPTC à avoir des données, à les actualiser, et, quand ils veulent prendre une décision de construire ou de réparer une route, ils ont les données sur l’état de la route, sur l’occupation du sol … Ce n’est plus la route de façon isolée, c’est la route dans son contexte. |
Bernard |
Je voudrais entrer plus dans le concret, car tout cela est un peu théorique, en prenant, par exemple, les informations agricoles et la sécurité alimentaire, deux thèmes très à la mode ces jours-ci. Depuis les émeutes dites de la faim on ne parle que de relancer la production agricole, et depuis les cyclones, on ne parle que de sécurité alimentaire. Concrètement, qu’est-ce qu’on va chercher comme information ? qu’est-ce qu’on va mettre à la disposition des décideurs, le MARNDR, la Coordination Nationale de la Sécurité Alimentaire (CNSA), comme information ? |
Gina |
Comme on dit qu’Haïti est un pays agricole … |
Bernard |
… la semaine dernière, Alain nous a dit qu’Haïti n’est pas un pays à vocation agricole, mais à vocation sylvicole. |
Gina |
C’est partagé ; mais en fonction des zones, en fonction des caractéristiques du milieu, il y a des spécificités. Ce qui est clair, c’est qu’on a besoin de mieux connaître le milieu agricole, les activités agricoles ; on ne peut lancer des chiffres n’importe comment. Il faut des données fiables pour prendre de bonnes décisions. Si tu ne sais pas où on produit quoi ; si tu ne sais pas combien d’hectares sont plantés en riz, en maïs, comment veux-tu orienter convenablement tes actions pour augmenter la production ? |
Bernard |
Par exemple, envoyer de l’engrais quand on en a besoin ? |
Gina |
Envoyer de l’engrais, c’est faire un choix. Le MARNDR nous a fait part d’un besoin de capacité d’évaluer le potentiel agricole de manière rationnelle. Nous avons commencé par une enquête pilote, en commun, avec le MARNDR, et nous avons été appuyés par des Italiens. Par exemple, dans le Nord, quelle surface est plantée en maïs pendant le première saison ? la deuxième saison ? quelle surface est plantée en café ? Déjà les surfaces donnent une notion de la prédominance de telle culture par rapport à une autre. Cela donne une idée de la distribution spatiale de telle ou telle culture. Pour calculer la production, il faut connaître les rendements ; il faut aller sur le terrain. Il faut des gens qui puissent estimer les rendements ; et il faut utiliser d’autres données, par exemple les données pluviométriques, vu que notre agriculture dépend beaucoup de la pluie. Le MARNDR voulait donc un système de statistiques annuelles et il pourrait publier, pour chaque année, ce que l’on a comme production. On pourrait donc suivre les variations, voir les tendances, de manière à savoir comment agir. Le MARNDR voulait un système intégré d’informations, avec les données déjà mentionnées, mais aussi des données sur l’occupation du sol. Le relief, les pentes, la pluviométrie … Nous ne sommes pas outillés et c’est très grave. Un pays qui est aussi vulnérable, et nous n’avons même pas un bon réseau … |
Bernard |
… de pluviomètres ; on en parlait la semaine dernière, à propos de ce fameux rapport de l’OEA de 1972, qui est un catalogue de stations qui ont disparu. Il y avait un équipement relativement important ; il n’en reste plus rien. |
Gina |
La base de données que l’on a pu utiliser date des années 40-50 ; pour faire des modèles, on a besoin de données fiables. Nous nous étions rendus compte que c’est une donnée fondamentale, en plus des données sur le sol, les caractéristiques du sol, qui font vraiment défaut. C’est pourquoi, dans les observatoires, nous voulons voir comment établir un premier niveau de réseau installé en 2009 ; une vingtaine de stations synoptiques qui permettent d’avoir les données, non seulement sur la pluie, mais aussi sur les vents, la température, l’humidité, un paquet de paramètres qui permettent de recommencer à canaliser les données pour analyser le pays. Mais le réseau est une chose, autre chose est de l’entretenir, collecter les données, les archiver correctement, les rendre disponibles … |
Bernard |
… et voir que celui qui les reçoit les utilise. |
Gina |
On aura des images satellites chaque jour qui permettront de suivre, par exemple, l’évolution de la végétation, de voir si dans une année on a eu moins de pluie, et quel impact cela a eu sur l’agriculture ; y a-t-il risque de baisse de la production ? C’est l’alerte précoce au service de la sécurité alimentaire. |
Bernard |
Ce système d’alerte précoce, c’est une chose ; mais, par exemple, j’ai beaucoup de relations avec la CNSA, qui sort régulièrement un bulletin. Dans un de ces bulletins, en janvier, elle avait averti : en avril on aura des problèmes, personne n’en a tenu compte. D’où tient-elle ses informations ? |
Gina |
La CNSA est un partenaire important de l’application production agricole et sécurité alimentaire ainsi que de l’observatoire global. Autrement dit, à la CNSA il y aura la capacité de donner des informations plus fiables et elle a beaucoup insisté sur la capacité de diffusion. Ils parlent de l’internet, mais ils auront les moyens pour que les informations soient plus diffusables et cela aura un impact important sur tout ce qui a à voir avec l’agriculture. |
Bernard |
Je pensais à la CNSA pour tout ce que tu as dit sur les surfaces en culture, le volume de production, et c’est ce que la CNSA fait et qui lui a permis de lancer cet appel en janvier. |
Gina |
Elle a des observatoires de terrain, mais là elle aura plus de capacité technologique. Ce qui s’est passé aux Gonaïves montre de manière flagrante à quel point nous ne sommes pas outillés. Il ne suffit pas de donner les informations pluviométriques basées sur un modèle régional. Pour le moment, du fait que toutes ces stations n’existent pas, quand Miami nous avertit qu’il va y avoir un cyclone, quelle zone il va toucher, quelle masse d’eau il charrie, cela ne suffit pas. Il faut les données locales. Quand j’ai des pluviomètres qui me disent quelle quantité d’eau est tombée dans les hauteurs, je peux prévoir les conséquences pour la partie basse. C’est parce que les gens des Gonaïves ont fait leurs propres prévisions … |
Bernard |
… les gens des Gonaïves, dès que le temps est couvert, ils se mettent à l’abri ! |
Gina |
Quand on parle d’infrastructures de données territoriales, c’est aussi important qu’un tas d’autres infrastructures. Une route est plus visible, mais il est important que nous soyons outillés pour avoir de bonnes informations à temps. C’est comme cela que nous pourrons protéger la population, car à ce niveau de dégradation, la première chose c’est de protéger les personnes et les infrastructures. |
Bernard |
Je pensais à Cabaret. C’est peut-être encore plus grave ; il pleut jusqu’en haut dans les mornes de Saut d’Eau et brusquement l’eau leur arrive dessus. C’est comme moi, qui vit au bord du Bois-de-Chène ; brusquement je l’entends qui descend, pourtant il ne pleut pas chez moi, mais dans les mornes. |
Gina |
C’est pour cela que tu t’intéresse aux bassins versants. |
Bernard |
Oui, je vis sur un bassin versant. |
Gina |
Et c’est pour cela qu’il faut bien maîtriser les composantes afin de gérer les bassins versants. |
Bernard |
Bien sur, et dans le cas de Cabaret, Elsie a beaucoup parlé avec leur correspondant. Il disait : nous ne nous doutions de rien ; j’étais en train de dormir et brusquement l’eau est arrivée ; je n’ai eu que le temps de sortir deux enfants et je suis sorti rechange sur le corps. S’il y avait eu quelqu’un, au niveau de Saut d’Eau, pour dire : attention, il pleut ; de manière plus sophistiquée, pas comme je le dis maintenant, les gens auraient été avertis et auraient pris leurs précautions. C’est cela, l’application pratique. |
Gina |
Voilà, il faut des modèles, et qu’ils soient adaptés, et il faut les alimenter avec des données. Mais si les données ne sont pas bonnes, cela ne marchera pas. C’est la capacité de suivi qu’il faut développer. Par exemple, quand on parle de pluie, il ne suffit pas d’avoir les données sur une année. Dans certains cas, il faut des séries sur plusieurs dizaines d’années. |
Bernard |
Est-ce que c’est vrai ? on parle de cycles ; par exemple, pour le Nord-Ouest, on dit que tous les sept ans il y a une grande sécheresse. |
Gina |
Oui, il y a des modèles qui montrent des phénomènes qui se reproduisent chaque dix ans ; il y en a même qui se reproduisent chaque cent ans. Même chose au niveau des tremblements de terre. Nous ne pouvons donc pas gérer un pays au jour le jour, ou alors nous serons toujours dans l’urgence ; et un des meilleurs moyens est d’avoir une capacité de comprendre le territoire, de suivre le territoire, de voir les tendances. Il faut voir comment était le territoire il y a 20 ou 30 ans, comment il est aujourd’hui. Cela permet de savoir quelles pressions il y a sur telle ou telle zone, et de quelle nature sont les pressions. Il ne suffit donc pas d’avoir des images satellites ou des cartes ; il faut aller sur le terrain et faire des observations, des enquêtes, parler aux gens. C’est pour cela que pour plusieurs applications nous devons utiliser une méthode participative. Il ne suffit pas de fournir des données, pour que les gens prennent conscience et que, par exemple, ils cessent de couper des arbres, de construire là où il ne faut pas, car nous créons notre propre vulnérabilité. |
Bernard |
Nous détruisons notre environnement. Maintenant entrons un peu plus dans le détail à propos des bassins versants. |
Gina |
Nous avons donc une application qui est l’étude pour l’aménagement des bassins versants. Quand nous réfléchissions aux applications à choisir, nous avons pensé que celle-là était fondamentale, car, si nous voulons comprendre le pays, cela doit passer par une bonne compréhension des mécanismes bio-physiques, mais aussi de la façon de vivre des gens dans ce milieu, de manière à pouvoir donner des outils pour mieux gérer le territoire. Nous avons un pays très montagneux. |
Bernard |
75 % du territoire. |
Gina |
Nous avons un réseau hydrographique très dense, beaucoup de rivières, de ravines, et de ravines qui se créent. Si on prend la zone de Fond Verrettes, par exemple, et que l’on compare les cartes d’avant et après 2004, c’est incroyable le nombre de nouvelles ravines. |
Bernard |
J’observe, sur la Chaîne des Matheux, le nombre de nouvelles ravines qui se créent et j’aimerais comprendre comment elles apparaissent. |
Gina |
C’est le résultat du fait qu’il n’y a plus d’arbres. |
Bernard |
Oui, mais j’aimerais comprendre pourquoi, à un endroit précis, une portion de terre s’en va. Je me souviens que feu Garvey Laurent, qui habitait en plaine, me demandait : qu’est-ce qu’on va faire ? le morne s’en va. Je le voyais, mais maintenant je regarde et je constate que cela va en s’aggravant. |
Gina |
Si tu regardes la carte de positionnement des villes, presque toutes sont localisées près de la côte (héritage colonial). |
Bernard |
Les 13 villes les plus importantes sont sur la côte, sauf une : la Petite Rivière de l’Artibonite. |
Gina |
Il y a Hinche aussi. Mais puisque l’enjeu est vraiment important, cela passe par un bon diagnostic de la situation. Dans le cadre de cette application, nous ne voulons pas tout faire ; nous voulons commencer à mettre le système en place. Voir si on peut faire un premier niveau de diagnostic, mais cela ne permet pas de prendre des décisions. |
Bernard |
On commence à comprendre. |
Gina |
Cela aide aussi à s’orienter vers les bassins versants qu’il faut prioriser par rapport à l’optique d’aménagement et de développement. Il ne faut pas que des considérations politiques influent le choix. |
Bernard |
Si on était sous Namphy, vous choisiriez le bassin versant que je vous propose. |
Gina |
Lequel ? |
Bernard |
La Grande Rivière du Nord. |
Gina |
Je crois dans la capacité d’un professionnel de faire une analyse visuelle, mais je crois aussi que le choix peut être fait de manière plus transparente et objective, avec un Système d’Information Géographique qui permet de comparer, et à partir d’une vision. L’autre composante de cette application plus proche d’un outil d’aide à la décision : nous allons choisir un bassin versant et nous allons collecter des données plus détaillées, à plus grande échelle, comme nous disons dans notre jargon. Nous allons produire de nouvelles données, nous allons sur le terrain, pour des campagnes de relevé, mais aussi des enquêtes, parler avec les gens, pour un bon diagnostic de ce bassin versant-là ; et sur cette base, faire un zonage et un plan d’aménagement. |
Bernard |
Concrètement, vous allez mettre en œuvre toute la batterie de données à collecter. |
Gina |
Pour une approche de gestion intégrée du bassin, il y a un ensemble de données importantes. |
Bernard |
Cite m’en quelques unes. |
Gina |
Par exemple, il y a des données sur les caractéristiques du sol, le parcours des rivières avec leurs affluents, l’occupation du sol. |
Bernard |
Il y a une donnée que tu n’as pas citée : le relief. |
Gina |
Bien sur, une des premières données que nous allons collecter, ce sont les données altimétriques. Nous allons prendre les données au laser, qui donne une précision de l’ordre centimétrique, car une précision de l’ordre de 30 mètres ne suffit pas ; 50 cm peuvent faire la différence. Il y a les données pluviométriques. |
Bernard |
Donc : le sol, la pente, les précipitations … |
Gina |
… l’occupation du sol, l’utilisation du sol, la tenure, toutes les données sur l’habitat. Puis il faut coupler toutes ces données avec des enquêtes : comment vivent les gens ? comment ils travaillent la terre ? |
Bernard |
Attends, tu as dit : on va confronter avec la population. |
Gina |
On va avoir des rencontres. |
Bernard |
Tu vas leur demander s’ils ont d’accord avec ce que tu avances ? |
Gina |
On va les questionner pour voir comment ils comprennent l’espace dans lequel ils vivent. |
Bernard |
Je pose la question parce que tu parles de gestion intégrée, c’est à dire que la population est partie prenante dans l’analyse et dans les décisions. Pour cela, il faut qu’elle comprenne le problème. |
Gina |
C’est pour cela que nous commençons à parler de cartographie participative. |
Bernard |
Tu ne connais pas l’expérience de CROSE ? ils ont fait une maquette du bassin versant de la Grande Rivière de Jacmel, avec la population. |
Gina |
Nous avons fait une expérience similaire à Marmelade. C’est important, parce que le fait que la personne habite un lieu ne veut pas dire qu’elle a une vue d’ensemble. Si on veut faire une conscientisation, il ne suffit pas d’utiliser la radio, il faut aussi aller voir les gens. Il faut leur faire comprendre ; il faut les faire participer dans les choix. |
Bernard |
Parce que si les gens ne sont pas d’accord, rien ne se fera. |
Gina |
On n’a qu’à voir tous les millions qui ont été dépensés etle couvert végétal continue à diminuer. On aura aussi la capacité de faire le suivi-évaluation. Autrement dit, j’ai un projet de 5 millions pour reboiser x hectares quelque part ; je sais où sont ces hectares, je pourrai voir l’année prochaine si les plantules sont encore là, et dans 5 ans. Avec le Système d’Informations Géographiques (SIG) on a la capacité de faire le suivi. On le fait dans beaucoup de pays. Avec l’observatoire global on veut arriver à cela. |
Bernard |
Vous avez déjà choisi le bassin versant pilote ? |
Gina |
Pas encore. |
Bernard |
Qu’est-ce que vous attendez ? J’en parle parce que l’autre jour il était question d’un bassin gérable. Qu’est-ce c’est qu’un bassin gérable ? un petit bassin sans importance ? Moi, je continue à plaider pour la Grande Rivière du Nord, sachant très bien que c’est un très grand basin, 600 km2 ! mais ce n’est rien devant celui de l’Artibonite : 6.000 km2. |
Gina |
C’est un fait qu’il y a énormément de besoins. En tout cas, nous allons développer une série d’études, d’outils, de recommandations ; mais cela servira aussi de modèle, pour d’autres applications, qu’il faudra adapter. Ce sera une expérience extraordinaire qui durera deux ans. |
Bernard |
Allez vous entrer dans toutes les applications en même temps ? |
Gina |
Nous avons un premier maillage de données pour l’ensemble du pays. Puis nous aurons à faire des cartographies nettement plus fines. Nous sommes dans la planification opérationnelle. Bientôt nous allons lancer des appels d’offres pour l’achat des équipements. |
Bernard |
Vous avez un site ? |
Gina |
On est en train de le monter. Tout le monde pourra avoir accès à des données de base. |
Bernard |
Une question triviale : le PITDD, c’est combien de personnes ? |
Gina |
C’est d’abord l’équipe de base qui est au CNIGS ; certains sont là depuis 1998 ; c’est une nouvelle équipe formée : depuis 2005, nous envoyons de jeunes universitaires prendre une formation plus poussée, qui commencent à revenir ; nous prenons aussi des stagiaires et des résidents ; et puis nous avons des experts externes qui viennent nous appuyer. |
Bernard |
C’est un projet de 5 ans ? |
Gina |
Il nous reste 2 ans ; il faut que tout soit terminée fin 2010. Nous avons perdu beaucoup de temps avec les problèmes de la conjoncture et avec un terrain que l’Etat devait nous donner pour construire notre bureau ; mais c’est un gros effort que l’Etat a fait. Nous avons commencé dès 2005 avec la formation, non seulement pour le personnel du CNIGS, mais aussi au niveau des institutions partenaires. C’est une grosse machine, qui sera aussi sur le terrain avec les équipes d’enquêteurs. |
Bernard |
Et après les 2 ans ? |
Gina |
Cela va continuer. |
Bernard |
Tu connais la chanson bavaroise : wer soll das bezahlen ? qui va payer pour cela ? tu viens de dire : l’Etat a fait un gros effort, va-t-il continuer à faire de gros efforts ? |
Gina |
Il y a quelque chose qui te surprendra. Contrairement à beaucoup d’initiatives qui ont été prises dans ce pays, et qui sont tombées, je peux dire que, dans ce domaine l’Etat a fait preuve de continuité avec nous. Nous avons commencé en 1998 avec l’UTSIG, non seulement nous avons eu un support continu de l’Union Européenne, qui est notre principal bailleur de fonds, mais nous avons un support vraiment continu de l’Etat. Et c’est important. Au CNIGS, il y aura une direction des applications thématiques qui sera le cadre institutionnel pour maintenir le partenariat avec les autres institutions. Nous ne voulons pas être une institution « tour d’ivoire » ; notre objectif est de renforcer la capacité de nos partenaires, pendant que nous renforçons notre propre capacité. Il faut un aller-retour entre le CNIGS et les institutions pour que nous soyons un vrai service public. |
Bernard |
Lucky lady ! |
Gina |
Je ne pense pas que ce soit une affaire de chance, je pense que c’est une affaire de travail. L’expérience que j’ai faite me fait arriver à la conclusion que, l’une des raions qui fait que le pays ne marche pas, c’est que chacun reste dans son coin, dans une pose d’attentisme. Il y a tout un travail de plaidoyer à faire, et de livrer le travail promis. |
Appel |
Est-ce que toute rivière ou ravine a un bassin versant ? |
Bernard |
Chaque rivière, chaque ravine a un bassin versant ; un bassin versant est une portion de terre dont toute l’eau de pluie qui tombe dessus va dans une ravine ou une rivière. |
Gina |
Avec les différentes informations que l’on peut collecter, on peut mieux comprendre le milieu et savoir que faire et où le faire. |
Bernard |
Et, pour rester dans l’actualité, quelles mesures prendre pour que ce qui vient d’arriver aux Gonaïves ou à Cabaret ne se reproduise pas. Maintenant, il va falloir s’arrêter. Je crois qu’il nous faudra revenir et re-expliquer, ne serait-ce que pour l’auditeur qui vient d’appeler, d’autant que nous avons une programmation pour les parcs naturels. |
- Details
- Category: Programmes et projets (25)
Emission du |
12/08/08 |
Thème |
La cnsa |
Invités |
Gary Mathieu Jean-Marie Binette |
Transcription
Bernard |
Je ne sais pas si vous vous souvenez, la semaine dernière, lors de la première émission après mon retour de vacances, j’esquissais une sorte de programme pour le reste de l’année 2008 et j’avais énuméré quelques thèmes qui pourraient être abordés. L’un de ces thèmes concernait les mesures à prendre face à ce complexe de questions liées aux « émeutes de la faim ». Nous avions eu la proposition de la FONHDILAC, puis nous avons reçu deux membres du Forum Agricole Goâvien, j’ai brièvement parlé du sommet de la FAO, qui s’était tenu à Rome, nous avons reçu des membres du l’Association des Paysans de Boucassin, et j’avais dit que nous reviendrons sur cette problématique. Cet après-midi nous avons un personnage clé d’abord du fait qu’il est ce qu’on appelle en anglais mon « landlord », car c’est lui qui permet à l’INARA de faire « la descente » dans l’immeuble où nous sommes logés, mais surtout l’agronome Gary Mathieu est le coordonnateur de la CNSA (Coordination Nationale de la Sécurité Alimentaire). Autrement dit, il est au centre de tout ce qui se fait dans le domaine de la sécurité alimentaire, de la lutte contre la faim. Il est accompagné de quelqu’un que nous connaissons déjà ; Jean-Marie Binette, agronome mais aussi juriste, était venu nous parler du droit environnemental haïtien face aux avancées du droit international. Aujourd’hui il nous vient avec un autre point juridique : le droit à l’alimentation. Mais avant de parler de la CNSA, Monsieur le coordonnateur, la sécurité alimentaire, qu’est-ce que c’est ? |
Gary |
Selon la FAO, on est en situation de sécurité alimentaire quand la population trouve des aliments en quantité et en qualité pour satisfaire ses besoins. La sécurité alimentaire est un concept qui repose sur quatre piliers : 1. la disponibilité, ce qui suppose d’abord la production nationale, mais aussi les importations commerciales et l’aide alimentaire ; 2. l’accessibilité, ce qui suppose que le consommateur ait les moyens d’acheter les aliments, référence au pouvir d’achat, donc aux revenus, d’où la relation entre sécurité alimentaire et pauvreté ; 3. l’aspect nutritionnel ; 4. la stabilité. Mais la disponibilité est liée à une série de facteurs. Récemment le responsable du PAM (Programme Alimentaire Mondial) me disait qu’il avait $ 400 millions pour acheter du riz ; mais ce riz venait d’Asie, et il fallait $ 7 millions rien que pour le transport. |
Binette |
Quand on considère l’aspect nutritionnel, il faut tenir compte de deux aspects : 1. l’aliment est sain, il n’est pas porteur de germes de maladie ; 2. le consommateur est en mesure de tirer profit de l’aliment. |
Gary |
Il y a une précision à porter. Le problème de l’insécurité alimentaire ne se pose pas partout de la même manière. Dans les pays de la Caraïbe, ils n’ont pas de problème de disponibilité ; leur problème, c’est l’obésité. L’insécurité alimentaire pour eux c’est l’aspect nutritionnel. Même chose en République Dominicaine. |
Binette |
Quand on parle de disponibilité, il faut tenir compte de la culture nationale. Si tu prends un musulman et que tu lui présente un plat de griot de porc, il y a disponibilité … |
Bernard |
… mais il ne va pas manger. |
Binette |
Culturellement il faut qu’il y ait l’acceptation de l’aliment disponible. En Haïti, on constate un changement dans les habitudes alimentaires. Et quand nous parlons de droit à l’alimentation, nous parlons de ces agressions contre la culture. |
Bernard |
Quand tu as donné l’exemple du PAM, j’ai pensé à cette ONG qui avait reçu une offre d’équipements gratis, mais il fallait payer le transport. Nous essayons de faire une émission décontractée, aussi nous arrive-t-il de taquiner nos invités : Monsieur le coordonnateur, tu me parles de sécurité alimentaire, mais j’ai des amis qui ne veulent pas entendre parler de sécurité alimentaire, pour eux, l’objectif c’est la souveraineté alimentaire. Comment réagis-tu à cela ? |
Gary |
La sécurité alimentaire, comme nous l’avons décrite, c’est la grande panacée. La souveraineté alimentaire est le fait de pays qui ont développé la capacité de produire leur propre alimentation. Prenons les pays du Golfe Persique. Ils ne peuvent produire leur alimentation, mais ils n’ont pas d’insécurité alimentaire, ils ont les moyens d’importer. Pour nous, nous cherchons à augmenter la disponibilité par la relance de la production nationale. Pour arriver à la souveraineté, il faudrait augmenter la production nationale pour éliminer les importations. Mais c’est un long cheminement, et on n’arrive jamais à la souveraineté totale, car il y a des aliments qu’on ne peut produire. Il y a eu les changements dans les habitudes de consommation dont parlait l’agronome Binette. Cela a commencé dans les années 80, quand on s’est mis à consommer du riz en grande quantité, quand on s’est mis à importer des abats de volaille, et toute la libéralisation du commerce, dont nous payons aujourd’hui les conséquences. |
Bernard |
Je ne me souviens plus où j’ai entendu le slogan : mange ce tu produis, produis ce que tu manges. La souveraineté alimentaire est surtout une attitude : ne venez pas modifier mes habitudes alimentaires, ne touchez pas à ma culture. Il y a des choses choquantes ; à Miami, les haïtiens vous invitent et vous servent de la bouillie de blé, que je trouve abominable, mais surtout qui nous a été imposée par l’aide alimentaire |
Binette |
La souveraineté alimentaire ne veut pas dire qu’on ferme le pays aux importations. C’est un droit qu’a un peuple de choisir quel type d’aliments il veut consommer, quel type d’agriculture il choisit. A partir de là, on peut établir un système de protection – bien que le protectionisme ne soit plus à la mode – de la production agricole. On ne rejette pas le commerce des aliments, mais on ne rentre pas dans les grands principes du commerce international – OMC (Organisation Mondiale du Commerce) – pour éviter de subir le dumping des gros producteurs. |
Gary |
Mais il faut un état fort. |
Bernard |
C’est la fameuse volonté politique. |
Binette |
Et il faut que l’Etat mette en place les balises nécessaires, les instruments légaux, devant permettre à la production nationale de s’épanouir. |
Bernard |
Tu as ouvert la voie à toute une série de discussions ; je te signale que le protectionisme n’est pas si passé de mode que cela, vois les subventions à la production du riz aux USA. |
Binette |
Il n’y a plus de listes restrictives, il n’y a plus de contingentement, il n’y a plus de barrières tarifaires, mais il y a d’autres barrières, sanitaires et autres. |
Gary |
Je peux donner l’exemple du Japon qui met une taxe de 80 % sur le riz importé, alors que chez nous elle est de 3 %, et dans la région caraïbe elle tourne autour de 30-35 %. |
Bernard |
Le Japon a-t-il la possibilité de produire assez de riz pour nourrir son énorme population sur sa petite langue de terre ? |
Gary |
Le peu qu’ils produisent, ils le protègent. |
Bernard |
Nous avons plus ou moins défini la sécurité et la souveraineté alimentaire et cela nous a mené à toute une discussion … |
Binette |
… on est parti pour plusieurs jours. |
Bernard |
Je me souviens de l’époque héroïque où nous menions la bataille contre le PPPADEP (Projet d’Eradication de la Peste Porcine Africaine et de Développement de l’Elevage Porcin) ; certains ont affirmé qu’il était faux que les cochons étaient malades, et que le projet était juste un moyen pour faire entrer de la viande de cochon et des abats de volailles dans le pays. |
Binette |
Ça c’est aussi un gros débat. |
Bernard |
Mais je voudrais aborder un autre point. D’après ce que je sais, bien avant la crise qui devait conduire aux « émeutes de la faim », la CNSA avait envoyé des signaux d’avertissement ; est-ce que je me trompe ? |
Gary |
Non, c’est exact. Depuis janvier 2008, nous avions fait une analyse de la situation alimentaire. Jusqu’à la fin de l’année 2007, on avait eu des cyclones qui avaient affecté les zones de produc-tion, et surtout, nous avions perdu la campagne d’automne. Nous avions donc fini l’année avec un gros déficit de production et il n’y avait eu aucune intervention du gouvernement ou de l’Etat pour atténuer les effets des catastrophes ; canaux d’irrigation pas curés, pas de distribution de semences, pas de programme d’intrants qui permettraient aux agriculteurs de planter davantage. Et puis il y a eu la combinaison d’autres facteurs que nous ne contrôlons pas : hausse du prix du pétrole, hausse du prix des aliments à l’échelle internationale. La CNSA a combiné tous ces facteurs et, dans la publication de janvier 2008, nous avons lancé un signal. Malheureusement Haïti est un pays où on n’aime pas lire, ou alors on ne lit que les informations à sensation. C’est donc passé inaperçu. Nous avons renouvelé le signal en mars ; nous avons sorti une analyse prospective et des cartes, indiquant ce qui pourrait arriver en avril-mai. Nous avions un scénario pessimiste, et c’est malheureusement lui qui s’est réalisé. Nous avons donc joué notre rôle d’informer le grand public, mais surtout les décideurs ; mais les mesures adéquates n’ont pas été prises. L’autre mission de la CNSA est la coordination des interventions. |
Bernard |
Je voudrais reprendre en tenant compte des définitions données au début. La situation était que la disponibilité était réduite, parce que le production était réduite, dans le même temps que l’accessibilité était réduite du fait de la montée des prix sur le marché interna-tional. |
Gary |
Nous avions une insécurité structurelle qui s’est aggravée suite à des causes conjoncturelles. |
Bernard |
Maintenant qu’est-ce qui se passe ? Il y a eu une réunion en Amérique Centrale ; je crois que le Président Préval y a participé ; puis il y a eu le sommet de la FAO à Rome. |
Gary |
L’agronome Binette y a accompagné le ministre Séverin |
Bernard |
Puis il y a eu Madrid |
Gary |
Et on prépare un après-Madrid. |
Binette |
Il y a eu aussi une réunion au Nicaragua, puis au Honduras. |
Gary |
Non, le Honduras c’était avant-hier, c’était Pétro-Caribe. |
Binette |
Le 2 juin, en préparation au sommet de Rome, il y a eu une réunion sur Haïti, organisée par le ministre des affaires étrangères du Brésil, Celso Amaury |
Gary |
Ce qui est arrivé en Haïti a beaucoup frappé l’opinion internationale. Beaucoup de pays ont connu des émeutes de la faim, mais Haïti est le seul pays où elles ont fait tomber un gouverne-ment. |
Appel |
La sécurité alimentaire c’est bien, mais quand arriverons-nous à la souveraineté alimentaire ? |
Gary |
Nous ne sommes pas sur une mauvaise voie, dans la mesure où, après le coup de fouet des évènements du 12 avril, tout le monde se rend compte, tant au niveau national qu’au niveau international, qu’il n’y a pas d’autre solution que de relancer la production nationale. C’est déjà un pas vers la souveraineté alimentaire. Et le document qui a été présenté à Madrid mentionne clairement la souveraineté alimentaire. La 1ère Ministre ratifiée a mentionné que nous avons perdu notre souveraineté sur deux points … |
Bernard |
… elle avait cité deux points, tous deux ayant à voir avec la sécurité : ∙ la sécurité alimentaire, et ∙ la sécurité tout court. |
Gary |
Il y a donc des efforts qui se font au niveau gouvernemental et il y a le plan du MARNDR qui est assez bien structuré. On est donc sur la route qui doit mener à la souveraineté alimentaire, mais l’auditeur doit comprendre que ce n’est pas pour demain, ni même à l’horizon 5 ans. |
Appel |
Quel mécanisme y a-t-il au MARNDR pour répondre aux problèmes ? par exemple au dumping du riz qui a commencé sous Henry Namphy ? |
Bernard |
Gay, c’est pour toi. |
Gary |
Même si je suis coordonnateur de la CNSA, qui est sous le tutelle du MARNDR, je ne parle pas pour le MARNDR. |
Binette |
Le ministère a préparé, avec l’appui de la FAO, un document de politique agricole d’Etat qui vise le long terme. Cependant il ne faut pas voir seulement le ministère, mais tout le secteur. Et il faut aussi faire appel à ceux qui font l’arbitrage budgétaire, les parlementaires, pour qu’ils donnent les moyens nécessaires. |
Bernard |
L’agronome Binette a élargi la perspective, mais on peut aller encore plus loin. Pour préparer cette émission, j’ai réuni une documentation qui révèle que ce n’est pas seulement Haïti qui a des décisions à prendre, c’est au niveau mondial. En Haïti, nous avons toujours cette hésitation entre agriculture vivrière et agriculture pour l’exportation, qu’on a tendance à favoriser, mais ce n’est pas le seul cas d’Haïti. Toutes les grandes institutions financières ont encouragé l’agriculture d’exportation, l’agriculture pour l’agro-industrie, et maintenant, quand la catastrophe est arrivée, on se dit qu’il faudrait faire, comme le disait le Monde Diplomatique, une révision déchirante, et on se remet à parler d’agriculture vivrière. Je pense que, comme d’habitude, nous allons voguer sur la vague d’une autre forme de mondialisation, et on aura peut-être une nouvelle politique agricole plus orientée vers l’agriculture vivrière, qui fournit des aliments à la partie de la population qui a le plus faible pouvoir d’achat. Cela fait longtemps que je me bats pour cela, mais personne ne m’entend ; de toute façon, je ne suis pas agronome, donc je n’ai rie à dire. En tout cas, grâce à quelques centaines de milliers de dollars perdus dans les vitrines brisées de Delmas, on aura peut-être une politique agricole plus intelligente. |
Appel |
Je veux aller plus loin que le choix d’une politique agricole ; pour faire un choix, il faut une volonté ; cette volonté existe-t-elle ? On parle depuis longtemps de relance de la production nationale ; mais que fait-on ? Au départ, il y a un problème : la production agricole est importante, mais il n’y a pas qu’elle. De plus, on n’a pas les moyens nécessaires ; existe-t-il une banque pour financer le développe-ment ? |
Gary |
Dans le programme présenté à Madrid, et qui est articulé autour de la sécurité alimentaire et le développement rural, on privilégie l’agriculture vivrière. C’est un programme assez coordonné, et pour une fois, les bailleurs de fonds acceptent que se soit le gouvernement qui coordonne les dépenses. Cela se présente sous forme d’appui budgétaire. On verra ce qui se décidera lors le la conférence invitée par la France et le Canada et qui se tiendra en Haïti en octobre. |
Bernard |
Cette conférence d’octobre est-elle la suite de Madrid ? |
Gary |
Oui, Madrid ne devait pas traiter des propositions de financement ; on s’en tenait au cadre stratégique. En Haïti, on viendra avec des propositions de projets et on parlera de financement. |
Bernard |
Aura-t-on un gouvernement d’ici là ? |
Gary |
C’est une condition. |
Appel |
Il y a un autre problème. Si le pays donateur se trouve dans une conjoncture inattendue qui l’empêche de faire les décaissements prévus ? |
Gary |
C’est le problème de la stabilité, à tous les niveaux. |
Appel |
Et il y a le problème des carburants alternatifs. Si on imagine d’utiliser la production locale pour faire des bio-carburants ? |
Bernard |
Je ne sais pas ce qui est dans la tête des gens de Damien, mais je peux te rassurer, car il y a la possibilité de produire du bio-diesel sans concurrencer la production alimentaire. |
Binette |
L’auditeur a dit une chose importante : quand on parle de relance de la production nationale, tout le monde entend production agricole, mais il n’y a pas que cela ; il y a des tas d’autres productions à relancer : l’artisanat … |
Appel |
Tu te souviens des cordonniers qui étaient en face de l’Hôpital Général ? tu te souviens de la Beurrerie du Sud ? |
Binette |
Il y a un point où je ne suis pas d’accord ; le rôle de l’Etat n’est pas de créer des industries pour les passer ensuite au secteur privé ; le rôle de l’Etat est de créer les conditions pour que le secteur privé puisse investir. |
Bernard |
Binette a parlé de demander de compte, mais nous avons une mauvaise habitude de ne demander des comptes qu’à l’exécutif, alors qu’on devrait en demander aussi à nos mandataires, les parlementaires. Je me souviens, à l’époque du coup d’Etat, il y avait un groupe de leaders paysans qui avaient dû se mettre à couvert ; nous nous réunissions de temps en temps, et un jour l’un d’eux a demandé s’il n’y avait aucun moyen de prendre des sanctions contre un parlementaire qui aurait pris des positions contraires à celles de ses mandants. Et il citait le cas d’un député du Centre qui avait appuyé le coup d’Etat alors qu’il avait été élu sur une liste Lavalas. |
Appel |
C’est un fait que les parlementaires ne font pas grand’chose ; la plupart des projets de loi viennent du gouvernement. |
Bernard |
C’est plus grave ; je ne sais plus si c’est Binette ou Jean André Victor qui m’a dit que les meilleures lois de ce pays sont, au départ, des décrets pris en période de vacance parlementairr. |
Binette |
C’est moi qui te l’ai dit. |
Bernard |
Nous avons commencé en retard, nous aurions encore beaucoup de choses à dire, et nous n’avons pas eu le temps d’entendre Binette sur le sujet du droit à l’alimentation, nous allons donc devoir nous rencontrer à nouveau, surtout si la réunion d’octobre a lieu. Mais en attendant, très rapidement, quel est dans dans tout ce dont nous avons parlé le rôle de la CNSA ? |
Gary |
Rôle d’information |
Binette |
Je voudrais dire qu’il y a une méconnaissance de la CNSA, et tu n’as jamais demandé à Gary ce qu’elle était, où elle était rattachée. |
Bernard |
C’est un fait que nous sommes partis sur la sécurité alimentaire et avons oublié la CNSA. |
Gary |
La CNSA a été créée en 1996. Cette année là, au mois de novembre, la FAO avait organisé à Rome une conférence sur la faim dans le monde. Haïti était représentée par le président Préval lui même. On avait demandé à chaque pays de prendre des mesures en vue de lutter contre la faim. C’est ainsi que la CNSA a été créée. Elle a à sa tête un Conseil Interministériel pour la Sécurité Alimentaire (CISA) composé de cinq ministres : Agriculture, Plan, Finances, Commerce, Santé. Elle a deux missions : ∙ suivi de la sécurité alimentaire, ∙ coordination des interventions. Pour le suivi, nous avons identifié une série d’indicateurs : ∙ pluviométrie, ∙ prix du marché, ∙ données macro-économiques. Nous les collectons chaque mois, nous les traitons, et nous sortons une publication mensuelle. Chaque trois mois, nous sortons un bulletin conjoncturel et chaque deux ans, nous sortons un bilan. Nous envoyons ces publications à environ 700 destinataires, et tout cela est accessible sur notre site internet. Nous ne vérifions pas quelle utilisation est faite des informations que nous publions. Pour la coordination des interventions, nous ne faisons pas grand’chose. C’est assez difficile, les acteurs sont des agences internationales, des ONG, des acteurs de la société civile, et dès qu’on parle de coordination, on crée des susceptibilités. Nous organisons des rencontres de concertation et nous collectons des informations que nous restituons au public. Nous avons une faiblesse structurelle : la CNSA existe depuis 13 ans, mais aucune loi n’est venue légaliser la structure, de sorte que nous ne pouvons figurer au budget de la République. Jacques Edouard Alexis avait demandé un appui technique à la CNSA ; il avait préparé un plan d’action contre la vie chère dont le budget s’élevait à S 4 milliards ; il n’a reçu que $ 400 millions. Actuellement nous avons réuni tous les acteurs et préparé un plan de réponse pour la période avril-sptembre. Le budget s’élève à $ 135 millions. Il repose sur trois piliers : ∙ création d’emplois à haute intensité de main-d’œuvre (HIMO) ∙ aide alimentaire directe ∙ relance de la production. $ 72 millions ont été décaissés, mais ce sont des agences des Nations Unies qui ont reçu les fonds. |
Bernard |
Je lisais un papier au sujet de ce plan et il était dit qu’un des problèmes était l’identification des projets HIMO ; mais il y avait eu le PAS (Programme d’Apaisement Social), ne pourrait-on pas reprendre les projets qui y avaient été retenus ? |
Gary |
C’est ce qu’on a fait. Mais personne ne sait, au gouvernement, combien d’argent a été décaissé et qui l’a reçu. Pour remettre les choses à plat, le gouvernement a préparé ce programme qui a été présenté à Madrid |
Bernard |
Puis-je dire que grâce aux « émeutes de la faim » la CNSA a été en mesure de remplir sa fonction de coordination ? |
Gary |
Oui, c’est malheureusement vrai ; et on dit que cette crise a été une opportunité pour de petits pays de relancer leur production agricole. Notre vision de la CNSA dans cinq ans est que nous devons avoir des relations étroites avec une institution comme l’UCAONG (Unité de Coordination des Organisations Non-Gouvernementales), et le bilan que nous sortons chaque deux ans ne donnera pas seulement un état de la sécurité alimentaire, mais aussi un bilan des réalisations. |
Binette |
Il y a des pays ou la sécurité alimentaire est au niveau d’un secrétariat d’Etat. |
Bernard |
Il est sept heures, nous allons devoir nous arrêter, mais nous reviendrons à la CNSA … |
Binette |
… et nous devons parler du droit à l’alimentation. |