Les bassins versants : la problématique
Le quadrige de
cyclones qui nous est tombé dessus durant le mois d’août, avec son cortège de
dévastations, a remis les bassins versants à la mode. Tout le monde s’accorde à
dire que c’est l’état de dégradation de nos bassins versants qui a rendu ce
niveau de dévastation possible, sans parler d’autres méfaits, comme l’indique
ce passage de ce que j’appelle le document du GTA déjà mentionné.
La situation actuelle se
caractérise par une faible couverture forestière (1-3 % de la surface du pays).
Près de 85 % des bassins versants dans le pays sont fortement ou complètement
déboisés. La disparition de la couverture végétale accentue l’érosion des sols,
leur salinisation, leur perte de fertilité, et l’épuisement des ressources en
eau et de leur qualité. [1]
Et tout le monde
d’être d’accord sur la nécessité de faire quelque chose pour arrêter cette
dégradation, voir renverser la tendance. Mais pour cela il faut en connaître
les causes. D’une manière générale, on s’accorde à en privilégier deux :
le déboisement et la mauvaise gestion du foncier. En fait le problème est assez
complexe, car, alors que, idéalement, il aurait fallu laisser nos mornes en
paix de manière à ce qu’ils gardent, ou même régénèrent, leur couverture forestière,
ils sont, au contraire, le théâtre d’activités économiques destructrices de
cette couverture végétale.
Au cours d’une
émission sur l’aménagement des bassins versants que nous avons faite au début
du mois d’octobre, Alain Thermil disait que les ressources naturelles sont là pour le
bien-être de l’homme ; mais il ne faut pas oublier le principe fondamental
du développement durable, selon lequel, l’exploitation des ressources
naturelles ne doit pas hypothéquer les possibilités pour les générations futures
de pouvoir aussi les exploiter. Dans le cas qui nous occupe, il ne s’agit même
pas du bien-être des générations futures, mais de la survie de contemporains.
C’est la faute
du paysan
Commençons avec
le déboisement, qui est la cause qui semble la plus évidente, et avec cette
activité que tout le monde pointe du doigt : la production de charbon de
bois. C’est tous les jours que nous entendons dire que le paysan est le grand
responsable de la dévastation de nos forêts, car il coupe les arbres pour fabriquer
du charbon. J’ai même connu quelqu’un qui considérait le paysan haïtien comme
une sorte de psychopathe qui, chaque fois qu’il voyait un arbre, ne pouvait
s’empêcher de se jeter dessus pour l’abattre. Pour lui la solution au problème
du déboisement consistait à enlever leurs manchettes aux paysans.
Rassurez-vous,
les paysans haïtiens ne sont pas fous et, loin d’être animés d’une rage
destructrice envers les arbres, il s’en entourent. Tout bon observateur qui
parcourt nos mornes constatera que chaque fois que, sur une surface dénudée, on
voit un bouquet d’arbres, il y a une maison en-dessous. Je m’étais même amusé à
décrire l’habitat du paysan comme composé de plusieurs niveaux de végétation.
Tout en haut, il y a la ramure des grands arbres, souvent des arbres fruitiers,
manguiers, avocatiers ; en dessous il y a les bananiers ; sous les
bananiers il y a du café … et sous les caféiers, il y a un cochon, du moins
avant le passage du PEPPADEP. [2]
Faut-il rappeler
à ces critiques que le paysan ne se sert pas de charbon. Quand il veut faire du
feu, il va chercher du bois mort. S’il en produit, c’est parce qu’il y a un marché et que la vente du charbon peut
lui garantir un revenu dont il a grandement besoin. Il est même possible que le
charbon présente certains avantages, ne serait-ce que parce qu’il supporte le
transport mieux que les légumes ou les fruits. Donc si nous partons du
principe : si pa te gen reselè, pa ta gen volè, nous, les utilisateurs de charbon,
sommes au moins aussi coupables que les charbonniers.
Si nous voulons
rester dans le domaine de l’utilisation du bois comme source d’énergie, on doit
signaler l’utilisation du bois de chauffe par les guildives, boulangeries et
autres dry cleaning, qui déparent nos rues avec des tas de bois, comme celui
qui me nargue chaque jour sur le Pont Pradel, au point que j’ai fini par le
photographier.
Passons
maintenant aux bois précieux. J’ai toujours voulu chercher les statistiques sur
les taxes prélevées sur les exportations d’acajou et autres bois car elles ont représenté
un pourcentage important des recettes de l’Etat. C’était peut être bon pour
l’Etat, et eux qui l’ont utilisé comme vache à lait, mais certainement pas pour
notre couverture forestière. Je me souviens avoir fait, il y a longtemps, une
visite dans la zone de Glore, un village situé au bord du lac Azueï, sur la
rive qui est au pied de la montagne ; et je racontais à mon père que
j’étais tombé sur une bande de sable où je m’étais enlisé, comme dans les
récits des gens qui parcourent le désert du Sahara. Et lui de me dire,
qu’autant qu’il se souvienne un certain Meinberg y avait une concession
d’exploitation de bois.
Il ne faut pas
oublier le bois de construction. Je me suis laissé dire qu’un bourgeois du Cap
Haïtien, Nazon, pour ne pas le citer, avait fait fortune dans l’exploitation de
pins dans les montagnes du Nord-Est, zone Carice – Mont Organisé. Il y avait
aussi ce baron duvaliériste, dont j’oublie le nom, qui faisait couper des pins
sur la route entre Cerca Carvajal et Carice. Et cela continue à la
Forêt-des-Pins !
Il faut
mentionner enfin l’exportation de bois de campêche, dont on extrait une
teinture utilisée dans l’industrie textile. J’ai rencontré à Mulhouse, en
Alsace, quelqu’un qui travaillait dans une filature et qui me disait que son usine
utilisait de la teinture de campêche venant d’Haïti. Revenu en Haïti et
visitant le Nord-Ouest, j’ai pu voir, sur la plage du Môle St Nicolas, des tas
de bois de campêche qui attendaient le bateau, et j’ai fait le lien avec ce
paysage quasi désertique que je venais de traverser. De retour à
Port-au-Prince, j’ai crié mon indignation dans une interview à la radio, en
citant le nom du coupable, Jacques Dufort, mon condisciple de jardin d’enfant.
Il m’a fait savoir qu’il ne comprenait pas mon problème ; il faisait un
commerce honnête ; de toute façon, il n’avait jamais été dans le
Nord-Ouest.
Le problème,
comme disait Alain Thermil, au cours de la même émission, c’est qu’on utilise le
bois comme une ressource fossile, à l’instar de la houille, du pétrole, du gaz
naturel ; on l’extrait et puis c’est fini ; alors que c’est une
ressource naturelle renouvelable, et qu’il faut voir à renouveler.
Cela fait penser
à l’économie de traite qui caractérise le système colonial. Car la traite ne
concernait pas que les esclaves ; elle embrassait tout ce qu’on pouvait
extraire et emporter vers la métropole : métaux précieux, bois précieux,
sans se soucier de ce qui allait se passer ensuite – comportement exactement à
l’opposé du principe du développement durable.
Autrement dit,
quand René Préval, à l’occasion de sa participation au sommet de la
francophonie, à Montréal, où il était key note speaker sur les questions
d’environnement, fait remonter la dégradation de l’environnement à l’arrivée du
blanc, il n’a pas tort ; et il m’a rappelé Jean Dominique qui me disait un
jour : la colonie de St Domingue n’aurait pas pu produire autant de
richesse si les colons ne l’avaient exploitée de manière abusive, compromettant
ainsi les chances de ceux qui leur ont succédé. Mais on a vu que le blanc n’est
pas le seul coupable, le paysan non plus, du reste.
Bernard
Ethéart
Haïti en Marche,
Vol. XXII, No. 40, du 29 octobre au 4 novembre 2008