«La Bienveillante Pénétration»
Le cas de la «figue-banane»
Le développement de la filière figue-banane par des capitaux étrangers a connu deux épisodes, l’un au début du siècle, l’autre juste après la «désoccupation». C’est curieusement un contrat de construction d’un réseau ferroviaire qui est à l’origine du premier épisode. Voyons ce qu’en dit Victor Redsons.
«En 1906, une ‘Compagnie Nationale des Chemins de fer’ obtient les concessions de trois voies ferrées:
- Gonaïves – Hinche
- Cap – Grande Rivière du Nord
- Port-au-Prince – Cap.
C’est la première intervention caractérisée du capital Nord-américain. Elle se précise en 1910 avec le scandaleux contrat dit ‘Contrat Mac Donald’. Pour une période de 50 ans et au prix d’affermage de 1 dollar par an le carreau cultivable, le gouvernement concède à la Compagnie Nationale de Chemin de fer ‘National Rail Road’, les terres du domaine national non occupées ‘sur le parcours du chemin de fer devant traverser les départements de l’ouest, de l’Artibonite du Nord-ouest et du Nord et ce, jusqu’à une distance de 20 km. de chaque côté de la voie ferrée’. La compagnie doit y établir des plantations bananières.» [24]
Kethly Millet est du même avis et fournit un peu plus de détails sur le transfert de la première compagnie de chemin de fer à la compagnie Mac Donald.
«C’est par le biais de la Compagnie de Chemin de fer national que les intérêts américains feront leur entrée en force en Haïti. Cette société fondée en 1905 avait été acquise par Rodolphe Gardère. Elle devait pourvoir les départements du Nord, du Nord-Ouest, de l’Artibonite et de l’Ouest de voies de chemin de fer et relier Port-au-Prince au Cap Haïtien. En 1910, elle échut à un Américain du nom de James P. Mac Donald.» [25]
Si on en croit Antoine Pierre Paul, cité par Franck Blaise, c’est le Président Antoine Simon qui est à l’origine de ce transfert.
«L’exécution du contrat de 1906, imposant des charges trop lourdes pour l’Etat, était dans l’opinion du gouvernement une cause de ruine pour la nation.
Le Général Antoine Simon proposa de modifier ce contrat et d’imposer un autre pour la culture et l’exploitation de la figue banane, de telle sorte que le trafic fut suffisant pour couvrir la garantie d’intérêt des chemins de fer.» [26]
Si le nouveau contrat représentait moins de charges pour l’Etat haïtien, il fut très néfaste pour les petits paysans. Voyons ce qu’en dit Kethly Millet.
Ce triple contrat (chemin de fer, production de bananes, monopole de l’exportation de toute la figue banane produite dans le pays) devait avoir des conséquences socio-économiques importantes pour la paysannerie des régions concernées. Il signifiait, en tout premier lieu, la substitution de la figue banane à la culture soit du café, de la canne ou tout simplement des cultures vivrières sur une superficie de plus de 7.200 km2. Il entraînait également la disparition de la petite paysannerie de la région, son élimination dans le processus de la culture d’exportation et donc de son rôle prédominant dans l’économie du pays, au profit d’un seul et unique producteur et exportateur, la Compagnie Mac Donald.
Enfin, pendant les travaux de délimitation, de défrichement, les récoltes en cours sont perdues pour la paysan, … Aucun n’a reçu d’indemnité ou de compensation.» [27]
On a vu, en parlant de l’hévéa, que, pour Franck Blaise, le contrat Mac Donald est à l’origine du départ d’Antoine Simon du pouvoir (voir HEM, Vol. XIX, No. 23, du 06-12/07/05); Pour Victor Redsons: «Les paysans vont protester cotre cette braderie du sol national à l’étranger et déclencher une insurrection dans le Nord.» [28] Paul Moral est du même avis: «Ce contrat, fort louche, semé de malentendus, va servir à ameuter, en février 1911, les paysans du Nord et à déclencher la ‘deuxième guerre caco’.» [29] Kethly Millet va encore plus loin parlant de l’effet de l’impopularité du contrat Mac Donald sur les successeurs d’Antoine Simon: «Ces expropriations seront à ce point impopulaires que les successeurs du Président Antoine Simon hésiteront à les poursuivre, préférant faire face aux plaintes du président de la Compagnie Nationale de Chemin de fer qu’à la perspective de perdre l’appui du monde paysan.» [30]
Bernard Ethéart
HEM, Vol. XIX, No. 24, du 13-19/07/05