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Débat |
Développement Durable |
Domaines |
Environnement |
Mise en œuvre |
Mélodie and company |
Emission du |
03/05/07 |
Invité |
Abner Septembre |
Thème |
Association des Paysans de Vallue |
Transcription
Bernard |
Comme je l’avais annoncé, aujourd’hui nous avons avec nous Abner Septembre qui va nous parler de l’ Association des Paysans de Vallue (APV). Je suis allé deux fois à Vallue. La première fois, c’était à la suite du fameux 11 septembre ; mon fils Bernard et sa femme étaient en Haïti et devaient repartir ce jour-là, mais il n’y avait plus d’avion. Ils sont donc restés bloqués quelques jours et nous avons du organiser un programme pour eux. C’est ainsi que nous sommes allés avec eux à Vallue dont nous avions tellement entendu parler La seconde fois, nous y avons passé un week end à l’occasion d’une des manifestations qui y était organisée. C’est pour dire que pour moi, Vallue était toujours lié à l’idée de loisirs, et c’est pour cela que je voulais placer l’émission dans le cadre de l’écotourisme, d’autant que nous avons eu une émission sur l’écotourisme le 15/03/07 avec Camille Bissereth de FONDTAH. Et puis voilà qu’Abner m’a envoyé ce document qui me fait réaliser que, Vallue, c’est bien plus que cela. Alors Abner, c’est quoi Vallue ? |
Abner |
Value est une habitation située dans la 12ème section communale de Petit Goâve. On y arrive en 20 à 30 minutes, par une route de 5 km qui part du morne Tapion. |
Bernard |
20 minutes ? à moins que vous n’ayez travaillé sur la route. |
Abner |
On a travaillé sur la route en mettant des bandes de béton, en commençant par les pentes mais on avance petit à petit. Vallue est à la limite des 1ère et 2ème sections communales de Grand Goâve. La population est d’environ 4.000 habitants, regroupés dans 600 familles, réparties sur 25 km2. C’est une zone montagneuse : l’altitude varie entre 650 (là où se trouve le bureau de l’APV) et 900 mètres et elle reçoit 1.200 mm de pluie annuellement, répartis sur deux saisons. Quand on est à Vallue, on est coupé du reste du pays et de ses problème, mais o a toutes les facilités électricité, cyber café … |
Bernard |
Et il faut dire que quand on est à Vallue, on a une vue superbe sur la côte au niveau de Grand Goâve et Petit Goâve. La première fois que j’ai entendu parler de l’APV, c’était à la HAVA, il y a très longtemps. On mentionnait le fait qu’une association de paysans, qui n’arrivait pas à avoir de reconnaissance légale, car il n’y avait pas, et qu’il n’y a toujours pas de loi sur les associations, avait obtenu le statut d’ONG. |
Abner |
L’APV est née dans le cadre de cette mouvance qui a traversé le pays après le départ de Jean-Claude Duvalier, où on a vu des organisations se développer comme des champignons. Entre août et octobre 1986, on a eu des réunions de gens de Vallue et finalement l’association a vu le jour le 03/01/87. Nous avons cherché, dans un premier temps, la reconnaissance par la mairie de Petit Goâve, puis celle du Ministère des Affaires Sociales, et enfin, après de nombreuses démarches, nous avons obtenu le statut d’ONG en 1989. |
Bernard |
Et à quoi cela a-t-il servi ? |
Abner |
Chaque fois qu’une association entreprend des démarches, les deux premières questions qu’on lui pose sont : avez-vous une reconnaissance légale ? avez-vous une route ? Nous avons lancé le travail de la route le 02/05 |
Bernard |
C’est vous qui avez fait la route ? |
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Oui. Avec la reconnaissance nous avons pu signer des contrats. Quand nous avons eu le statut d’ONG, les gens de la commune de Petit Goâve ont pensé que maintenant l’APV pourrait aider le reste de la commune. Nous ne nous sentions pas prêts pour cela, mais nous avons entrepris de créer des cellules APV dans plusieurs sections communales et nous avons créé des districts. Notre approche était qu’il vaut mieux apprendre aux gens à pêcher plutôt que de leur donner du poisson. |
Bernard |
Lors de notre séjour à Vallue, nous avons rencontré des personnes venues de l’extérieur mais voulaient aider. |
Abner |
APV a développé une capacité de mobilisation, pas seulement de ressources matérielles, mais aussi de personnes venant de différents secteurs qui manifestent leur solidarité, par exemple à l’occasion de la foire de la montagne, pour la route, pour les constructions. Nous organisons des stages de vacance pour les étudiants. Quand le stagiaire arrive, on commence par lui donner une orientation ; puis sous la supervision d’un cadre, il va travailler dans la population. A la fin du stage, il y a présentation d’un rapport, et, selon les moyens dont nous disposons, on peut lui proposer un emploi pour un certain temps. Il faut comprendre que ce dont on a besoin au départ ce n’est pas l’argent, la terre, les moyens matériels, mais
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Bernard |
On pourrait organiser des cours d’été |
Abner |
Oui, et ce ne serait pas seulement théorique ; il y a plusieurs champs où on peut plonger dans la réalité. |
Bernard |
Vous avez été capables de mobiliser les gens de l’extérieur ; et la mobilisation des gens de Vallue ? |
Abner |
Tout d’abord je dois signaler qu’il y a un courant qui est passé avec Mélodie FM. Les 10 premières années ont été des années de construction. A l’époque où j’étais étudiant, je revenais de temps en temps pour former des animateurs. En 1987, nous avons démarré un programme d’alphabétisation. J’avais un petit job à l’ONPEP et cela a facilité les choses. Nous sommes arrivés à 54 centres d’alphabétisation répartis dans les 12 districts. Il y a eu donc un travail de mobilisation, d’éducation et d’organisation. Ce n’était pas une question d’argent ; nous n’en avions pas ; un animateur touchait 75 gourdes. Ce n’est que fin 97 que nous avons eu la 1ère moto et le premier employé. Mais la communauté est soudée, et quand on n’a pas d’argent, les gens viennent travailler bénévolement. L’APV c’est leur gouvernement, et, quelque soit le problème que les gens peuvent avoir, problème de conflit terrien, de conflit dans un famille, ou un enfant qui a eu un accident, c’est d’abord à Vallue qu’ils s’adressent. C’est une vraie famille, une référence pour les gens. Nous faisons aussi en sorte qu’ils connaissent bien l’association ; nous faisons de l’orientation en faisant venir les gens pour visiter les installations. Nous ne voulons pas qu’il puisse arriver ce qui s’est produit au départ de Jean-Claude Duvalier, quand les gens ont détruit les écoles qu’ils identifiaient avec le dictateur. Ici les gens seront prêts à défendre les installations. |
Bernard |
Nous avons connu cela à Croix Fer, où les jeunes ont protégé notre véhicule. |
Abner |
C’est qu’il y avait une bonne intégration. |
Bernard |
Oui, et nous en étions très fiers. |
Abner |
Un exemple : à l’époque où les militaires contrôlaient le pays, nous avons été arrêtés suite à un problème sur la route. Le commandant de Petit Goâve a fait venir le chef de section et lui a demandé comment il n’avait jamais fait de rapport sur les agissements de ces communistes. Le chef de section lui a répondu que s’il s’agit d’une association de communistes, il ne sait pas ce que sont les communistes, car il est membre de l’association. Nous avons fait un travail qui touchait tout le monde, y compris les chefs de section, et actuellement nous faisons de même avec les CASEC et ASEC. |
Bernard |
Le thème central de l’émission c’est le développement durable ; nous devons revenir à l’environnement. Vallue est en montagne ; comment avez-vous abordé le thème de l’environnement ? |
Abner |
D’abord il faut toucher les gens. Nous avons pris l’environnement au sens large : l’environnement physique, mais aussi les valeurs, l’économie, la démographie… En 1991, j’étais alors étudiant à Ottawa, quand on demandait aux gens ce qu’ils pensaient du planning familial, les hommes répondaient qu’ils n’avaient rien à voir avec cela ; les femmes disaient : se Bondye ki bay pitit. Aujourd’hui beaucoup de paysans font du planning. Ils ont compris qu’il n’y a pas assez de terre. En deuxième lieu, l’éducation, au sens large, non seulement, celle des enfants, à travers les écoles, mais aussi celle des parents, à travers les groupes. Actuellement, si un paysan doit couper un arbre, très souvent il vient demander conseil, et ils savent qu’il faut remplacer l’arbre coupé, 10 pour 1. un paysan peut arrêter quelqu’un qui a coupé un arbre qu’il n’aurait pas du et l’amener à Vallue ; nous essayons aussi de coopérer avec l’appareil judiciaire pour les mandats. A l’occasion des assemblées générales, on a des témoignages des paysans et paysannes… Nous invitons aussi les visiteurs à participer, par exemple en mettant eux-mêmes une plantule en terre, en versant des frais … |
Bernard |
Un groupe d’étudiants de la FAMV a préparé une avant-proposition de loi sur la modernisation du secteur agricole. Un des points qu’ils ont touchés concerne le partage des biens au moment de la succession ; ils proposent qu’une exploitation ne soit pas divisée … C’est une question délicate car cela touche au code civil. |
Abner |
C’est très important, mais la difficulté c’est l’application. Il y a des familles qui ne séparent pas l’exploitation, elles restent dans l’indivision. Mais plusieurs facteurs peuvent influencer le comportement des gens : l’éducation, mais aussi les conditions d’existence. Il faudrait voir tout ce qui peut influencer l’application d’une telle loi. |
Bernard |
Ce n’est pas par hasard qu’on est arrivé au tourisme rural. Est-ce que l’agriculture peut permettre aux gens de vivre ? |
Abner |
Il faut diversifier : d’autres cultures, par exemple les légumes, faire de la transformation ; il faut retirer la pression sur la terre ; le tourisme a semble offrir une opportunité. |
Bernard |
L’idée est de faire baisser la pression démographique sur la terre en créant d’autres types d’activité. |
Abner |
Pitit se riches, si gen edikasyon… La foire permet à une famille d’avoir un revenu supplémentaire en recevant du monde. |
Bernard |
Est-ce que cette formule de loger les visiteurs chez l’habitant fonctionne ? |
Abner |
Oui ; pas toute l’année, mais à certaines occasions : foire de la montagne, … |
Bernard |
Mais la famille a du faire des aménagements dans sa maison ? |
Abner |
Bien sur. Nous avons construit 15 maisons et les bénéficiaires commencent à rembourser ; avec ce remboursement nous continuons à construire et à aménager. |
Bernard |
La première personne que j’ai entendu parler de loger des touristes chez le paysan, c’était Smarck Michel, qui était alors Ministre du Commerce. Je dois dire que je me suis demandé s’il savait ce qu’était un logement paysan. |
Abner |
En ce qui concerne le tourisme, il n’y a pas que Vallue ; on peut envoyer les visiteurs vers d’autres sites : le site « pain de sucre », avec, à l’entrée, un superbe mapou sur lequel courent toutes sortes de légendes, et une vingtaine de bassins, Bassin Arc-en-ciel, Bassin Gamelle, les grottes de Grand Goâve, le canal colonial de Dimy. |
Bernard |
Il faudrait un cinéaste pour faire connaître tout cela. |
Abner |
Oui, il y aurait beaucoup de choses à montrer. |
Bernard |
En y réfléchissant bien, quand on a un hôtel, il n’y a que le client qui en profite, avec cette formule, le client profite, mais de propriétaire de la maison profite également. |
Abner |
Et les paysans veulent continuer à aménager leur habitat ; ainsi maintenant ils veulent avoir des panneaux solaires. Mais il n’y a pas que les visiteurs qui viennent à Villa Ban-Yen ; les gens de Vallue y viennent aussi, par exemple pour une réception de mariage, pour la lune de miel. L’hôtel de son côté appuie des activités sportives, par exemple les déplacements de nos jeunes joueurs de tennis. |
Bernard |
Tu veux dire ping-pong. |
Abner |
Non, tennis. |
Bernard |
Parlons maintenant de Topla |
Abner |
Agro-industrie On va se lancer dans la production de vin. Nous voulons convertir Topla en entreprise par actions. Il n’y a pas que l’impact économique ou environnemental, il y a aussi un impact social. Ainsi il y a un aspect éducatif : on est obligé de penser à l’autre, le client, donc on comprend la nécessité de l’hygiène ; il y a les éléments de gestion. Vous savez que nous avons été médaillés de 1er mai. |
Bernard |
Je dois signaler que Abner est un sociologue et qu’il partage certaines de mes préoccupations ; il y a quelque temps il a écrit un article dans lequel il signalait que le paysan est actuellement complètement oublié. Mais nous aurons l’occasion d’y revenir. Nous avons parlé de création d’emplois, quels autres projets y a-t-il ? |
Abner |
Nous pouvons signaler la route, un programme de repeuplement porcin. Nous essayons d’améliorer les conditions de vie du paysan, par exemple au niveau des besoins en eau nous avons construit un impluvium avec un réservoir de 75.000 gallons, car il faut stocker l’eau, mais il y a aussi un programme de captage de sources. Avec cela, les enfants n’auront plus à aller chercher de l’eau. |
Bernard |
Est-ce que vous encouragez les citernes individuelles ? |
Abner |
C’est très important car cela permet au paysan d’avoir un jardin proche de sa maison. L’exemple de la papaye … si chaque paysan peut avoir 3 plants de papaye qui donnent des papayes comme celle-la, on peut imaginer le profit. Nous voulons rapprocher l’école des enfants Dans le domaine de l’information, nous avons un cyber café et une radio communautaire. |
Bernard |
A propos de radios communautaires, nous aimerions faire passer ces émissions sur ces radios. |
Abner |
Ce serait une bonne chose. |
Bernard |
Tu ne m’as pas parlé de Fort Gary. |
Abner |
Il est à une certaine distance de Vallue et une excursion vers le fort devrait se faire en deux ou trois étapes ; on pourrait, par exemple, prévoir une halte à l’étang Durissy. |
Bernard |
J’ai fait une fois un grand tour à cheval, partant de la rivière Barette nous sommes montés dans la montagne, passant au pied du Fort Gary, et redescendu par la rivière la Digue. J’étais avec un étranger qui, pensant à la fatigue de ce tour mais à la beauté du paysage, a dit : « Haïti est un pays qui se mérite ». |
Abner |
Quand on pense à Haïti, on pense à la Citadelle ; après la Citadelle, c’est Vallue. |
Bernard |
La prochaine grande manifestation ? |
Abner |
L’été de la montagne, en juillet. Je dois signaler que nous avons trouvé d’importantes installations caféières coloniales. |
Bernard |
Il faut savoir ce qu’est Petit Goâve. Ce fut la 2ème ville de la colonie, et à un certain moment on a pensé transférer le siège du gouverneur du Cap vers Petit Goâve. On avait même commencé des constructions pour la protection de la ville ; mais finalement on a opté pour Port-au-Prince et les ruines de Fort Royal sont tout ce qui reste des fortifications entamées. Petit Goâve a donc un grand potentiel touristique pour ceux qui aiment les vieilles pierres. |
Abner |
Après l’été de la montagne, nous aurons la 2ème édition du congrès de la montagne en septembre. Nous pensons à l’élaboration d’un code de la montagne. Un plan de réflexion sera préparé dans le courant du mois de mai. Le 3ème grand évènement sera la 4ème édition de la foire de la montagne du 6 au 9 décembre |
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jeudi 12 juillet 2007- Details
- Category: Institutions (40)
Débat |
Développement Durable |
Domaine |
Environnement |
Mise en œuvre |
Mélodie and Company |
Emission du |
31/05/07 |
Invité |
Tanguy Armand |
Thème |
La Fondation Haïtienne de l’Environnement |
Transcription
Bernard |
Cet après-midi, nous avons de la chance, ce n’est pas comme la semaine dernière où j’avais du assurer l’émission tout seul, aujourd’hui nous avons avec nous M. Tanguy Armand qui est président du conseil d’administration de la Fondation Haïtienne de l’Environnement (FHE). Il vient de me dire qu’il ne connaît rien à l’environnement, c’est un bel aveu, mais il est possible que quelqu’un qui ne connaît rien à l’environnement, mais qui est un bon administrateur, soit très utile à la fondation.Bonsoir Tanguy |
Tanguy |
Bonsoir Bernard, bonsoir aux auditeurs de Mélodie, je te remercie de l’invitation. Effectivement je ne suis pas un environnementaliste, je ne suis pas agronome … |
Bernard |
… je ne suis pas agronome non plus. |
Tanguy |
Je sais. |
Bernard |
Nous avons invité cet après-midi parce que la FHE a entrepris récemment une série d’activités :
C’est impressionnant, mais Tanguy sa k’ pase ? |
Tanguy |
La FHE existe depuis à peu près 6 ans, et c’est pour moi un privilège de pouvoir maintenant l’orienter, de rencontrer des hommes et des femmes qui se gaspillent dans ce pays, mais ce n’est pas moi qui l’ai montée. Il y a eu des visionnaires, comme Jean André Victor, Hans Tippenhauer, Dominique Lacombe, qui sont toujours là ; il y avait 42 membres qui sont encore là ; il y avait des partenaires étrangers, comme la USAID, qui nous ont aidé, il faut le reconnaître à la structurer pour que nous soyons en mesure de faire ce que nous faisons maintenant. Nous achevons actuellement notre 5ème audit financier, ce n’est pas mal.Comme toute institution qui démarre, nous avons eu des problèmes ; le pays lui-même avait des problèmes … |
Bernard |
… 6 ans, cela nous met en 2001, c’était une mauvaise période ; fallait y croire. |
Tanguy |
Exactement, mais jusqu’à présent nous avons pu tenir. |
Bernard |
OK, maintenant, je vais te poser une question facile et une question compliquée. La question facile : la FHE c’est quoi ? Quel est son objectif ? |
Tanguy |
L’objectif premier c’est de créer un fonds environnemental ; en quelques mots : c’est chercher de l’argent pour financer des projets dans l’environnement. Pour simplifier, ce serait le FAES de l’environnement.Mais maintenant nous allons plus loin, car nous ne pouvons pas nous contenter de financer des projets. Nous avons aussi un rôle de catalyseur de projet, un rôle de vision à vendre au grand public. Nous devons jouer un rôle de leadership dans l’environnement pour pouvoir dire voilà notre .façon de faire les choses, et ceux qui adhèrent à cette vision-là nous donnent leur support. C’est cela le leadership. C’est pour cela que nous réorientons le FHE. Au E de FHE nous avons ajouté un petit 4. |
Bernard |
J’avais remarqué ; c’est pour Eau, Energie … |
Tanguy |
… Eau Energie, Education, Economie, car il faut parler de l’économie de l’environnement. |
Bernard |
Attends une minute. Un fonds, avez-vous l’intention d’établir des relations avec de Fonds Mondial de l’Environnement qui est justement censé financer des projets ? |
Tanguy |
On va y arriver. Mais dire qu’on veut financer des projets, c’est une chose, être en mesure de le faire, c’est une autre chose. Actuellement nous commençons à être capables de le faire, nous commençons à être crédibles. Notre action vise aussi les bailleurs de fonds comme l’Union Européenne, qui a financé cette Initiative Dialogue Politique et Environnement (IDPE), comme l’AID ; avec qui nous faisons des projets à Cité Soleil, à Pétionville. Je dois te dire que l’année dernière nous avons ramassé 104 tonnes de plastic dans Pétionville. |
Bernard |
Nous, qui est ce nous ? |
Tanguy |
Avec l’AID, nous avons financé de petits projets de collecte de bouteilles en plastic que nous avons exportées aux USA ; 104 t de petites bouteilles en plastic en 16 mois. |
Bernard |
Je me souviens qu’un jour, au Palais National, René Préval nous a montré un objet, qui avait la forme d’une brique, et qui était fait de résidus de plastic fondus, et qui pouvait servir à plusieurs usages. Est-ce qu’il y a une chance que l’on puisse monter en Haïti une usine qui permette de faire ce recyclage nous-mêmes ? |
Tanguy |
La première étape, c’est la collecte des déchets. Maintenant les déchets commencent à être valorisés. On ramasse du plastic, on ramasse de la ferraille, même des bouts de fils. |
Bernard |
Il y a un individu qui a installé une balance au coin de Delmas 99. Pour moi, la balance c’est le symbole du pouvoir, en milieu rural, car la balance, c’est le spéculateur qui achète le café. Eh bien maintenant il y a une balance au coin de Delmas 99, le type achète des clous, des boulons, … |
Tanguy |
L’important c’est qu’on puisse valoriser le déchet. Cela commence, avec l’augmentation du prix du pétrole … c’est un marché mondial actuellement. C’est pour cela que je voulais revenir à l’économie … |
Bernard |
Attends, attends, je veux poser ma question embêtante. Il y a quelque chose qui s’appelle la FAN, et tu as cité jean André Victor, mais il était à la FAN … |
Tanguy |
… il est toujours à la FAN. |
Bernard |
Quelle différence entre FAN et FHE ? |
Tanguy |
La FAN est la Fédération des Amis de la Nature. C’est plus un porte-voix, c’est une grosse caisse de résonance, pour informer, éduquer, dénoncer, sensibiliser. Mais il ne suffit pas de parler, on a aussi besoin d’action. Ici nous parlons beaucoup, mais si tu as remarqué, la FHE n’a pas parlé souvent, parce que nous pensions que nous n’en avons pas encore fait assez. Je vais te dire, je ne vais pas fêter le 5 juin, le jour de l’environnement. Qu’est-ce qu’on va y faire ? encore parler. Si on ne peut pas venir avec des actions concrètes, positives, dynamiques, avec une rentabilité quelconque, économique, financière, sociale, je ne parlerai pas. |
Bernard |
D’accord. Tu voulais parler de ton aspect économique, on va y arriver, mais je reviens à ma prise de connaissance de la FHE, c’était à l’occasion de Initiative Dialogue Politique et Environnement (IDPE). vous aviez choisi deux thèmes : l’eau et l’énergie. Mais ce qui est intéressant, c’est d’avoir pris des résolutions, tout le monde prend des résolutions, mais surtout d’avoir appelé des personnalités responsables et de leur avoir dit : voilà ce que nous attendons de vous.J’ai reclassé les résolutions dans mon cadre de référence : Parlant de la gestion de la ressource, vous dites : Plaidons en faveur de l’élaboration d’une politique nationale pour le Secteur Eau qui tient compte du caractère unitaire de la ressource et la séparation des fonctions de gestion et d’exploitation et qui considère à la fois son utilisation, sa mise en valeur et sa conservation.Recommandons une meilleure coordination inter et intra-institutionnelle dans la gouvernance de l’eau, la déconcentration de son administration et un partage pleinement équilibré des compétences entre l’Etat Central et les Collectivités Territoriales dans la perspective de promotion du développement local.Nous sommes dans la gouvernance de l’eau et c’est un thème central. Il y a actuellement une proposition de législation qui doit aller devant le Parlement. C’est une vieille affaire. Il y a quelques années la BID a voulu proposer le modèle dominicain. Ils ont une agence de gestion de l’eau qui ne dépend d’aucun ministère. Car il y a plusieurs secteurs qui utilisent l’eau :
Et le principe est que l’utilisateur ne doit pas être aussi le gestionnaire. Votre résolution va dans ce sens. En ce qui concerne l’énergie vous dites : Supportons et demandons au peuple haïtien de supporter l’élaboration du Plan National de Développement du Secteur de l’Énergie (PNDSE) qui est mis en chantier par le Gouvernement haïtien et qui sera finalisé et validé à la suite d’une démarche participative. Le « Plan National de Développement du Secteur de l’Énergie », je ne sais pas ce que c’est. |
Tanguy |
Ils sont venus le présenter à notre atelier, et c’est une grande première. Il y a eu un vrai débat, une vraie participation, une vraie ouverture. Les informations ont été accessibles et mises en débat, chose rare. Cette relation avec les TPTC et le MdE continue et s’est même renforcée, et nous sommes un peu les intermédiaires entre le gouvernement et la société civile. Notre mandat est de continuer et nous continuons ; on verra comment.C’était une grande première. Quand René Jean-Jumeau, qui est conseiller sur l’énergie … |
Bernard |
… qui était là lors de la première activité au Montana ? |
Tanguy |
Exactement. Je cite des noms volontairement, car il y a des hommes de l’ombre, qui travaillent, qui sont archi-compétents et qui veulent que les choses fonctionnent. Michael de Landsheer est venu parler du Programme National de Réhabilitation de l’Environnement … |
Bernard |
Je ne connais pas |
Tanguy |
Il a été présenté et il est accessible sur le site du BME. Tout est là. |
Bernard |
Je dois dire que je ne l’ai pas consulté, bien qu’on en ait parlé lors du déjeuner-débat de la FHE au Montana. Mea culpa. Mais la fondation devrait publier tout cela. |
Tanguy |
La fondation le met sur son site, mais toutes les informations sont publiques. |
Bernard |
Là où je voulais te taquiner, c’est que, dans mon cadre de référence, ce qui vient en premier c’est l’éducation, et dans vos résolutions il n’y a rien. |
Tanguy |
On est d’accord. Tout ne peut pas être parfait, et l’éducation est prioritaire. Mais il faut que ces résolutions soient mises en application, car on a beau éduquer tant qu’on veut, s’il n’y a pas un cadre … |
Bernard |
Evidemment. |
Tanguy |
Et c’était ça le but aussi. Quand nous avons parlé de IDPE, c’était le dialogue national et nous avons invité des membres représentatifs de la société civile à travers des 10 départements. Sans compter sur une grosse présence de la presse qui était invitée pas seulement comme relais, mais aussi comme acteurs. Les cadres des différents ministères étaient là pour présenter, discuter et faire valider, ou pas. La partie innovante, en plus, est que nous avons eu la présence de députés et de sénateurs. |
Bernard |
Pour l’eau il y a eu un absent, le MARNDR. Le représentant a envoyé un papier qui a par la suite été diffusé sur le net. Je l’ai trouvé intéressant et je l’ai invité à venir à l’émission. Il a accepté, puis il y a eu un malentendu ; c’est pour cela que la semaine dernière je n’avais pas d’invité. |
Tanguy |
Je voulais t’encourager à inviter des techniciens des différents ministères à venir parler des problèmes. Je dis qu’il y a des projets, des plans, des stratégies, qui commencent à pouvoir être mis en place. |
Bernard |
Mais il faut en même temps que le public soit informé ; tu tournes à vide si tu n’as pas transmis l’information de manière à ce qu’on te suive.Si je reprends vos résolutions : Confions, en dernier lieu à la Fondation Haïtienne de l’Environnement (FHE), la mission d’assurer le suivi de la démarche entreprise en organisant des plaidoyers appropriés et des activités subséquentes de mobilisation de fonds en vue d’en faire rapport régulièrement aux participants et aux institutions concernées pour les suites de droit et de fait. Demandons à la Fondation Haïtienne de l’Environnement (FHE) de poursuivre l’Initiative du Dialogue Politique et Environnement (IDPE) et d’assurer subséquemment le suivi de toutes les résolutions adoptées avec obligation de rendre compte en temps et lieu.Alors tu fais le suivi et chaque fois que tu as quelque chose à dire, ce micro t’attend. |
Tanguy |
Cela ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd. |
Bernard |
Maintenant, ce qui m’avait vraiment intéressé, car je crois que c’est nouveau, c’est une fondation qui se réunit et qui appelle trois parlementaires pour leur dire : messieurs, voilà ce que nous avons décidé. Comment êtes-vous arrivés à cette idée ? |
Tanguy |
Présenté comme cela… ! Ce n’est pas exact. Nous avons présenté notre projet aux parlementaires, la qualité du public invité et ce que nous souhaitions obtenir comme extrant. A partir de là ils ont adhéré à ce mouvement, à ce dialogue, et ils se sont mobilisés au niveau de la commission environnement. On a eu une grande présence de madame Beauzile. Le président du Sénat a manifesté son très fort intérêt à appuyer cette démarche ; il était intéressé à la mise en place des mécanismes de développement propre, ce qu’on appelle les AMD, prévus dans le protocole de Kyoto, notamment le crédit carbonne. |
Bernard |
Tu sais ce que c’est ? |
Tanguy |
Je comprends le concept, mais je ne suis pas expert. Disons qu’il y a les gaz à effet de serre et qu’il faut réduire les émissions de ces gaz ; pour cela il faut produire du CO2 ?... |
Bernard |
Non, le CO2 est un gaz à effet de serre. D’après ce que j’ai compris, par le mécanisme de la photosynthèse, les végétaux absorbent le CO2 et rejettent, de l’oxygène. Jusque là ça va.J’ai rencontré une jeune femme qui m’a parlé de plantation de forêt ; il lui fallait 2.000 ha, et c’est la ville de Paris qui est intéressée à financer cela, et là-dessus, elle me balance les crédits carbonne. |
Tanguy |
Cela se fait au niveau mondial. Finalement, c’est un droit de polluer que l’on achète. |
Bernard |
Jusqu’ici, ça va. La question : d’où vient l’argent ? |
Tanguy |
Bonne question. Prenons l’exemple d’une usine de plastic, en Europe, qui est pénalisée parce qu’elle pollue. On peut lui faire un crédit d’impôt, si elle investit dans des formes d’économie des CO2. Donc tu vends, toi Haïti, le gaz carbonique que tu as absorbé. Avec ces mécanismes, on peut avoir des fonds pour investir. |
Bernard |
Et on arrive à ton affaire: l’économie.Je rêve toujours de couvrir la Chaîne des Matheux de benzolive ; si tu me demandes : pourquoi du benzolive ? j’aurai la réponse ; mais maintenant je peux être payé pour couvrir les Matheux de benzolive ... |
Tanguy |
… si tu arrives à mettre en place des mécanismes de contrôle pour savoir combien … |
Bernard |
… de gaz carbonique est absorbé … |
Tanguy |
… tu en connais la valeur monétaire. C’est pareil pour un barrage hydro-électrique … |
Bernard |
… parce que je ne produis pas de CO2 en produisant mon énergie. Je commence à y voir un peu plus clair.Alors ton 4ème E : l’économie ? |
Tanguy |
D’abord, c’est un truc très personnel. On parle de couper des arbres, de ne pas couper des arbres, de replanter … mais je suis un industriel ... |
Bernard |
… tu fais partie de la catégorie des gens dont nous avons peur, parce que tu fais du béton … |
Tanguy |
… oui je suis dans le béton … |
Bernard |
… et nous avons peur que tu viennes planter du béton dans la plaine du Cul-de-Sac. |
Tanguy |
Au contraire, je trouve que c’est dramatique ; c’est le fait de cette autorité de l’Etat qui a été inexistante pendant un long moment. Maintenant on veut construire l’économie, cela va être très simple. On part du principe production-protection, montagne-mer. Pour pouvoir maintenir un minimum de couverture végétale sur un bassin versant, ce qu’on appelle un château d’eau, pour pouvoir réduire le ruissellement, il faut pouvoir retenir cette eau, il faut avoir une couverture végétale. Si les arbres sont coupés, c’est pour des raisons économiques. La question est donc : qu’est-ce qui peut apporter une activité pérenne, qui reste sur le bassin versant. Le mais, le petit mil ne donnent plus, parce que la terre est partie ... |
Bernard |
… culture sarclée en montagne !!! |
Tanguy |
Il faut trouver des alternatives. Ce que nous essayons de faire, c’est de structurer une activité agricole dans le petit bassin versant de Montrouis et d’en faire un modèle qui soit réplicable. Le projet a un très beau nom, grâce à mon père, « Montrouis, le retour de la rosée ». Cela traite de l’eau, de la vie. Donc on voit cette superbe rivière de Montrouis, qui a des crues sauvages, parce qu’il n’y a plus rien sur le bassin versant, et il faut sauver cette rivière, car beaucoup de nos rivières disparaissent. |
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Nous avons décidé de nous concentrer sur Montrouis pour plusieurs raisons. D’abord, Montrouis réunit tous les ingrédients du succès. Il a les hôtels sur la Côte des Arcadins et il y a la montagne qui surplombe la mer. Deux activités : secteur agricole, secteur touristique. Il faut que le tourisme absorbe ce que le monde agricole produit. Pour que le monde agricole produise, il faut que l’on investisse dans les infrastructures et que l’on fasse confiance au capital humain, pour reprendre tes six axes, ce capital humain qui peut encore travailler dans la zone, qui sait travailler et qui a ce potentiel en jachère. Donc investir dans un barrage hydro-agricole. Il y a un financement, à travers le MARNDR, pour reconstruire un barrage qui va irriguer 340 ha de terre qui appartiennent à des membres de la communauté de Montrouis.. |
Bernard |
Reconstruire ? il y avait déjà un barrage ? |
Tanguy |
Il y avait une petite déviation qui est tombée depuis trois ans et il faut voir ce que les agriculteurs ont fait avec notre support ; ils ont canalisé l’eau avec des drums qu’ils ont soudés pour faire un pipeline. Ils ont sauvé la récolte parce qu’on commençait à couper les arbres, tant la sécheresse sévissait. Depuis quatre ans on attendait cela. Mais il y a une grande collaboration du MARNDR. La deuxième chose, au niveau de la FHE, nous montons plus haut, dans un petit village adorable qui s’appelle Freta. FOKAL y a déjà mis une très belle école et nous aimerions que la FHE aide l’association de Freta à mettre en place une unité de transformation de produits agricoles. Ce sont eux qui deviendront les propriétaires de l’équipement pour la transformation, pas un industriel, mais la coopérative, et la FHE va donner tout son appui pour qu’elle trouve des fonds pour le faire. C’est pour cela que nous attendons les résultats de l’étude, tout le monde parle de jatropha, de bio-diesel, nous, nous allons nous concentrer sur la rentabilité du bassin versant à travers les huiles énergétiques pures, pas le bio-diesel, mais les huiles énergétiques pures, qui peuvent être utilisées dans des moteurs pour faire marcher des moulins à mais … cela se fait dans d’autres pays. |
Bernard |
C’est quoi cette huile ? |
Tanguy |
C’est ce qu’on appelle le « gro medsiyen », et c’est sur cela que nous allons nous concentrer. |
Bernard |
L’autre jour, VETERIMED a organisé une foire au Caribe Convention Center et il y avait un stand de gens qui fabriquent du bio-diesel. La dame à qui j’ai parlé m’a dit : nous en produisons, ma voiture roule avec cela. |
Tanguy |
C’est très vrai … |
Bernard |
… ce n’est pas une blague ? |
Tanguy |
Ce n’est pas une blague du tout ; ils sont très sérieux, très dynamiques, mais nous, nous allons rester dans le cadre de la FHE. Il faut que l’analyse économique soit faite ; d’ici un ou deux mois on l’aura, et il faut connaître le rendement du medsiyen en Haïti. Avant de lancer cela au niveau national, il faut les données scientifiques. Dans d’autres pays, cela marche ; l’Inde plante des milliers d’hectare en jatropha, la Chine, le Mali, etc, il n’y a pas de raison que cela ne marche pas ici.. Il y a le medsiyen, mais il y a aussi ce qu’on appelle le « maskriti » ; cela ne sert pas seulement pour le traitement des cheveux, il y a beaucoup d’argent à faire avec lui sur le marché international. Mais ce que nous voulons, c’est que pour une fois les bailleurs de fonds investissent jusqu’au bout de l’opération : les moyens de production, la transformation, la production d’énergie, pour que le paysan devienne un agro-entrepreneur. Il faut que nous lui fassions confiance. Nous les mettons dans un avion pour aller à St Domingue, au Brésil, pour qu’ils voient ce que d’autres pays font. |
Bernard |
Quand tu as parlé d’agro-entrepreneur, j’ai pensé à un ami, et puis j’ai réalise que tu le connais très bien, c’est Camille Bissereth. |
Tanguy |
Nous sommes bien avancés ; ce n’est pas du blabla, il y a un plan. Nous avons une réunion demain à la BID et, comme je te dis, j’attends les résultats de cette étude pour attaquer en force. Hier nous étions à Freta avec des gens de l’EdH. Je le dis parce que c’est cela le partenariat institutionnel. Nous ne pouvons pas agir seuls, d’autres institutions doivent nous accompagner. Ils viennent voir, pour comprendre, et si le projet dans son intégralité semble bon, ils peuvent l’appuyer. |
Bernard |
Si tu fais un barrage, tu peux mettre une turbine. |
Tanguy |
Il y a un coût là-dedans. La visite d’hier c’était aussi pour cela. Nous pensions à une petite turbine, puis nous avons envisagé une plus grosse, mais nous ne devons pas trop rêver. Certes il y a les hôtels ; hier les gens de Indigo étaient avec nous ; ils consomment 400 gallons de diesel chaque jour. |
Tanguy |
En général l’agriculture peut produire, mais elle ne peut pas vendre ; pas de route, pas d’emballage, pas de marché ; donc ils perdent de l’argent car ils n’arrivent pas à écouler toute leur production, ils sont découragés. L’important c’est la filière commerciale ; il faut un marché. Montrouis présente beaucoup de paramètres positifs : il y a une route, il y a un marché, les clients sont proches, Indigo, Moulin sur mer, Xaragua peuvent absorber la production. Il faudra améliorer la qualité de la production, avec des prix normaux, avec des mesures de quantité logiques. Si la production répond à des normes de qualité et de prix, Indigo la prendra. C’est sur cela que la fondation veut se concentrer aujourd’hui. Nous voulons mettre toutes les ressources pour que ce modèle marche. |
Bernard |
Donc c’est une intervention, mais avec la volonté d’aller jusqu’au bout, quitte à ce qu’un autre aille la reproduire ailleurs ... |
Tanguy |
… et de se donner les moyens. Si cela marche, ce sera une traînée de poudre. |
Bernard |
Donc, au lieu de couvrir ma montagne de benzolive, vous allez y mettre du jatropha. |
Tanguy |
Non, on peut aussi mettre du citron ; il y a de l’argent à faire dans le citron, dans la cerise. |
Bernard |
Quand tu vas là-haut, tu y vas à pied ? |
Tanguy |
Non, du village de Montrouis à Freta il y a 12 km, le long de la rivière. Arrivé à Freta tu as vois cette rivière qui est belle, tu vois du cresson tu jouis de cette nature … j’arrête. |
Bernard |
Il devient poétique. |
Tanguy |
Tu dois y aller ; c’est de l’écotourisme, il y a des sites coloniaux, et c’est l’agriculteur qui va les protéger. |
Bernard |
Vous remontez jusque sur le plateau là où il y a les ruines de caféteraies coloniales ? |
Tanguy |
Bon, je ne connais pas la zone parfaitement, mais il y a des tas de choses. |
Bernard |
Tu as appris à l’école que le café d’Haïti s’exportait sous le nom de café de St Marc. Si tu montes à Goyavier, à partir de St Marc, tu arrives sur le plateau qui est une zone caféière et tu trouves des ruines de caféteraies coloniales … |
Tanguy |
On peut faire une association avec les propriétaires de manguiers autour du miel, car il y a aussi de l’argent dans le miel. On pense toujours à l’exportation, mais il y a un marché local ; tu as beaucoup de consommateurs qui peuvent acheter de petites quantités chaque jour. Est-ce que tu te souviens d’un shampoo qu’on appelait « shampoo rico » ? Nous voulons utiliser Freta comme un modèle. Nous pensons que, puisqu’il y a beaucoup de manguiers, on peut mettre des ruches ; pour deux raisons : les abeilles pollinisent les fleurs de manguiers, ce qui augmente le rendement et on peut redévelopper la production de miel. Le secret est dans l’emballage ; nous sommes dans une micro-économie avec beaucoup de monde avec un faible pouvoir d’achat ; nous voudrions que ce miel soit emballé comme ces « shampoo rico » ; avec le petit format, tu peux augmenter ta vente. Si tu mets le miel dans de gros bocaux en verre ou en plastic, tu es en-dehors du marché. Ça, c’est une approche que nous prônons. De même pour les jus que nous aimerions pasteuriser là-haut. Nous allons nous concerter avec nos partenaires pour trouver l’argent. |
Bernard |
J’ai besoin d’une invitation car je ne connais pas la route. |
Tanguy |
C’est facile ; avant de prendre le pont de Montrouis, tu tournes à droite et tu longes la rivière. Arrivé à Freta, tu peux laisser ta voiture et marcher un ; après 4 km de marche tu arrives à un endroit appelé Mònn Fann, c’est féerique. Je vous encourage à y aller. |
Bernard |
On ira. |
Tanguy |
La FHE est gérée par des haïtiens, pour des haïtiens. Très souvent nous trouvons des bailleurs, mais nous n’apportons pas notre fonds de contrepartie. La FHE a un fonds depuis 6 ans, mais il faut que nous trouvions des appuis : argent, compétence, matière grise. On a besoin d’utiliser ton micro pour le véhiculer. |
Bernard |
Le micro est là pour cela. Nous sentons à Mélodie le devoir de faire connaître ce que la FHE a initié. |
Tanguy |
Il y a des tas de gens de qualité dans ce pays ; ils sont discrets, ils sont modestes ; va les chercher, invite les ; ils sont compétents et ils sont honnêtes. Il faut faire émerger les nouveaux héros, les faire parler ; nous avons besoin d’autres modèles. |
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FHE – lundi 29 octobre 2007
- Details
- Category: Institutions (40)
Emission du |
27/05/08 |
Thème |
FAG |
Invités |
Emmanuel Louiceus Louis Chadik |
Transcription
Bernard |
Cet après-midi, nous avons deux invités: Emmanuel Louiceus et Louis Chadik, qui nous viennent de Petit Goâve et vont nous parler du Forum Agricole Goâvien. C’est Camille Bissereth, lui aussi de Petit Goâve, qui a popularisé le terme «goâvien» pour désigner la zone de Grand Goâve et Petit Goâve. Mais le Forum Agricole Goâvien, c’est quoi?
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Mano |
Je saisis l’occasion pour saluer tous ceux qui sont sur les périmètres irrigués de Grand Goâve et de Petit Goâve, de l’Arcahaie et partout où il y a des personnes qui utilisent l’eau d’irrigation. Nous sommes heureux de profiter du micro pour parler de cette initiative qu’est le Forum Agricole Goâvien. Comme tu l’as dit, c’est l’agronome Bissereth qui a vulgarisé le terme «goâvien» pour parler de l’espace Grand Goâve - Petit Goâve. Cette région a une série d’éléments en commun, en particulier en ce qui concerne l’irrigation. Il y a quelque temps, l’Etat a engagé une nouvelle politique d’irrigation. Entre 1990 et 2000, on a réhabilité une trentaine de périmètres, et, l’Etat étant mauvais gestionnaire, on a transféré la gestion de ces systèmes à ceux qui utilisent l’eau d’irrigation. On parle de transfert de gestion des systèmes irrigués.
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Bernard |
Je vais compléter pour les auditeurs, car nous avons déjà parlé d’irrigation. Quand tu mentionnes une trentaine de systèmes, c’est le travail d’un projet, qui s’appelait le PPI, qui était financé par le Fonds International pour le Développement de l’Agriculture (FIDA), et dirigé à l’époque par Jean-Robert Jean-Noël, que nous avons eu à ce micro. Pour les auditeurs qui nous suivent régulièrement, nous avons eu une émission, je ne me souviens plus à quelle date, avec l’ingénieur Xavier Isaac qui a assuré l’intérim entre PPI 1 et PPI 2. Il y a donc un projet PPI 2, avec un nouveau responsable, qui est l’agronome Anthony Dessources, que tout le monde connaît, il a été Ministre du Plan. Mais le problème est que l’accord de prêt qui doit permettre le démarrage du PPI 2 n’a pas encore été ratifié par le Parlement.
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Mano |
Quand les systèmes ont été réhabilités, il y a donc eu un transfert de gestion. Je dois dire que cette politique ne se pratique pas seulement en Haïti; nous avons visité la République Dominicaine et nous avons trouvé aussi des transferts de gestion, mais nous avons du nous demander si le transfert dont on parle ici est le même que celui de la République Dominicaine. Nous avions participé à un colloque sur le transfert de gestion organisé par le Groupe de Recherche en Irrigation (GRI) et nous nous sommes dit que, si nous restions les bras croisés, nous serions fautifs. C’est à partir de là que nous avons pensé au Forum, mais il faut dire que le Centre Haïtien pour la Promotion de l’Agriculture et la Protection de l’Environnement (CEHPAPE) avait fait de la formation pour nous dans le cadre du PPI et chaque trois mois nous avions une réunion inter-régionale.
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Bernard |
Je t’arrête tout de suite, car tout le monde ne sait pas ce qu’est le CEHPAPE.
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Mano |
C’est un opérateur qui avait été recruté par le PPI pour faire un travail d’animation.
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Bernard |
Pour les auditeurs, le coordonnateur du CEHPAPE est Camille Bissereth qui est déjà venu plusieurs fois à ce micro. Quand on dit qu’on va faire un transfert de gestion, cela veut dire que la gestion du système va être confiée à quelqu’un d’autre, en l’occurrence les associations d’irrigants. Mais il faut bien que ces associations sachent ce qu’est la gestion du système; il y a donc tout un travail de formation à faire pour que l’association soit effectivement en mesure d’assurer cette gestion. C’est ce que le CEHPAPE avait à faire dans la zone goâvienne.
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Mano |
Constatant qu’il y a des choses qui devront se faire, nous avons décidé de nous réunir et de réfléchir à ce que l’Etat aurait à faire et qu’il ne fait pas. C’est ainsi qu’est né le FAG. Pour que le transfert soit réel, il faudrait résoudre le problème du cadre légal du transfert. Il n’y a pas un document qui définisse le statut légal des associations.
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Bernard |
Tu vas un peu vite. La première chose qu’il faut savoir, c’est que l’eau, en tant que ressource naturelle, est propriété de l’Etat, qui représente la population. Autrement dit, on n’a pas le droit d’aller prendre de l’eau si l’Etat ne l’a pas autorisé. Le deuxième élément est que, un système d’irrigation, quelque soit celui qui en avait financé la construction, reste sous le contrôle de l’Etat. Traditionnellement, et c’était fixé dans le Code Rural, ce contrôle était exercé par un syndic nommé par le Ministère de l’Agriculture. Maintenant le ministère a adopté une politique de transfert de la gestion des systèmes aux usagers du système, les associations d’irrigants. La première association à avoir reçu l’autorisation de gérer son système, à ma connaissance, était celle du canal d’Avezac, dans la plaine des Cayes. Cela remonte au gouvernement de Paul Magloire. Et ce fut renouvelé par le Ministre Flambert sous le gou-vernement de Jean-Claude Duvalier. Puis il y a eu l’Association des Usagers de la Plaine de l’Arcahaie (AIPA). Entre temps, il y avait eu la construction du canal de Croix Fer, mais le ministère l’a tout simplement ignoré. Mais il y a un problème; il faut une loi qui dise voilà comment les systèmes doivent être gérés. Il faut aussi une loi régissant les associations en général et les associations d’irrigants en particulier, de manière à ce qu’elles aient la personnalité civile les habilitant à signer un contrat avec l’Etat. Nous en avons parlé déjà, de même que nous avons parlé des systèmes d’adduction et de distribution d’eau potable, qui sont eux-aussi gérés par des associations. Ce sont des lacunes de la législation haïtienne, que tout le monde connaît, mais qu’aucun gouvernement ne semble vouloir combler, même quand des propositions de loi existent, et il faudra peut-être aborder ce problème dans une émission spéciale.
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Mano |
Maintenant il faut considérer aussi le problème de la décentralisation, il faut assurer la situation foncière et financière des systèmes. Il faut tenir compte de la problématique de l’insécurité foncière qui se retrouve dans tout le pays. Il faut assurer l’accompagnement des associations. Il faut penser à garantir l’autonomie des associations. C’est là un ensemble de points dont on n’a pas tenu compte, ce qui donne l’impression que le transfert n’a pas été bien étudié. C’est à partir de là que nous nous sommes dit qu’il fallait faire une sensibilisation, une responsabilisation des agriculteurs pour qu’ils comprennent ce qu’est le transfert de gestion.
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Appel |
Juste pour apporter une précision. Des consultants venus de France avaient constaté qu’il est incorrect de parler de transfert de gestion, car les irrigants gèrent déjà les systèmes, qu’il valait donc mieux parler de prise en charge de la gestion des périmètres. L’Etat ne transfert pas, il accepte que les irrigants prennent la gestion en charge.
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Bernard |
Tu veux dire: prise en charge formelle, car même quand les usagers assuraient la gestion, formellement il y avait les syndics.
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Mano |
Je crois qu’il faut rester au concept de transfert de gestion. Nous avons recensé 9 systèmes dans la zone; le PPI en a réhabilité 5; il reste encore Diny, Bechab, Arnous et la 2ème Plaine où le PPI n’a pas travaillé. Si on prend Diny, Bechab, Arnous, les paysans assurent la gestion, bien qu’il n’y ait pas eu de contrat. Les paysans ont toujours assumé leurs responsabilités; bien sur, il y avait des faiblesses, et c’est la que le PPI a joué son rôle. On peut parler de responsabilisation.
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Chadik |
En 2007, quand les alluvions ont envahi le système, l’Etat n’a pas honoré son contrat.
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Mano |
On a dit que l’Etat était mauvais gestionnaire, et c’est pour cela que l’on confie la gestion aux associations, il ne faut pas maintenant qu’il soit un mauvais accompagnateur.
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Chadik |
Il y a là un problème avec l’Etat qui ne fait jamais le suivi de ce qu’il a entrepris.
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Mano |
Prenons le cas de Barette. Lors de la tempête de Noël, le système a été bloqué, parce que le tuyau qui amène l’eau et qui passe sous la rivière était obstrué. Ce sont les paysans qui essaient de trouver une solution, et ce depuis décembre, cela fait six mois, alors que selon le contrat, l’Etat est censé appuyer les paysans quand ils font face à un problème qu’ils ne peuvent résoudre. L’Etat est-il en exil? En République Dominicaine, ce n’est pas la même chose. Le Forum est un espace pour débattre de tous ces sujets; cela fait 3 ans qu’il existe, mais ces messieurs du MARNDR n’y participent pas.
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Bernard |
Il y a un élément important que vous n’avez pas mentionné. Quand on parle de gestion, il y a un coût. Pour moi, une des choses clés, c’est la redevance, qui doit assurer qu’on a les moyens d’assurer la gestion et de procéder aux réparations quand c’est nécessaire. Autrefois, l’irrigant payait aux Contributions, qui envoyaient l’argent à Port-au-Prince, et quand on avait besoin d’argent pour des réparations, il n’y en avait pas. Donc pour moi, un des aspects clés de la prise en charge, c’est que l’association perçoive le redevance, la garde, et l’utilise soit pour la gestion quotidienne, soit pour les travaux de curage, de réparation etc. et je crois que, dans les diagnostics des 70 périmètres réalisés dans le cadre du PATRAI dont Alain était venu parler ici, une des questions clés était la perception et l’utilisation de la redevance. Mais pour revenir au Forum, si j’ai bien compris, c’est un moyen de vous réunir pour faire pression sur l’Etat afin qu’il prenne ses responsabilités.
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Mano |
Le mot responsabilité est le mot-clé. Si le paysan prend ses responsabilités et que l’Etat ne le fait pas, cela ne marchera pas. Ce que nous faisons actuellement au niveau du Forum, le PPI payait pour cela autrefois; c’est ce que faisaient le CEHPAPE et les autres OPS. Nous avons donc pris nos responsabilités, à l’Etat d’en faire autant. Le 20 janvier 2003, les contrats de prise en charge ont été signés avec 5 associations. Depuis lors, il n’y a jamais eu une rencontre pour faire une évaluation. Il y a un manque de volonté, une irresponsabilité, de la part du Ministère, et c’est le rôle du Forum de soulever cette question. Nous n’avons pas de solution, mis on nous a appris que, quand un problème est bien posé, il est à moitié résolu.
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Bernard |
Tu as mentionné la SOPEA, qu’est-ce que c’est?
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Mano |
C’est la Société des Petits Entrepreneurs Agricoles. Elle a pris naissance alors que le PPI parlait de prise en charge, de responsabilisation, et le PPI nous a aidé à la monter. L’expérience nous a montré que le choix d’appuyer la SOPEA était une semence pour que le travail de formation des associations n’ait pas été vain. Au départ, l’objectif de la SOPEA était d’aider les associations d’irrigants à trouver des intrants. Mais nous avons posé toute une série de problèmes, par exemple les relations entre les associations du haut et du bas bassin versant. Du temps du PPI, on avait organisé une série de forums partiels, avec FAG, nous voulons réunir tout le monde pour voir quel partenariat peut se dégager.
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Bernard |
Juste pour compléter ce que tu as dit. Le système d’irrigation est dans la plaine, il utilise une eau qui vient des mornes; si celui qui vit dans les mornes ne fait rien en terme de conservation du sol, d’aménagement du bassin versant, etc, il n’y aura plus d’eau. Il y a donc un lien entre les deux populations de la plaine et des mornes; il y a donc nécessité de dialogue entre les deux.
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Chadik |
C’est un problème surtout au niveau de Dlo Pity et de Barette. Mais c’est l’Etat qui a la solution.
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Mano |
Une solution que nous avions proposée, c’est que dans les projets à venir, il y ait un volet pour les bassins versants.
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Bernard |
Je dois te dire que, là où le PPI 2 va intervenir, le bassin versant est très éloigné et très vaste. Je n’ai pas encore lu le document de projet et je ne peux pas te dire s’ils ont tenu compte de votre proposition.
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Mano |
L’objectif général du FAG est le renforcement des associations d’irrigants; dans les objectifs spécifiques, on parle de statut légal des associations, du cadre légal du transfert, des relations entre haut et bas bassin versant, du regroupement des associations d’irrigants dans une association régionale forte, et d’une fédération nationale des associations d’irrigants, de la promotion d’une agriculture d’entreprise, des constructions sur les terres agricoles, des nouvelles techniques d’information et de communication. Il y a le cas de la 2ème Plaine, où on se demande si l’Etat a vraiment l’intention de faire marcher le système, bien que cela semble intéresser le chef de l’Etat. Nous pensons également qu’il faut une liaison avec le MARNDR. On a mis une chose en place qui s’appelle le BAC (Bureau Agricole Communal), mais nous nous posons des questions; par exemple, nous organisons ce forum, mais le BAC le boude. Et il faut s’occuper du problème de l’insécurité foncière. Nous voulons mobiliser les agents de crédit, car il n’y a pas grand monde intéressé à investir dans l’agriculture.
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Bernard |
Il n’y en a pas du tout.
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Mano |
Je viens de lire un document où il est dit que ce qui a provoque les émeutes de la faim est lié aux faibles résultats de la dernière saison. Mais il ne faut pas oublier que nous avons pris l’habitude de consommer des aliments importés. Quand leurs producteurs décident de ne plus les exporter, ou que leurs prix augmentent, c’est la panique.
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Chadik |
Il faut une loi qui régisse la gestion des systèmes. Nous ne produisons pas suffisamment pour nourrir la population, mais l’Etat n’encourage pas l’agriculture: approvisionnement en semences qui ne se fait pas à temps, pas de crédit.
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Bernard |
Tu parles de l’approche hexagonale. Tu te souviens que quand j’étais chez vous le 18 mai, je disais que je voulais analyser votre plan quinquennal, année par année avec cette fameuse approche. Je n’ai pas eu beaucoup de temps et je ne l’ai fait que pour les 2 premières années, mais cela m’a permis de constater là où il y avait des vides. Par exemple, vous n’avez presque rien sur l’environnement.
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Mano |
2008-2009 c’est pour le renforcement de la structure du FAG, l’implication des acteurs locaux. Il y a une chose que nous avons apprise à Croix Fer; on nous a dit que chaque week end tous les acteurs se réunissaient pour faire un diagnostic.
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Bernard |
Ce n’était pas chaque week end, c’était une fois par mois, de grandes réunions, très animées, et pour moi c’était important car c’est là que les gens pouvaient s’exprimer.
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Mano |
Nous prévoyons de faire la même chose. Nous voulons travailler à la constitution d’une banque de données, à l’évaluation du travail des associations d’irrigants, lancer les débats sur la fédération des associations d’irrigants, bilan et évaluation des 2 années du FAG, organisation d’ateliers. 2009: implantation d’une ferme agricole expérimentale communautaire.
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Bernard |
Qu’est-ce que c’est?
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Mano |
Un espace où on peut voir la mise en application des changements qu’on nous propose. On a vu cela en République Dominicaine.
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Chadik |
On ne peut pas agir si on n’a pas vu.
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Bernard |
C’est une ferme qui a une fonction éducative; autrefois on avait les jardins de démonstration; c’est la même idée.
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Mano |
Oui, mais en plus large, plus structuré, plus formel.
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Bernard |
Et qui sera responsable?
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Mano |
Une association peut le faire, si elle en a les moyens. Dans la plaine de l’Arcahaie. L’Agence Française de Développement avait donné un fonds à l’AIPA pour qu’elle ne soit pas totalement dépourvue de moyens pour faire ses premiers pas. Cela ne s’est pas fait ici. La ferme permettra de faire l’éducation agricole des enfants. Dans la zone goâvienne, le PPI a laissé quelque chose; par exemple les jeunes qui sont rentrés dans l’agriculture avec la production de piment. Nous nous proposons, à partir de l’année prochaine, d’honorer des personnalités, par exemple, un père de famille, qui a fait l’éducation de ses enfants, qui sont devenus des agronomes, des ingénieurs, des médecins. Nous prévoyons d’honorer des jeunes qui ne se sont pas laissé entraîner par la situation du pays, qui ont choisi de faire de l’agriculture. 2009-2010: organisation d’ateliers sur les thèmes agriculture, crédit et banque. Nous avons déjà des contacts avec un économiste, un vulgarisateur, qui a manifesté de l’intérêt pour travailler avec nous; organisation d’ateliers sur le transfert de gestion, fédération régionale des associations d’irrigants; un comité mixte pour les bassins versants, haut et bas.
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Appel |
2 remarques: - est-ce que le FAG se retrouve dans cette affaire de relance de la production? - le coût est-il évalué? - le financement?
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Mano |
Pour la relance, nous parlons de production agricole nationale; tout notre programme a pour objectif de faire la production agricole devenir une réalité. Le budget se chiffre à 600.000 G Pour les sources de financement, nous avons soumis le document à plusieurs institutions. Le forum devra être actif tout au long de l’année parce que les gens ne veulent pas se contenter d’un atelier annuel. A propos de la relance, il y a des expériences faites durant le premier mandat du président Préval que nous n’aimerions pas voir se renouveler, comme ces distributions de tracteurs à des organisations plus politiques qu’autre chose. Si on avait un centre d’équipement agricole comme le CNE, ce serait une bonne chose.
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Bernard |
Nous devons mettre fin a la conversation, mais il va falloir se revoir avant longtemps. |
- Details
- Category: Institutions (40)
Le texte qui suit a fait l’objet d’une présentation a la XVème conférence annuelle de la Caribbean Studies Association qui s’est tenue à Trinidad du 23 au 26 mai 1990
Les organisations paysannes en Haïti
Développement et perspectives
Les réflexions qui vont suivre sont, en partie, venues d'une analyse comparative du type d'organisations présentant des demandes à la Fondation Inter-Américaine. Alors que, au début, les demandeurs étaient, dans leur grande majorité, des "organisations intermédiaires", actuellement la Fondation compte de plus en plus "d'organisations de base" parmi ses "clients". Le représentant de la Fondation en Haïti faisant partie de ce panel, je lui laisserai le soin d'entrer plus en détail dans cette analyse, s'il le désire; je m'attacherai plutôt à tenter de trouver une explication à ce changement.
Une première explication est à chercher dans cette sorte d'explosion sociale qui a suivi le 7 février 1986, date du départ de Jean-Claude Duvalier, et qui est caractérisée par l'apparition d'un grand nombre d'associations de tous types. Pour faire comprendre cette explosion à l'aide d'une image, je prends toujours l'exemple d'une marmite d'eau fermée hermétiquement que l'on aurait placée sur le feu. Tant que la marmite reste fermée la température de l'eau monte mais il n'y a pas d'ébullition. Mais si on enlève ce couvercle, les bulles commencent à se former.
Cette explosion ne peut cependant se comprendre sans une analyse de l'évolution du monde rural haïtien. Pour suivre cette évolution, nous allons devoir comprendre la situation avant Duvalier; puis nous verrons quels changements ont eu lieu durant les 30 ans du régime Duvalier. Nous verrons ensuite comment se présente la situation depuis 1986, et nous terminerons en essayant de voir quelles perspectives s'ouvrent devant nous, sur la base de l'évolution que nous avons pu décrire.
I. LE MONDE RURAL TRADITIONNEL
Parler du monde rural haïtien, c'est en tout premier lieu faire le constat du caractère dichotomique de la société haïtienne. Le monde rural haïtien ne se distingue pas seulement du fait qu'il est "rural". En effet la distinction rural-urbain est tellement marquée que certains sont tentés de parler de deux sociétés, voire de deux "pays", distincts par
- la composition ethnique de leurs populations respectives, l'une étant presqu'exclusivement d'origine africaine, l'autre plus mélangée;
- la langue: créole pour l'un, français pour l'autre;
- la religion: vodou pour l'un, christianisme pour l'autre;
- la législation: droit coutumier dans un cas, Code Napoléon pour l'autre.
Une telle situation n'est pas réservée à la seule Haïti et on la retrouvera dans tous les cas où, en dépit d'une indépendance formelle, les structures coloniales sont restées à peu près intactes, comme c'est souvent le cas en Amérique Latine.
Cette référence à l'Amérique Latine m'invite à dissiper tout de suite un malentendu. Parler de ces deux "sociétés", ne signifie pas adopter la thèse du "dualisme", critiquée à juste titre par Rodolfo Stavenhagen dans ses "Sept thèses erronées sur l'Amérique Latine". [1]
En effet, ces deux "sociétés" sont intimement liées et ne sont en fait que les deux volets d'un seul et unique système de domination et d'exploitation. L'articulation de ces deux volets est assurée par un réseau très ramifié d'extraction économique et de contrôle policier mis en place par la "société urbaine".
Un trait caractéristique du monde rural haïtien est ce qu'on pourrait appeler son faible niveau de développement organisationnel. Il y a un peu plus de quinze ans, alors que je faisais mes premières armes dans le "développement communautaire", un collègue me disait: "Le problème avec ce travail, c'est qu'il faut commencer par créer la communauté". Traduisant ainsi le fait de la quasi-inexistence d'organisations au niveau de la communauté.
C'est la même idée que reprend Gerald Murray quand il dit que "dans un sens réel, la communauté conventionnelle n'existe pas dans le milieu rural haïtien", et plus loin: "que l'organisation fondamentale de la campagne haïtienne se répartit suivant des principes de parenté, mais que les unités existantes n'ont pas un caractère décisif pour un programme d'organisation active". [2]
Bien sûr il n'existe pas que des groupes fondés sur les liens de parenté; une description du monde rural traditionnel ne saurait passer à côté de deux autres types d'organisations:
- celles fondées sur la religion et
- celles fondées sur le travail en commun.
Cependant, quand nous parlons d'organisations religieuses traditionnelles, nous ne devons pas oublier que la religion traditionnelle, le vodou, est avant tout un culte familial, de sorte que finalement on peut dire que nous revenons souvent à des groupes de parenté.
Quant aux associations traditionnelles de travail, elles semblent avoir pour point de départ l'échange de main d'œuvre entre les membres de l'association. A partir de ce point commun, elles présentent une grande variété, tant pour ce qui est du nom que porte le groupe, du degré de permanence du groupe, de son niveau de structuration que de l'extension de ses activités à des domaines autres que le travail.
Cela peut aller du konbit, un groupe large et éphémère, à la colonne, qui peut ne compter que six ou sept membres, se retrouvant à chaque saison pour travailler à tour de rôle sur le jardin de chacun des membres ou pour vendre une journée de travail à un non-membre, le fruit de cette opération allant intégralement à chacun des membres, à tour de rôle, pour finir avec la société, groupe permanent, qui peut être très large et très structuré, dont les membres ne sont pas réunis seulement pour le travail en commun, mais aussi pour des loisirs et des cérémonies religieuses. [3]
Cette dernière référence aux cérémonies religieuses nous ramène, compte tenu du caractère familial du culte traditionnel, aux liens de parenté. Il semblerait du reste que les associations traditionnelles de travail remontent à des pratiques d'entraide courantes chez les paysans vivant sur un même lakou.
Tout ceci nous invite à parler, dans le cas d'Haïti, de "société paysanne" dans le sens que Henri Mendras [4]4 à la suite de Robert Redfield, donne à ce concept, par opposition à société "sauvage" et société industrielle.
Sa société paysanne, en effet, se définit idéalement par les cinq traits suivants:
1. L'autonomie relative des collectivités paysannes à l'égard d'une société englobante, qui les domine, mais tolère leur originalité;
2. L'importance structurelle du groupe domestique dans l'organisation de la vie économique et de la vie sociale de la collectivité;
3. Un système d'autarcie relative, qui ne distingue pas consommation et production, et qui entretient des relations avec l'économie englobante;
4. Une collectivité locale caractérisée par des rapports internes d'interconnaissance et de faibles rapports avec les collectivités environnantes;
5. La fonction décisive des rôles de médiations des notables entre collectivités locales et société englobante.
Le problème qui se pose alors est de comprendre comment cette société paysanne a pu se développer à partir d'une situation qui présentait pas mal de caractéristiques d'une société industrielle.
Voyons en effet la description que donne Pierre Léon [5]5 de la vie économique de la colonie de Saint Domingue:
"... une activité commercialisée, faite exclusivement en vue d'exportations massives, de la vente sur les marchés français et européens, concentrée sur un petit nombre de productions rares et de haut prix, essentiellement spéculative, hautement capitalisée.
A cette agriculture "coloniale" était liée étroitement une très importante industrie, fondée sur l'élaboration plus ou moins poussée des produits du sol mais qui, elle aussi, revêtait, dès l'origine, un caractère capitaliste, s'appuyant sur une main-d'oeuvre spécialisée, et surtout sur un matériel important, et qui exigeait de sérieux investissements ainsi qu'un fort capital roulant. Moulins à indigo, moulins à café, mais surtout moulins à sucre qui permettaient d'exporter le sucre semi-raffiné, ainsi que les tafias, et qui per-mettaient aux planteurs de substantielles ressources, en mˆme qu'ils faisaient d'eux autant des industriels que de grands agriculteurs."
On a essayé d'expliquer ce passage d'une "société industrielle" vers une "société paysanne" à partir de la conception de liberté chez le paysan haïtien, conception qui serait faite de trois composantes,
- une composante économique,
- une composante sociale,
- une composante politique.
La composante sociale correspond à la valorisation du groupe domestique comme principal champ de relations sociales. Elle peut être vue comme un corollaire de la précédente. De même que, une fois libre, le paysan se retirait sur sa propre terre, de même il limitait ses relations sociales aux personnes vivant sur cette terre. Ceci était particulièrement vrai durant tout le XIXe siècle, alors que l'élément de base du tissu social était le groupe domestique large établi sur un lakou.
La composante politique correspond à une grande méfiance vis-à-vis de tout ce qui pourrait mettre en danger son univers, donc, tout spécialement, de toute forme d'autorité politique traditionnellement liée à ceux qui ont toujours tenté, selon lui, de le réduire à une forme quelconque d'esclavage.
A l'occasion du Colloque: "Les Paysans dans la Nation Haïtienne", qui s'est tenu du 3 au 5 Octobre 1986, Michel Hector présenta un exposé sur "Le processus historique de différenciations sociales à la campagne". [6]
Il y présenta la période 1793-1806 comme une étape de transition, au cours de laquelle s'affrontent deux grandes tendances, deux voies principales de développement:
- la "voie démocratique paysanne", supposant la distribution de la terre aux cultivateurs, la petite exploitation, la prise en charge de la gestion des plantations par ceux qui y travaillent;
- la "voie aristocratique terrienne", prônée par ceux qui percevaient le développement en termes de grandes propriétés appartenant à des féodaux et sur lesquelles travailleraient les paysans en tant que serfs.
Il y a donc, au moment du passage de la société coloniale vers une Haïti indépendante, une compétition entre deux projets de sociétés. Paul Moral [7] caractérisera cette situation en parlant de "malentendu fondamental", tandis que René-A. St Louis [8] y voit le "jeu des classes en présence".
Dans un essai publié récemment, Gérard Barthélemy [9] reprend cette idée, mais il présente cette compétition en terme de projet de société "créole" vs. projet de société "bossale", une terminologie qui réclame quelqu'explication.
Avant 1791, la société de Saint-Domingue se répartissait en trois catégories principales:
- le blanc, petit ou grand, propriétaire ou fonctionnaire;
- l'affranchi et l'esclave créole nés dans le système esclavagiste, noirs ou mulâtres;
- l'esclave né en Afrique, dit Bossale, qui représentait en raison de l'effrayante intensification de la traite après 1770, plus de la moitié de la population de la colonie.
L'élimination du premier groupe (le blanc) a provoqué, selon Barthélemy, "un double glissement":
o l'outil de production du Blanc a été monopolisé par la catégorie qui en connaissait mieux le maniement et qui, bien avant 1789, en était déjà en partie propriétaire: les créoles.
o Les Bossales (appelés Africains) exclus du partage des dépouilles et désirant le rester, sont venus occuper en partie l'espace social et culturel laissé libre par la promotion, au premier rang, des créoles.
Le résultat de cette opposition est qu'aucune des deux parties n'a pu finalement imposer totalement ses vues.
Certes, les créoles ont pu mettre la main sur les plantations, mais, à cause de la résistance des bossales, ils n'ont pu, comme dans les autres pays d'Amérique Latine, maintenir "l'appareil colonial, fondé sur les latifundia, la monoculture spéculative et l'extraversion de l'économie"... Le résultat est "un système de colonie interne où la nation créole, n'ayant jamais pu assimiler la nation bossale, n'a su que l'asservir".
En face de quoi, aux bossales, "il ne restait comme solution que de créer, à côté de l'Etat, mais non pas contre lui, un autre système, étrange et profondément innovateur, fractionnant le pouvoir en autant d'unités reproduites à l'identique qu'il y a de citoyens concernés, et de paysans dans les mornes".
De telle sorte que, "Que ce soit sur le plan administratif, ou dans le domaine de l'autorité traditionnelle, il n'existe, dans le milieu rural haïtien, ni conseil des anciens, ni castes, ni communes, ni cités villageoises, aucune de ces structures permanentes que l'on retrouve ailleurs ... Les structures existantes sont précaires, personnalisées, c'est-à-dire fondées davantage sur l'individu et sur des rapports de stricte réciprocité inter-individus (combites...) que sur l'institution".
II. VERS LA FIN DU DUALISME
Le XXème siècle va voir la conjugaison de toute une série de facteurs tendant à faire éclater les structures qui avaient prédominé pendant tout le siècle précédent.
La pression démographique, résultant du fait que la population avait plus que quadruplé, n'est pas un des moindres de ces facteurs. Il faut, bien sûr, mentionner également l'invasion nord-américaine, en 1915, dont l'impact a été tel que personnellement, en ce qui concerne l'histoire d'Haïti, c'est cette date que je considère comme le point de d‚part du nouveau siècle.
Mais pour le sujet qui nous concerne, les trente et quelques dernières années, autrement dit, en gros, la période duvaliérienne, ont été particulièrement importantes. Aussi est-il absolument indispensable de s'arrêter un moment à la politique du "leader charismatique".
A. L'UNITE NATIONALE
Ce n'est certainement pas ici le lieu de se livrer à une analyse exhaustive du régime mis en place par François Duvalier. Ce qui nous intéresse, c'est de savoir quel impact cette politique a pu avoir sur les structures du monde paysan.
Disons tout de suite que Duvalier justifiait son besoin d'établir un régime totalitaire par la nécessité de créer une "unité nationale", dont il était lui-même le vivant symbole. Il est donc évident que cette habitude qu'avaient prise les paysans de se tenir à l'écart était absolument inadmissible et qu'il fallait trouver le moyen "d'intégrer" le monde rural dans la vie nationale.
Ce moyen, ce fut une institution dont l'objectif avoué était l'éducation des adultes et l'action communautaire.
Une loi de 1961 fusionnait la Section d'Education des Adultes du Ministère de l'Education Nationale et le Service de Développement Communautaire du Ministère de l'Agriculture dans un nouvel Organisme autonome dénommé Office National d"Education Communautaire (ONEC).
En 1969, un décret changeait la dénomination de l'organisme, qui devenait Office National d'Alphabétisation et d'Action Communautaire (ONAAC), et en modifiait la structure en y créant deux Divisions: une Division d'Alphabétisation et une Division d'Action Communautaire.
On notera que, aussi bien dans le préambule de la loi de 1961 que dans celui du décret de 1969, on trouve le même "considérant": " Considérant que les collectivités analphabètes vivant en marge du travail commun de Réhabilitation Nationale ne peuvent y participer pleinement ... "
Le problème est donc posé: les collectivités paysannes se tiennent à l'écart de la "vie nationale"; il faut que cela cesse. Et une des attributions de la Division d'Action Communautaire de l'ONAAC sera formulée ainsi: "Intégrer le paysan haïtien dans le processus du Développement".
Autant pour l'instrument, voyons maintenant les moyens: les Conseils d'Action Communautaire.
Les conseils communautaires étaient des institutions à caractère local, représentant la population d'une collectivité, en l'occurrence une section rurale.
Les conseils communautaires étaient des institutions à caractère global: toute personne vivant dans une section rurale donnée était automatiquement membre du conseil de cette section.
Les conseils communautaires étaient des institutions à caractère démocratique: les membres de leur comité exécutif étaient désignés par élection.
Pour ce qui est des fonctions des conseils, il faut les voir sous deux angles:
- par rapport à la communauté qu'ils représentaient,
- par rapport à la société globale.
Au sein de la communauté‚ les conseils devaient combler le vide institutionnel déjà signalé, organiser la population de la section en vue de lui donner une structure à l'intérieur de laquelle elle pourrait identifier les problèmes auxquels elle est confrontée, décider des actions à entreprendre pour résoudre ces problèmes, organiser la mise en application de ces décisions.
Par rapport à la société globale, les conseils avaient, à différents points de vue, une fonction intégrative.
o Du point de vue économique, ces conseils assuraient que les "collectivités analphabètes" ne vivent plus en marge "du travail commun de Réhabilitation Nationale", ce qui, par la pratique généralisée d'embrigader leurs membres dans des travaux dits "communautaires", donc volontaires, allégeait la charge financière que ces investissements représenteraient pour l'Etat.
o Du point de vue de l'infrastructure, ces conseils contribuaient à mettre fin à l'isolement physique du monde paysan car les travaux communautaires entrepris le plus souvent étaient les constructions de routes de pénétration.
o Du point de vue politique, grâce à "l'encadrement" des agents de l'ONAAC, les conseils devenaient des relais du pouvoir et permettaient le quadrillage de la population par le régime.
B. LE NOUVEAU MARRONNAGE
Les structures mêmes qui devaient assurer au régime une assise populaire portaient en elles les germes de leur destruction.
L'ONAAC miné par la corruption, discrédité par sa "macoutisation" devenait comme un symbole du système que l'on supportait de moins en moins et fut finalement emporté par la même bourrasque qui fit partir Jean-Claude Duvalier.
Quand aux conseils communautaires, même quand ils ne disparurent, de nom, qu'après le départ de Jean-Claude, leur décadence s'amorça bien avant cela, tant étaient grandes leurs contradictions internes.
o Le territoire représenté par un conseil était bien trop vaste pour qu'on puisse parler de "communauté", et le nombre de membres était bien trop élevé pour que puisse se réaliser le processus de réflexion et de prise de décision collective qu'on en attendait.
o Du fait que tous les habitants de la section, sans distinction, faisaient partie automatiquement du conseil, on retrouvait dans ce nouveau groupe tous les éléments de la stratification sociale du monde rural; il y avait donc une très faible cohésion à l'intérieur du groupe, qui, finalement, reproduisait les structures de domination existantes. [10]
o Il était peu-à-peu devenu évident pour tout le monde que les conseils communautaires avaient pour principale fonction de fournir au régime une masse de manœuvre et que tous les discours sur le rôle du conseil communautaire comme "gouvernement local" n'étaient que pure hypocrisie.
Mais dans le même temps, toutes ces idées sur la participation, le développement auto-centré, etc, avaient fait leur chemin, aussi bien dans l'esprit de paysans que dans celui d'agents d'organismes privés de développement. C'est ainsi que, à côté des conseils, on vit peu-à-peu apparaître les groupements.
Entre les groupements et les conseils, la différence la plus apparente est la taille. Les groupements ont, en effet, d'une manière générale, un moins grand nombre de membres que les conseils. Mais là n'est pas le plus important.
A la différence des conseils, les groupements ne recrutent pas leurs membres, de manière automatique, sur une base locale. Le groupement est constitué à partir du désir de quelques personnes de mettre leurs efforts en commun. Et les nouveaux membres doivent présenter une demande qui devra être agréée par élection ou cooptation.
De sorte que, en plus de la taille, les groupements se distinguent des conseils par une plus grande homogénéité et un plus haut degré de relations interpersonnelles entre les membres; autant de caractéristiques qui sont plus conformes à la tradition paysanne et plus propice au développement du processus de réflexion et de prise de décision collective dont il a déjà été question.
Cependant, compte tenu de la prétention de l'ONAAC à être la seule institution habilitée à "faire du développement" dans le pays, la plupart du temps, ces groupements ont fonctionné, sinon dans la clandestinité, du moins fort discrètement, quelques fois même "sous le chapeau" d'un conseil communautaire. C'est cette pratique de ne pas chercher à attirer l'attention d'un pouvoir à la fois jaloux de ses prérogatives et méfiant vis-à-vis de toute organisation qu'il ne contrôlait pas, qui a fait utiliser quelques fois le terme de "marronnage" pour décrire le mode de fonctionnement des groupements.
C. L'EXPLOSION
Arriva le 7 Février 1986. Rétrospectivement, et particulièrement au vu de tout ce que nous avons vécu depuis, on a beau jeu de parler de naïveté pour caractériser la réaction des Haïtiens au départ de Jean-Claude Duvalier. Je pense néanmoins qu'ils ne sont pas nombreux ceux qui n'ont pas eu leur moment de naïveté, même si ce moment a été plus ou moins long, dépendant de la capacité d'analyse critique de chacun.
En tout cas, dans l'enthousiasme de la liberté retrouvée, on a même parlé de "deuxième indépendance", les vieux réflexes de prudence sont tombés, les organisations qui jusqu'alors avaient pratiqué le marronnage se sont montrées au grand jour. Mais cela ne suffit pas à expliquer ce que nous appelons "l'explosion".
Le foisonnement d'organisations qu'a connu la société haïtienne après le 7 Février 1986 n'est pas dû seulement à la sortie au grand jour de groupes qui jusqu'alors avaient pour le moins gardé un profil bas. Il faut compter également avec les institutions qui ont modifié leur orientation, tels ces conseils communautaires qui se sont reconvertis et sont devenus des "comités de relèvement". Il y a aussi les groupes nés, au cours des derniers mois du régime, du désir de participer à la lutte contre la dictature, et enfin ceux qui ont pris naissance après le 7 février, dont les membres veulent contribuer à la "reconstruction du pays".
Le monde rural a activement participé à ce mouvement et d'une manière qui marque une rupture avec le passé. Haïti a certes déjà connu des mouvements paysans, mais les Piquets et les Cacos, pour ne citer que les plus célèbres, avaient des revendications terriennes. On pourrait, en simplifiant un peu, dire que ce qu'ils réclamaient, c'était le moyen de pouvoir continuer à vivre en marge de l'Etat. Les mouvements paysans d'aujourd'hui revendiquent leur droit de participer à la vie nationale, en citoyens à part entière.
Tout ce bel enthousiasme ne suffit évidemment pas à assurer l'existence d'organisations solides, d'autant qu'elles sont en butte tant à des faiblesses internes qu'à des dangers venant de l'extérieur.
On citera tout d'abord le discrédit que tentent de jeter sur elles les tenants de l'ancien régime, dont on sait qu'ils sont encore proches du pouvoir, et leurs alliés naturels. L'arme utilisée le plus souvent est l'accusation de communisme, comme cela a été fait, avec succès, contre les comités de quartier. Ceux-ci, en effet, après un bel élan pris en 1986, ont été pratiquement démantelés, et ce n'est que tout récemment, après le départ d'Avril qu'ils tentent de reprendre.
Un autre danger extérieur tout aussi grave sont les tentatives de récupération. L'après 86 a vu en effet un foisonnement de partis politiques, qui ne sont le plus souvent que des groupuscules autour d'un "leader". Dans leur quête d'une assise populaire, ces soi-disant partis essaient de détourner les organisations de base de leur objectif initial pour s'en faire une clientèle. On a vu ainsi de jeunes organisations paysannes dont le manque d'expérience a fait des victimes de politiciens à la recherche de partisans.
Nous touchons ici à une grande faiblesse interne de ces organisations: le manque d'expérience. Tout ce que nous avons dit plus haut, sur le faible niveau de développement organisationnel du monde paysan, ramène au fait que les paysans n'ont pas l'habitude de fonctionner dans des institutions qui ne sont pas fondées sur des liens de parenté ou des relations d'interconnaissance assez intimes.
Placé dans un cadre institutionnel plus anonyme, le paysan va tenter de développer, avec celui qu'il pense être le meneur, un nouveau type de rapports d'intimité. Ce seront les relations existant entre le "chef charismatique" et ses "suiveurs", et qui rendent possible l'utilisation du groupe à des fins qui n'ont rien à voir avec les intérêts de ses membres.
Il faut signaler enfin une autre conséquence du manque d'expérience, à savoir la difficulté pour le groupe de formuler des objectifs précis et de définir un plan d'action réaliste.
D. PERSPECTIVES
Le monde rural haïtien est à un tournant important de son développement. Arraché à son attitude traditionnelle de repli sur lui-même, et ce par la volonté des tenants du pouvoir, le paysan tente aujourd'hui de faire valoir son droit à participer à la vie nationale.
C'est là une condition obligée du développement d'une vraie démocratie en Haïti, ne serait-ce que parce que ce monde rural représente encore près de 80 % de la population haïtienne. Mais compte tenu des dangers et des faiblesses signalés plus haut, les organisations paysannes devront bénéficier d'un encadrement leur permettant de s'épanouir, sans parler du cadre législatif qu'il faudra leur garantir, car en l'absence de toute loi sur les associations, ces institutions évoluent actuellement en dehors de toute légalité.
Bernard Ethéart
Trinidad May 22, 1990
[1] Rodolfo Stavenhagen: Sieben falsche Thesen ber Lateinamerika, in: Kritik des brgerlichen Anti-Imperialismus, Bolivar Echeverr¡a et Horst Kurnitzky, Ed., Berlin, 1969
[2] Gerald F. Murray: Aspects de l'actuelle organisation économique et sociale des paysans dans la Plaine des Gonaïves, Haïti, IICA, 05 LH/73, ANNEXE III-A
[3] Michel Laguerre: Les associations traditionnelles de travail dans la paysannerie ha‹tienne, IICA 29 LH/75, Août 1975
Calixte Clérismé‚: Organisations paysannes dans le développement rural, in: Conjonction # 40, Oct-Nov 1978
[4] Henri Mendras: Société Paysannes, Paris, 1976
[5] in: Marchands et spéculateurs dauphinois dans le monde antillais du XVIIIe siècle: Les Dolle et les Raby, Paris, 1963 ; cité par François Girot: La vie quotidienne de la société créole (St Domingue au XVIIIe siècle), Paris, 1972
[6] v. Le Nouvelliste, Vendredi 10 - Dimanche 12 Octobre 1986
[7] Paul Moral: Le Paysan Haïtien, Paris, 1961
[8] René-A. St Louis: La Présociologie Haïtienne, Ottawa, 1970
[9] Gérard Barthélemy: Le Pays en dehors, Port-au-Prince, 1989
[10] Sur ce point, le mémoire de sortie de Raphaël Yves Pierre à la Faculté des Sciences Humaines offre une intéressante analyse. Voir : Raphaël Yves Pierre: Le Conseil d'Action Communautaire de Duverger, Port-au-Prince, Mai 1981
- Details
- Category: Institutions (40)
Emission du |
28/10/08 |
Thème |
Le FAG après le passage des cyclones |
Invités |
Emmanuel Louiceus Maxo Pinchinat |
Transcription
Bernard |
Le 13 mai, nous avons fait une émission avec Jean-Robert Jean-Noël et Alain Thermil sur une proposition de la FONHDILAC dans la cadre de la relance de la production agricole. C’était un mois après les « émeutes de la faim », et on ne parlait que de cela. La FONHDILAC était partie des diagnostics d’environ 60 systèmes d’irrigation, réalisés dans le cadre du PATRAI pour présenter des données concrètes et indiquer ce qui peut être fait sur ces systèmes d’irrigation pour relancer la production. Le 27 mai, nous avons eu deux invités qui venaient du Forum Agricole Goâvien (FAG), un groupe qui veut encadrer les associations d’irrigants dans la zone de Grand Goâve – Petit Goâve ; il s’agissait de Emmanuel Louiceus et de Louis Chadik. On était dans la suite logique de l’émission du 13 mai, car les associations de la zone goâvienne avaient été touchées par le PATRAI. Cette émission avait eu un certain impact dans la zone du FAG ; elle avait encouragé les membres des associations à devenir plus actifs et Mano m’avait demandé de faire une autre émission pour renforcer ce momentum. Nous avions pris rendez-vous, mais Gustave ne nous a pas permis de réaliser l’émission. Entre temps. Il y a eu les quatre cyclones, et Alain est venu, le 30 septembre, nous parler des dégâts dans la zone goâvienne. Au cours de l’émission, il a reçu un message de Mano qui disait qu’il nous écoutait, et j’en ai profité pour lui passer le message que je l’attendais pour une émission. Nous avons pris rendez-vous pour aujourd’hui. Il n’est pas encore là ; il est pris dans un embouteillage, j’en profite donc pour placer l’émission dans son contexte. Nous avons eu donc l’émission avec FONHDILAC, nous avons eu l’émission avec le FAG, nous avons eu l’émission sur les dégâts. Mais entre temps j’ai reçu les diagnostics du PATRAI, que la FONHDILAC avait utilisés pour sa proposition. J’ai commencé à les imprimer ; j’ai déjà Fort Royal, Dlo Pity et Barette, et, en attendant que nos invités sortent de leur embouteillage, je veux donner une idée de ce qu’on peut tirer de ces diagnostics. Il s’agit donc des trois périmètres : Barette, Dlo Pity, Fort Royal. Barette est irrigué à partir de la rivière Barette que l’on traverse en laissant Petit Goâve vers Carrefour Desruisseaux. Dlo Pity est un peu plus loin, c’est un petit cours d’eau que l’on traverse juste après le marché de Vialet. Fort Royal n’est pas sur la grand route ; il faut aller vers la mer, près d’une ruine qui date de l’époque où on voulait transférer la capitale de la colonie de St Domingue du Cap vers Petit Goâve – mais finalement le choix s’est arrêté sur Port-au-Prince, qui fut créé en 1749. Barette a une superficie de 200 hectares pour une association d’irrigants de 200 membres créée en 2001. Dlo Pity mesure 94 hectares pour une association de 160 membres. Fort Royal n’a que 33 hectares pour une association de 105 membres ; 1/3 d’hectare en moyenne par irrigant. Les diagnostics parlent des systèmes d’irrigation, des bassins versants, qui sont assez dégradés, sauf peut-être pour Fort Royal, qui est proche de la mer, dans une zone marécageuse, donc difficile à drainer. Mais le centre des études, ce sont les associations elles-mêmes. Elles ont été créées en 2001, à l’époque du projet PPI. En 2003, elles ont signé un protocole d’accord avec le MARNDR qui les reconnaît et leur transfert la gestion du système. Mais il y a des problèmes. Quand nous avons eu l’émission avec Mano, en mai, il nous disait que la gestion des systèmes a été enlevée à l’Etat, parce que l’Etat est mauvais gestionnaire. Maintenant, l’Etat est censé accompagner les associations, mais il semble qu’ils aussi mauvais accompagnateur. Depuis qu’ils ont signé le protocole avec le MARNDR, ils n’ont revu personne du ministère. Il existe un Bureau Agricole Communal (BAC) ; quand ils organisent des forums, ils invitent le BAC ; personne ne vient. Cela me ramène à une discussion que j’ai eue avec Isaac, quand nous avons fait l’émission sur le PPI. J’avais suivi un atelier de restitution du PPI, où j’avais eu l’impression que le ministère n’était pas disposé à faire le suivi du PPI. C’est toujours la même histoire. Il y a un projet, qui met une série de structures sur pied. Le projet est terminé ; c’est au MARNDR de prendre la relève et il ne le fait pas. Isaac avait protesté ; à l’époque il était directeur intérimaire du PPI et ne pouvait pas trop critiquer le MARNDR. Mais, quand on entend Mano et quand on lit les diagnostics, il faut se rendre à l’évidence : il n’y a pas de suivi. Mais il y a plus grave. Les diagnostics disent que le processus de transfert de gestion est inachevé. On avait décidé, au niveau du PPI, que la dernière phase de consolidation directe et de cogestion ne serait pas exécutée par le PPI, mais par le MARNDR, et ce justement pour assurer la continuité. Or les structures du MARNDR n’ont ni la compétence ni les moyens de le faire. C’est donc un processus inachevé, ce qui a des conséquences sur le fonctionnement des associations. Je m’arrête, car entre temps mes invités sont arrivés. Messieurs présentez-vous. |
Mano |
Bonsoir, auditeurs de Mélodie, je suis Emmanuel Louiceus, coordonnateur du FAG ; c’est ma deuxième participation à une émission. |
Maxo |
Bonsoir Bernard et les auditeurs, je suis Maxo Pinchinat, conseiller de l’association des irrigants de Fauché et nous travaillons à la mise sur pied d’une fédération des associations d’irrigants de la zone goâvienne. |
Bernard |
Je n’ai pas reconnu Maxo tout de suite, car j’attendais quelqu’un d’autre. Mano est sur le périmètre de Barette, Maxo sur celui de Fauché, Grand Goâve. Cela fait longtemps que je voulais l’inviter. J’avais convaincu Mano lors de l’atelier du FAG, le 18 mai, à Vialet. Pour Maxo, je l’avais rencontré une première fois à l’occasion du 1er mai, car cette année c’est à Fauché que nous avons célébré la fête de l’agriculture ; nous avions été invités par l’association des irrigants de Fauché (AIFA), dont Maxo a été le président. Et puis, il n’y a pas longtemps, nous avons fait une visite à Diny, un endroit qui doit être cher à notre 1er Ministre car FOKAL y a travaillé. C’est tout en haut dans la montagne, au-dessus de Grand Goâve. Du temps de la colonie, il y a eu un système d’adduction d’eau potable qui a été repris par FOKAL. Ces messieurs sont donc arrivés en retard, mais ils sont là. Je les salue et je les mets vite au courant de ce que nous avons fait en les attendant. Pour cet après-midi, j’avais deux choses en tête : ∙ Une idée des dégâts causés par les cyclones, ∙ Sur la base des diagnostics, qu’est-ce qui est possible et qu’est-ce qui a déjà commencé ? |
Mano |
PATRAI a fait des diagnostics ; on a vu des problèmes physiques et organisationnels ; mais après le passage des cyclones, presque tout est à refaire sur le plan physique. 80 % des jardins sont dévastés ; il y a une culture pour les gens de la région, c’est l’arbre véritable, je vais utiliser un mot : les arbres sont extirpés, ils sont déracinés dans leur majorité ; les bananiers également ; enfin, sur le plan physique, c’est la dévastation. |
Bernard |
Et les structures du périmètre ? |
Mano |
Au niveau de Barette, on a une rive qui ne fonctionne pas, c’est la rive droite. |
Bernard |
C’est celle qui est alimentée par un conduit qui passe sous la rivière ? |
Mano |
Exactement. Pour la rive gauche, il y a une ravine qui crée des dégâts quand elle est en crue. Pour Dlo Pity, il y a des terres qu’on ne peut travailler, elles sont couvertes de sable. |
Maxo |
Pour Fauché et Glaise, les gens ont perdu 20 à 25 hectares emportés par la rivière Lavagne. Sur le périmètre de Fauché, la ravine Louko apporte des sédiments quand elle est en crue. Les terres sont recouvertes de pierres. Au barrage de Fauché, il y a un effet renard, l’eau ne passe pas dans le système. |
Bernard |
C’est le barrage que nous avons vu en montant à Diny ? |
Maxo |
C’est bien lui. |
Bernard |
Rappelle moi ce qu’est l’effet renard. |
Maxo |
Tu vois l’eau arriver et tu ne vois pas où elle s’en va. 60 % des jardins sont perdus. Mais les planteurs examinent comment ils vont reprendre le travail, car ils ne peuvent pas attendre. Ils ont donc fait une prise en batardeau pour permettre à l’eau d’entrer dans le système. Grâce à PATRAI et CEHPAPE on fait des travaux de curage pour amener l’eau dans tout le périmètre. Je crois que c’est la même situation pour Glaise dont le barrage est complètement sédimenté ; une berge de protection en gabionnage est partie et un canal de transfert, fait de conduites souterraines, est obstrué. La piste agricole est abîmée également. |
Bernard |
Vous autres, c’est Gustav qui vous a frappés ; je me souviens que les premières informations que j’ai reçues venaient de Vallue. Il est vrai que Gustav a traversé la presqu’île ; c’est du reste ce jour-là que nous avions rendez-vous pour faire la seconde émission sur le FAG. Voilà donc un bien sombre tableau. Mais y a-t-il des choses qui se font ? |
Maxo |
Sur le périmètre de Fauché, on a commencé à travailler. Les planteurs sont directement concernés et, grâce à la motivation au niveau des associations, ils ont pris leurs responsabilités. Nous leur avons dit que l’eau est pour eux, ils doivent voir ce qu’ils peuvent faire et ne sont pas obligés d’attendre qu’on vienne les aider. C’est ce qui fait que le périmètre est actuellement alimenté. |
Bernard |
Ça, c’est pour Fauché ? |
Maxo |
Pour Fauché ; pour Glaise, il y a des discussions qui sont entamées. J’étais avec eux hier et je leur disais qu’ils ne doivent pas rester à attendre. Je pense qu’aujourd’hui ils doivent commencer le curage du bassin de distribution et des canaux primaires. |
Bernard |
Et chez toi ? |
Mano |
Dieu merci, au niveau de Barette, il y a un organisme international qui intervient, mais ce n’est pas dans un cadre structuré qui répond à l’attente de la population. Ils interviennent dans la mise en place d’une série de canaux qui permettent la circulation de l’eau. D’autres activités sont envisagées par l’association, ainsi qu’au niveau de Dlo Pity et de Fort Royal. Il y a cependant des espaces non cultivables, parce que recouverts de sable. Le gros travail à faire sur Barette, c’est pour la rive droite qui ne reçoit pas d’eau, comme je l’ai expliqué. Sur la rive gauche, il y avait un drain qui renvoyait l’eau dans la rivière et qui ne fonctionne plus. Il faut donc des interventions sérieuses. Cependant on peut dire que les agriculteurs s’organisent pour la campagne d’hiver. Mais il y a des interventions qui doivent être faites pour que la situation redevienne normale. |
Bernard |
Tu as parlé d’un organisme international, lequel est-ce ? |
Mano |
OIM |
Bernard |
Maintenant, lors de la dernière réunion de FONHDILAC, Alain avait donné un compte rendu sur PATRAI et avait dit que la première chose à faire était d’aider les planteurs à remonter sur les périmètres, faire les premiers travaux nécessaires à la reprise des activités. Apparemment, c’est ce qui est en train de se passer. Il avait seulement dit, que PATRAI étant un projet qui s’intéresse aux associations, il n’avait rien à voir avec les infrastructures. Il n’y avait qu’un petit fonds, qui devait servir à la sensibilisation/motivation et qu’on pourrait utiliser pour réparer les dégâts. Mais il semble qu’il y aurait des possibilités de renforcer ce fonds avec des moyens financiers externes à PATRAI. Est-ce que, à part l’OIM, il y a d’autres appuis qui arrivent ? |
Mano |
Selon les informations que nous avons reçues avant de venir ici, au niveau du MARNDR, on prend des dispositions pour mener des activités de Léogane à Petit Goâve, pour que l’agriculture reprenne. Mais, au niveau de l’Etat, gen moun k’ap kòde, gen moun k’ap dekòde. Le président Préval parle de relance de la production nationale, mais si tu vas au ministère pour voir combien sont d’accord, tu peux te tromper. Il y a des difficultés pour que les choses atterrissent. Nous avons participé aux activités du PPI et nous pensons avoir un engagement. Si on considère la politique d’irrigation du ministère, elle est très bien, mais elle ne peut atterrir. C’est pour cela que, au niveau du FAG, nous prenons des initiatives pour pouvoir faire pression sur l’Etat. Nous voulons monter une fédération au niveau de la zone goâvienne, puis nous allons travailler à une confédération des associations d’irrigants pour organiser le secteur et constituer un groupe de pression. |
Maxo |
Je pense que, comme Mano l’a dit, il y a des activités prévues au niveau du ministère ; il y a le fonds d’urgence. |
Bernard |
Oui, le ministère a une belle somme. |
Maxo |
On parle de 57 millions. Le ministre, au cours des réunions, étudiait comment relancer la production. Nous ne rentrerons pas dans le détail du programme, mais nous savons que, pour la région goâvienne, il y aura des interventions depuis la rivière Momance jusqu’à la 2ème Plaine, curage de canaux, réhabilitations physiques … |
Bernard |
Momance, c’est Léogane ; on va donc traiter tout ce bloc, de Léogane à Miragoane ? |
Maxo |
Il y a des périmètres qui ne seront pas touchés, comme Diny, Béchade. Nous avons formé un comité d’initiative au sein du FAG pour nous positionner. C’est à nous de nous organiser d’abord pour que l’Etat prenne ses responsabilités. Nous consti-tuerons ainsi, comme l’a dit Mano, une force de pression pour dire à l’Etat : voilà comment les choses doivent se faire. Nous voulons élaborer un plan de développement pour la zone goâvienne. |
Bernard |
Vous avez parlé de fédération ; est-ce que je me trompe, ou est-ce que j’ai bien entendu Camille dire récemment qu’il allait à Petit Goâve pour une affaire de fédération ? est-il partie prenante ? |
Maxo |
Oui, il est avec nous ; c’est toujours dans le cadre du PATRAI. |
Bernard |
Quand on lit les diagnostics, ils insistent beaucoup sur cette idée de fédération. Si on veut citer le proverbe : men anpil, chaj pa lou, il y a des besoins des associations qu’elles ne peuvent satisfaire individuellement, mais, si elles sont regroupées en fédération, certaines choses sont possibles. Par exemple, les diagnostics insistent beaucoup sur la nécessité d’un comité technique qui donnerait des directives dans la gestion technique des systèmes et ce comité pourrait être au niveau de la fédération. Ils ont aussi parlé de boutiques d’intrants, de crédit. Si on achète de l’engrais en gros, on peut faire des économies ; il vaut mieux donc se mettre ensemble. Pour le crédit, c’est plus compliqué parce que, jusqu’à nouvel ordre, il n’y a pas beaucoup de crédit pour l’agriculture. Cependant un groupe plus important aurait plus de chance que des individus de trouver du crédit. |
Mano |
Quand on prend un système, on peut se faire une idée des services à mettre en place pour faire marcher l’association. |
Bernard |
Nous saluons quelqu’un qui vient d’arriver. Il s’agit de Camille Bissereth. Bonsoir Camille et viens ici pour saluer les auditeurs. |
Mano |
Je dois dire que l’agronome Bissereth, depuis maintenant dix ans, est un ami, un professeur, un père. Quand nous parlions autrefois, c’est Camille qui mettait les mots dans notre bouche. L’autorité que nous avons acquise entre temps se traduit de plusieurs manières. Actuellement, nous voulons écrire un document, que nous soumettrons au PATRAI, au PPI, au ministère, dans lequel nous exposons comment nous comprenons l’association d’irrigants. Nous avons l’expérience, et quand nous entendons certaines personnes parler d’association d’irrigants, nous avons l’impression qu’elles ne savent pas de quoi elles parlent. |
Bernard |
A propos de ce travail dont tu parles, j’ai fait une indiscrétion involontaire. Il semble que tu as envoyé un courriel à Jean-Robert, qui t’a répondu, mais il a envoyé sa réponse à tout le monde, de sorte que je suis au courant d’un mémoire que tu prépares pour l’université. |
Mano |
Je ne voulais pas en parler, mais je travaille effectivement sur ce mémoire. J’ai étudié le droit, mais je veux me spécialiser dans le domaine du droit rural. Mais j’ai commencé à travailler sur un document en créole, que serait un guide pour le fonctionnement des associations d’irrigants. Cela commence avec un historique ; nous parlons de la loi de 1952, sous Magloire, qui commence à introduire les associations d’irrigants, et on arrive au décret de Ertha Pascal Trouillot, en 90-91, qui institutionnalise les structures locales de gestion des associations d’irrigants. Tu auras la primeur du guide, car il faut que tous les grands messieurs donnent leur avis. Mais pour revenir à notre sujet, la fédération a une grande importance, en particulier avec le comité technique. Les postes électifs sont de caractère libéral … |
Bernard |
Qu’est-ce que tu entends par libéral ? Tu as peur de dire le mot : les postes électifs sont politiques. |
Mano |
Dimanche, nous avons organisé les élections sur le périmètre de Barette et Mélodie and company a joué un grand rôle, car après l’émission que nous avons eue en mai, les gens ont commencé à voir les choses autrement. On a donc un comité élu au niveau de Barette. Le président Préval était dans la 2ème Plaine aujourd’hui ; il n’a pas parlé d’agriculture ; c’est pour la route qu’il était venu, mais il a dit qu’il reviendrait avec l’agronome Gué pour l’agriculture. |
Bernard |
Je vais faire une parenthèse pour Camille qui est en face de moi. Je pense à cette histoire d’un fonctionnaire de la DIA (Direction des Infrastructures Agricoles) que le PPI avait fait visiter un de leurs projets et qui aurait dit, après avoir entendu parler les paysans : « je vais perdre mon travail, les paysans en savent autant que moi ». C’est ce qui nous arrive maintenant ; ces messieurs sont plus forts que nous ! Mais revenons à des choses plus sérieuses. A propos de cette affaire de fédération, je craignais que le choc des cyclones ait provoqué un découragement, mais apparemment ce n’est pas le cas. |
Maxo |
Cela fait cinq ans que nous parlons de fédération ; nous en avons parlé dans tout le pays, jusqu’à la Plaine de l’Arbre, car nous pensons que, si nous nous constituons en fédération, cela fera une grosse force de pression et l’Etat sera obligé de nous entendre. Ce dont tu as parlé tout à l’heure, j’en été victime avec le ministre Sébastien Hilaire, lors d’une visite à Fauché. Après que j’aie parlé, il a dit que ce n’était pas un paysan qui avait parlé, que c’est l’agronome qui lui avait dicté ce qu’il devait dire. Finalement, au cours d’une rencontre au Montana, où je représentais l’ensemble des associations d’irrigants, il a du se rendre compte que ce n’était pas l’agronome Bissereth qui parlait par ma voix. |
Bernard |
Ce n’est pas Camille qui avait « craché dans ta bouche ». |
Mano |
Je profite pour saluer l’agronome Bissereth qui est venu nous retrouver. |
Bernard |
Il fallait bien qu’il vienne parce que finalement il est derrière ces trois diagnostics que j’ai cités ; j’ai du reste quelques remarques que je lui présenterai à l’occasion. Il y a un autre point dont je parlais quand vous êtes arrivés ; je ne sais pas si vous l’aviez entendu. C’est ce passage, que l’on retrouve dans les trois diagnostics, où il est dit que le processus de transfert de gestion est un processus inachevé. Le PPI avait décidé que la dernière phase serait exécutée par le MARNDR, mais le MARNDR n’avait ni la volonté, ni les moyens de la faire. Ce serait une des explications des faiblesses qu’ils ont constatées au niveau des associations, au moins pour les trois dont j’ai lu les diagnostics. |
Maxo |
Je pense que ce que tu as trouvé pour ces trois-là, tu le retrouveras pour les autres aussi. |
Bernard |
Je me souviens d’une phrase de Mano : on a transféré la gestion parce que l’Etat est un mauvais gestionnaire, mais maintenant l’Etat se révèle un mauvais accompagnateur ; depuis que nous avons signé l’accord de 2003 on ne l’a plus revu. |
Maxo |
Le contrat dit que les associations gèrent le système et que l’Etat s’engage, quand il y a une catastrophe, à intervenir, mais aussi à accompagner par des visites pour voir comment marche la gestion. Sur tous les périmètres, l’Etat n’est jamais venu voir ce que nous faisions. Il n’a jamais essayé de voir comment renforcer les associations. Il y a un grand vide. |
Bernard |
Il y a aussi le problème de la loi sur les associations que l’on n’arrive pas à voter. Ceux qui ont rédigé les rapports sont très prudents ; ils disent qu’il y a une volonté de faire passer ces lois, mais que malheureusement on constate certaines lenteurs. C’est de la diplomatie ; Camille, je dis cela pour tes rédacteurs, car en fait, il n’y a pas de volonté de faire avancer les choses ; depuis le temps qu’on en parle, s’ils le voulaient cela aurait été fait. |
Mano |
Il y a un constat à faire. Ces derniers temps, j’ai lu des tas de documents du MARNDR sur le transfert de gestion. Ce qui est sur le papier est bien beau. Mais les associations ne peuvent pas remplir leur mission. Prenons par exemple le problème des redevances. Il y a une absence de moyens permettant à l’association de faire payer la redevance. Au niveau juridique, dans plusieurs pays, il y a des moyens coercitifs pour forcer les usagers à remplir leurs obligations. Ici, les associations sont faibles ; il n’y a pas de loi qui établisse le cadre légal du transfert de gestion. |
Bernard |
Je vais te citer un cas. Tu as été à Croix Fer. Le périmètre de Croix Fer a été aménagé par une ONG, qui s’appelait CHADEV, avec des fonds qui venaient d’une église aux Etats Unis. Le président du CHADEV, Monseigneur Garnier, a signé un accord sur la mise en œuvre du projet avec le ministre de l’agriculture, Edouard Berrouet. Croix Fer était un « Ilot de Développement » et le STID (Secrétariat Technique des Ilots de Dévelop-pement) assurait le suivi des activités pour le MARNDR. Un beau jour, un nouveau ministre de l’agriculture, qui avait eu un problème avec le STID, l’a tout simplement sup-primé. Bien que responsable du projet, je n’ai jamais été informé de la fermeture du STID ; d’autres responsables de projet, comme le père Grandoit, qui était responsable de l’Ilot de Desarmes, n’ont pas non plus été informés. J’ai continué le travail, j’ai achevé le système ; on a invité le ministre de l’agriculture à l’inauguration ; à l’époque c’était le ministre Flambert ; il n’est pas venu, il a envoyé le Secrétaire d’Etat Docteur ; le système est entré en fonctionnement, le MARNDR ne s’est jamais soucié de savoir ce qui se passait. |
Mano |
Ce qu’il nous faut, c’est arriver à forcer l’Etat à prendre ses responsabilités ; faire passer cette loi sur l’irrigation. Il y a le code rural de François Duvalier, qui parle d’irrigation ; mais il date de 1962, il n’est pas adpté à la situation actuelle. Récemment j’étais à une émission avec l’actuel directeur du PPI, Tony Dessources. Nous avons parlé de tout ce dont nous parlons maintenant. Il est d’accord pour qu’on aille plus loin avec le FAG, il est d’accord pour que le ppi l’appuie. Nous allons continuer ; nous voulons qu’avant la fin du mandat du président Préval, il y ait une loi qui sanctionne le transfert de gestion. |
Bernard |
Et une loi qui donne aux associations une existence légale. |
Mano |
Nous, qui parlons maintenant, nous ne sommes pas président d’association ; nous adhérons au mouvement ; nous faisons tous nos efforts et nous espérons obtenir des résultats. Il y a une chose que les gens dans l’Etat doivent comprendre : l’irrigation des terres est un des moyens les plus surs d’obtenir une augmentation de la production agricole. On en a discuté au colloque du Christopher et une des résolutions qu’on avait prises était la fédération des associations d’irrigants. |
Bernard |
Nous allons malheureusement de voir nous arrêter, mais comme tu fais allusion au Christopher et a toutes les sessions du GRI (Groupe de Réflexion sur l’Irrigation), je me souviens qu’à la fin du colloque, comme j’aime toujours faire des blagues, j’avais lancé le mot d’ordre : « irrigants du monde entier unissez vous » ; certains comprendront à quoi je fais allusion. Par ailleurs, chaque fois que tu parles de pression, je dois sourire, parce que je me souviens qu’à l’atelier du FAG de l’année dernière, je vous disais que si vous attendiez de l’Etat qu’il agisse, vous n’auriez rien, il faut faire pression sur lui. J’étais tout fier de moi, mais par la suite, je me suis demandé : qu’est-ce que je leur ai dit ? c’est quoi faire pression ? Et j’avais l’intention de travailler la question pour vous faire des propositions plus concrètes. Je n’ai jamais eu le temps de la faire ; il y a eu un autre forum où on n’en a pas parlé, mais chaque fois que tu dis « pression », je pense que je vous dois quelque chose. De toute manière, quand vous parlez de séminaire de formation, si vous avez besoin de quelqu’un pour vous raconter des histoires, je suis là. |
Mano, Maxo |
Merci d’avance. |
Bernard |
C’est moi qui vous remercie ; je suis heureux d’avoir eu Mano à ce micro, mais je suis encore plus heureux d’avoir eu Maxo, car cela faisait longtemps que je souhaitais le recevoir. |
Maxo |
Jusqu’à présent je n’ai pas encore été invité, car aujourd’hui je n’ai fait qu’accompagner Mano. |
Mano |
En guise de conclusion, nous remercions l’agronome Bissereth qui nous a rejoints, et tous ceux qui nous écoutent de chez eux. La fédération va se présenter au public ; nous aurons un atelier auquel tu seras invité. |