Le « Plan Lanmò »

 

Si Mahomet ne va pas à la montagne,

La montagne viendra à Mahomet.

 

Les organisateurs de la « 1ère Conférence des parties prenantes et acteurs de la filière gwo medsiyen en Haïti » (voir Le jatropha, plante miracle ou malédiction ? in Haïti en Marche, Vol. XXIII, No. 23, du 1er au 7 juillet 2009) avaient fui le Champs de Mars à cause des manifestations des « étudiants », eh bien ! les manifestations les ont suivis.

 

En effet, durant la journée du mardi 23, une petite foule, à l’appel du comité de coordination du collectif « 4 G Kontre » a organisé un « sit in » au coin de la rue qui mène aux hôtels El Rancho et Villa Créole, donc juste devant le Ritz-Kinam II, où se tenait la conférence.

 

A ce que j’ai compris, le collectif « 4 G Kontre » réunit de grandes organisations paysannes : Tèt Kole Ti Peyizan Ayisyen, MPP (Mouvman Peyizan Papaye), MPNKP (Mouvman Peyizan Nasyonal Kongrè Papaye), CROSE (Coordination Régionale des Organisations du Sud-Est), RENHASSA (Réseau National Haïtien pour la Sécurité et la Souveraineté Alimentaire), toutes unies dans leur opposition à la culture du jatropha en Haïti.

 

Je connaissais déjà la position du MPP sur ce point. Lors du lancement d’une opération de régula-risation sur la ferme de Marthe Péralte, dans la commune de Thomassique, des représentants du MPP étaient venus avec des pancartes protestant contre le « Plan lanmò du gouvernement Préval-Alexis ». Quelques jours plus tard, à l’occasion d’un congrès célébrant le 35ème anniversaire du MPP, Chavannes Jean-Baptiste, porte parole du MPP, avait déclaré : « Si le gouvernement du président Préval et du 1er ministre Alexis ne pend pas des dispositions pour faire baisser les prix des biens essentiels à la consommation, il devra s’attendre à une levée de boucliers réclamant son départ ». On était en mars 2007, moins d’un mois avant les émeutes de la faim !

 

A l’occasion de cette conférence, le collectif « 4 G Kontre » a sorti, avec la signature de Chavannes Jean-Baptiste, membre du comité de relations publiques du collectif, une petite brochure : « Agwokabiran, Pwojè Lanmò, pwojè anti peyizan ak anviwònman », qui a été distribuée aux participants. Mais le collectif était aussi présent à la conférence, en la personne de Doudou Pierre Festile, qui est, autant que je sache, coordonnateur du RENHASSA, et qui a eu l’occasion de présenter la position du collectif.

 

Il y a au moins un point sur lequel tout le monde est d’accord : la question mérite d’être débattue. Pour Gaël Pressoir, la conférence doit être le point de départ d’un grand débat autour de la filière bio-diesel ; quant à Chavannes Jean-Baptiste, il dit dans sa brochure : « … fòk enfòmasyon sikile, fòk deba fèt nan tout kouch nan sosyete a … ». La semaine dernière, nous avions parlé, pour reprendre le terme de Gaël, des opportunités, et nous nous proposions, pour cette semaine, de parler des risques ; voyons ce que « 4 G Kontre » a à dire là-dessus.

 

Quand ces messieurs parlent de « plan lanmò », ils parlent de la disparition des cultures vivrières, donc de la mort du petit paysan, des pénuries alimentaires qui s’en suivront, mais derrière le mot « plan » il y a également l’idée d’une conjuration internationale menée par « l’impérialisme » au seul profit des grandes puissances.

 

Je voudrais commencer par considérer l’aspect des pénuries alimentaires car les évènements de l’année dernière sembleraient leur donner raison.

 

 

 

On se souvient en effet que, suite aux émeutes de la faim, qui n’ont pas seulement touché Haïti, la FAO avait organisé, du 3 au 5 juin 2008, un sommet ayant pour thème : « Les défis du changement climatique et des bio-énergies ». Pourquoi ce rapprochement ? Dans les jours précédant ce sommet, M. Abdou Diouf, Directeur Général de la FAO, affirmait, dans une interview télévisée, que le problème d’alimentation auquel le monde était confronté avait trois causes :

•          les changements climatiques,

•          les prix du pétrole, qui ont fait monter les prix des denrées alimentaires,

•          les biocarburants.

 

A l’époque, les déclarations contre les biocarburants se multipliaient. A ma connaissance, le premier à avoir tiré la sonnette d’alarme est Fidel Castro. Pour lui la production de bio-carburants à partir d’aliments est un scandale et pourra mener à toutes sortes de problèmes à travers le monde. Un rapport de l’UNESCO sur l’évolution de l’agriculture mondiale cite Dominique Straus Kahn : « les biocarburants issus de produits agricoles alimentaires posent un problème moral ». Jean Ziegler, rapporteur spécial des Nations Unies, chargé du droit à l’alimentation, allait encore plus loin : « la fabrication de bio-carburants à partir d’aliments est un crime contre l’humanité ». Et récemment, à la télévision, le même Jean Ziegler affirmait que : « la quantité de maïs nécessaire à produire le volume de bio-éthanol pour le plein d’une 4x4 peut nourrir une personne pendant toute une année ».

 

Et on apprenait que, depuis le 4 avril, l’Allemagne avait réduit la proportion de bio-carburant mélangé à l’essence : des écologistes dénoncent la culture du colza, du soja, etc, parce qu’elle concurrence la production alimentaire ; en France, les « Verts » font des démarches auprès de l’Union Européenne pour qu’elle abandonne l’objectif de 10 % d’agro-carburants dans les carburants pour les véhicules : les agro-carburants accélèrent la hausse des prix des matières premières, leur culture dégrade l’environnement et leur bilan énergétique est mauvais.

 

Tout cela est bien beau, mais il faut faire attention. Les critiques adressées aux bio-carburants visent les bio-carburants extraits de produits qui servent à l’alimentation : colza, soja, maïs, alors que le jatropha n’est pas comestible, il est même toxique, par exemple le gwo medsiyen que nous avons en Haïti. Sa toxicité serait du reste un avantage, selon Jean-Robert Estimé, car elle rend l’huile de jatropha moins cher que l’huile de colza ou de soja. On a signalé qu’au Brésil, ils avaient commencé, il y a dix ans à produire du bio-diesel avec le ricin ; mais depuis cinq ans ils ont opté pour le jatropha, parce que l’huile extraite du ricin peut servir à d’autres utilisations qui lui donnent plus de valeur ajoutée.

 

En Haïti, nous avons eu une grande peur ; un grand ami, qui nous veut du bien, parlait de remettre de la canne-à-sucre dans toutes les terres qui en produisaient autrefois, avant la fermeture des grandes centrales sucrières, mais cette fois-ci pour produire de l’éthanol pour les moteurs à essence. On a même parlé à l’époque d’une deuxième révolution de la canne. Entre temps, il aurait révisé ses plans et parle de planter du jatropha. Une affaire à suivre. En tout cas, tant qu’à produire de l’éthanol pour les moteurs à essence, mieux vaut extraire le sucre du sorgho sucré, une variété de petit mil dont la tige contient du sucre comme la canne-à-sucre, de sorte qu’il fournit le sucre, mais aussi la céréale que nous connaissons.

 

Il semble en tout cas que le gouvernement haïtien ait opté pour la production de bio-diesel. C’est ce qu’a laissé entendre l’agronome Arlan Lecorps qui, avec les agronomes Calixte et StPreux, fait partie de la Commission Interministérielle sur les Biocarburants. Cette commission a produit un Cadre Stratégique pour une Politique Nationale de Biocarburants en Haïti, un document dont il faudra nécessairement prendre connaissance.

 

 

Bernard Ethéart

Haïti en Marche, Vol. XXIII, No. 24, du 08 au 14 juillet 2009