Le jatropha, plante miracle ou malédiction ?

 

Les mardi 23 et mercredi 24 juin, s’est tenue la « 1ère Conférence des parties prenantes et acteurs de la filière gwo medsiyen en Haïti ». Au départ, elle devait se tenir à l’Hotel Plaza, à Port-au-Prince, mais tenant compte de la transformation du Champ de Mars en champ de bataille par les « étudiants », les organisateurs ont opté pour le Ritz-Kinam II, à Pétionville.

 

Les organisateurs

 

Trois institutions ont organisé l’événement.

 

1.       la Fondation CHIBAS-Haïti, un organisme à but non lucratif, basé en Haïti, qui gère un centre de recherche régional sur les bio-carburants, devant contribuer à acquérir et à développer les technologies nécessaires au développement du secteur des bio-carburants en Haïti.

 

2.       la Fondation Jatropha, une organisme à but non lucratif, lancé en 2007, qui œuvre pour le développement d’un secteur bio-énergétique global et durable à partir du gwo medsiyen.

 

3.       la Jatropha Pepinyè, une entreprise haïtienne à but non lucratif, qui développe et vend des plantules de gwo medsiyen pour la production de bio-diesel. La pépinière est située à Terrier Rouge, sur la route reliant le Cap Haïtien à Ouanaminthe.

 

Le gwo medsiyen

 

Voilà donc tout un mouvement en faveur de la vulgarisation de ce gwo medsiyen, et il y a lieu de se demander : que diantre y a-t-il de si intéressant dans cette plante ?

 

De son nom scientifique jatropha curcas, le gwo medsiyen est une plante résistante à la sécheresse et capable de pousser sur les sols marginaux, impropres aux cultures annuelles traditionnelles de la chaîne alimentaire. C’est une plante pérenne, qui perd ses feuilles pendant la saison sèche, améliorant ainsi la fertilité des sols sur le long terme. Il a peu d’exigences à l’égard de son environnement, ce qui lui permet de se développer sur terres qui ont été abandonnées par l’homme en raison de l’épuisement des sols.

 

Le gwo medsiyen est connu depuis toujours en Haïti ; entre autres utilisations, le paysan le plante souvent en bordure de ses jardins. En effet, le gwo medsiyen étant toxique, les cabrits ne le mangent pas ; une clôture en gwo medsiyen peut donc protéger les cultures contre ces prédateurs.

 

Les produits du gwo medsiyen

 

Le gwo medsiyen est une plante oléagineuse et l’huile que l’on en extrait peut être un substitut indirect du diesel et un substitut direct du mazout. Elle peut, en effet, être utilisée dans les moteurs à mazout et les moteurs de type Lister tournant en-dessous de 1.200 tours/minute.

 

A partir du procédé chimique de l’estérification, l’huile de gwo medsiyen, comme toutes les huiles, du reste, peut être transformée en bio-diesel, qui est un substitut direct du pétro-diesel, celui que nous achetons à la pompe. Il peut être utilisé dans les moteurs diesel, soit mélangé au pétro-diesel à n’importe quel pourcentage, exprimé par un symbole, ainsi B2 signifie 2 % de bio-diesel, soit pur, à ce moment le symbole est B100.

 

C’est donc dans l’idée de voir dans quelle mesure Haïti pourrait tirer avantage de cette plante que la première journée de la conférence a été placée sous le thème : Les opportunités et les risques économiques, environnementaux et sociaux liés à la production du gwo medsiyen.

 

Dans un premier temps, Gaël Pressoir, de la Fondation CHIBAS-Haïti, animateur principal de la conférence, a voulu parler des opportunités. Et cela paraît impressionnant.

 

En tout premier lieu, on mentionnera la possibilité de produire localement un carburant, ce qui aurait un effet très positif sur notre balance commerciale. On a parlé de l’huile de gwo medsiyen qui peut servir à faire marcher les petits moteurs de type Lister, mais aussi les gros moteurs à mazout. Or nous savons que, en Haïti, une grande partie de l’électricité est produite à partir de gros moteurs à révolution lente utilisant du mazout. Et puis, évidemment, il y a le bio-diesel, que l’on obtient par estérification de l’huile, et qui peut remplacer le pétro-diesel que nous importons. Juste pour avoir une idée, Madame Marie Nicole Dieudonné, qui était venue parler du Plan National de Développement du Secteur Energie (PNSE) du Bureau des Mines et de l’Energie (BME) nous dit que nous dépensons annuellement $ 510 millions pour l’achat de diesel.

 

En second, on abordera l’aspect environnemental. Le gwo medsiyen est une plante annuelle, qui peut pousser sur les terres marginales impropres à l’agriculture. Quand on pense à toutes nos pentes dégradées qui, à chaque pluie, envoient des sédiments dans les rivières et les villes situées en aval, on se dit qu’on pourrait bien les couvrir de gwo medsiyen, d’autant plus que son bois est impropre à la production de charbon, de sorte qu’il ne risque pas de connaître le sort de nos forêts.

 

Ceci dit, le gwo medsiyen ne donne pas que son huile. Jean-Robert Estimé, qui était venu parler d’une expérience de développement du jatropha à Madagascar, rappelle que 70 % de la masse traitée pour la production de l’huile est le tourteau, ce résidu solide obtenu après le traitement des graines. Le tourteau est riche en protéines, et on propose de l’utiliser comme engrais dans l’agriculture.

 

On peut même aller plus loin, mais là il va falloir trouver la variété de jatropha adéquate. En effet, on a déjà signalé que notre gwo medsiyen était toxique ; mais il existe au Mexique une variété non toxique et Gaël Pressoir nous dit que la Fondation CHIBAS-Haïti en a déjà fait venir dans le pays. Le tourteau de cette variété non toxique peut alors être utilisé pour l’alimentation du bétail.

 

Michel Chancy, Secrétaire d’Etat à la Production Animale, mais surtout connu pour les activités de VETERIMED (Lèt a gogo) est venu parler des opportunités offertes par le jatropha pour l’élevage. Actuellement on utilise le tourteau de soja comme source de protéines pour les poulets, les cochons, les poissons, mais la culture du soja demande des terres irriguées, ce qui la rend prohibitive pour Haïti. Le tourteau de gwo medsiyen pourrait donc avantageusement remplacer le tourteau de soja.

 

Signalons pour finir quelques autres avantages : la possibilité de fabriquer des briquettes de charbon à partir des écorces des graines, la possibilité de développer une production de miel grâce aux fleurs de jatropha, etc, ce qui aurait tendance à présenter le gwo medsiyen comme une sorte de plante miracle ; mais Gaël avait bien dit qu’il fallait considérer les opportunités et les risques. Nous avons vu les opportunités, la prochaine fois nous parlerons des risques.

 

 

Bernard Ethéart

Haïti en Marche, Vol. XXIII, No. 23, du 1er au 7 juillet 2009