Porto Alegre 2

Dans le premier article de la série que je voudrais consacrer à la CONFERENCE INTERNATIONALE SUR LA REFORME AGRAIRE ET LE DEVELOPPEMENT RURAL (CIRADR) qui s’est tenue à Porto Alegre (Brésil) du 7 au 10 mars 2006 (voir Haïti en Marche, Vol. XXIII, # 36, du 30 septembre au 6 octobre 2009), j’ai pu donner l’impression qu’on a parlé de beaucoup de choses : l’environnement, la sécurité alimentaire, les femmes, les peuples indigènes, les nomades, etc, mais pas trop de réforme agraire.

Mais ce ne serait qu’une fausse impression. Au centre des travaux de la conférence, il y avait deux commissions qui reprenaient chacune un des deux grands thèmes annoncés dans le titre de la conférence : la réforme agraire et le développement rural.

La délégation officielle haïtienne ne comptant que deux personnes, nous sommes répartis la tâche en participant chacun aux  travaux d’une des deux commissions. Tout naturellement je suis allé à la Commission 1, qui traitait de réforme agraire et d’accès à la terre, tandis que Budry Bayard participait à la Commission 2 qui avait pour thème de travail : développement rural et éradication de la pauvreté.

Les travaux de la Commission 1 ont été ouverts par la présentation du Document Thématique 1 : « Politiques et pratiques pour garantir et améliorer l’accès à la terre », et alimentés par l’exposé d’études de cas sur un certain nombre de pays : le Niger, l’Ethiopie, l’Ouganda, Madagascar, la Syrie, l’Iran, le Népal, l’Inde, l’Indonésie.

D’entrée de jeu, le Document Thématique 1 offre une définition de l’accès à la terre comme "le processus par lequel les populations, de manière individuelle ou collective, disposent de droits et de la possibilité d’occuper et d’utiliser les terres (avant tout dans un objectif productif mais aussi économique et social), sur une base temporaire ou permanente".

Mais le document signale aussi que cet accès à la terre n’est pas « évident », pour prendre une formule très à la mode." Même s’il existe des différences significatives entre et dans les pays, les pressions sur la terre ne feront qu’augmenter ces prochaines décennies vu l’impact de la croissance continue des populations, l’urbanisation, la globalisation des marchés et le changement climatique".

Je n’ai pas pu m’empêcher de signaler comment ce problème est crucial en Haïti en reprenant ce passage tiré d’un document du Groupe de Travail sur l’Agriculture (DOCUMENT D’ORIENTATION DE POLITIQUE AGRICOLE D’ETAT - MARNDR 2007). "Le pays est essentiellement montagneux avec plus de la moitié des terres possédant des pentes supérieures à 40 %. Les plaines occupent seulement 20 % de la superficie totale du pays avec 550.000 ha. Sur une superficie de 2.775.000 ha, 1.500.000 ha de terre sont cultivés alors que seulement 770.000 ha sont cultivables. La pression démographique et l’augmentation continue de la demande alimentaire poussent les agriculteurs à cultiver des terres marginales inaptes à toutes activités de production agricole. Il en résulte une dégradation de plus en plus accélérée des ressources naturelles".

Le résultat des travaux de cette commission se traduit dans l’accent mis sur un certain nombre de propositions que je me permets de regrouper dans le but de suivre une certaine logique.

En première place, je mets la proposition concernant le choix de politique agraire qu’il nous est encore si difficile à faire :
·    il y a un grand défi à relever : trouver un équilibre entre la promotion de l’agro-business, les investissements externes et les intérêts des petits paysans.


En seconde position je place deux résolutions relatives aux objectifs poursuivis :
·    la réforme agraire est un instrument de lutte contre la pauvreté ; elle doit promouvoir la justice sociale et augmenter la productivité ;
·    la réforme agraire doit contribuer à la protection de l’environnement.

Dans un document intitulé « Cadre Global » auquel j’avais travaillé au début de mon engagement à l’INARA, je m’étais appliqué à citer les différents objectifs que cette nouvelle institution aurait à tenter d’atteindre, et on y retrouvait des objectifs touchant à la justice sociale, à l’augmentation de la productivité, à l’augmentation des revenus des agriculteurs et à la protection de l’environnement.

Puis viennent des propositions relatives aux moyens à mettre en œuvre ou aux conditions de réussite :
1.    moyens techniques :
·    le cadastre, l’établissement et l’enregistrement des titres sont des instruments importants pour la sécurité des droits.

Sur ce point je ne peux m’empêcher de citer cette déclaration d’un représentant du Niger qui va dans le sens de ce que l’INARA essaie de faire adopter : « Dans les cas de projets de développement, les statuts fonciers doivent être clarifiés au départ pour éviter que ces projets deviennent sources de conflit ».

2.    conditions institutionnelles :
·    il faut créer des institutions efficaces chargées de mener la politique agraire et les politiques de lutte contre la pauvreté et instaurer une bonne gouvernance ;
·    il faut une décentralisation effective qui concilie le contexte local et les systèmes de régulation au niveau de l’Etat ;

3.    conditions économiques :
·    les marchés internes et externes sont importants pour encourager la compétitivité ;

4.    conditions sociales :
·    la terre peut être source de conflits et il faut agir avec prudence avec la participation de tous les intéressés.

Déjà le décret du 29 avril 1995, portant création de l’INARA, stipulait que l’INARA devait faire de la participation des intéressés une des conditions de sa réussite, et nous nous sommes toujours efforcés de répondre à cette injonction.

Enfin, il aurait été étonnant que « l’aspect genre » ne soit pas mentionné :
·    il est indispensable de créer des opportunités égales pour hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à la terre et la « titularisation ».

En conclusion, ma participation aux travaux de cette commission m’a donné l’impression que, à l’INARA, nous étions sur la bonne voie et m’a encouragé à poursuivre nos efforts, même si nous ne voyons pas encore le bout du tunnel.


Bernard Ethéart
Haïti en Marche, Vol. XXIII, # 38, du 14 au 20 octobre 2009