Les forêts énergétiques

 

La semaine dernière, je terminais mon article (La souveraineté alimentaire, Haïti en Marche, Vol. XXII, No. 47, du 17 au 23 décembre 2008) en annonçant mon intention d’aborder le thème des forêts énergétiques que je présentais comme un de mes dadas. Ce n’est pas la première fois que j’y faisais allusion ; déjà, il y a environ un mois (Il est interdit d’interdire, Haïti en Marche, Vol. XXII, No. 42, du 12 au 18 novembre 2008), je demandais si nous ne pourrions pas trouver le moyen de continuer à utiliser nos combustibles traditionnels sans provoquer les dégâts que l’on sait.

 

De quoi s’agit-il ? Nos combustibles traditionnels, ce sont évidemment le charbon de bois et le bois de chauffe. Rappelons que le bois représente plus de 70 % de notre consommation d’énergie, avec toutes les conséquences néfastes que l’on connaît : déboisement, érosion, perte de fertilité des sols, tarissement des sources, baisse du niveau de la nappe phréatique, etc. On peut donc se demander comment on peut raisonnablement proposer de continuer à utiliser des combustibles responsables de tant de dommages. Et pourtant, il y a à cela bon nombre de raisons.

 

La première est d’ordre environnemental, et on pourrait ajouter global. On sait que toute combustion produit du gaz carbonique (CO2), un des plus important gaz à effet de serre (GES) responsables du réchauffement climatique. Mais il y a une énorme différence entre la combustion du bois et celle des combustibles fossiles : la houille, le pétrole, le gaz naturel. La combustion du bois libère, sous forme de CO2, un carbone qui était déjà en circulation et avait été stocké dans le bois par le mécanisme de la photosynthèse ; l’utilisation des combustibles fossiles, par contre, lâche dans l’atmosphère un carbone qui était enfoui dans le sol depuis des millénaires ; elle augmente donc la quantité de carbone en circulation, donc de gaz carbonique.

 

On objectera que la quantité de CO2 que nous sommes capables de produire ne fait pas le poids devant celle de pays comme la France, pour ne pas parler des Etats Unis ; c’est possible, mais n’oublions pas que se pipi krapo, ki fè larivyè desann. Mais il y a des considérations plus égoïstes, si je peux m’exprimer ainsi. Et nous revenons à nos bassins versants, toile de fond de cette série.

 

On a suffisamment dit que c’est la perte de la couverture végétale qui est à l’origine de la dégradation des bassins versants, avec toutes les conséquences que l’on sait. Il s’agit donc de reconstituer cette couverture végétale en reboisant les zones qui auront été identifiées comme impropres à l’agriculture. Oui, dira-t-on, mais depuis le temps que l’on fait du reboisement, rien n’a changé. D’accord, mais je me permets d’avancer que c’est la méthode utilisée jusqu’à présent qui était mauvaise.

 

Il ne suffit pas d’aller, dans un grand mouvement de patriotisme, mettre des plantules en terre puis de rentrer chez soi avec le sentiment d’avoir fait une bonne action. Ces plantules, si elles doivent devenir des arbres, ont besoin d’être suivies, entretenues, protégées, et le seul qui puisse le faire est celui qui vit dans la zone où ces plantules ont été mises en terre. Il s’agit donc de l’intéresser à assurer ce suivi. Et c’est là qu’intervient l’idée des forêts énergétiques.

 

Le principe est relativement simple. Il est fondé sur un contrat passé entre l’Etat, qui est probablement propriétaire de la terre, car la plupart des terres de montagne sont dans le domaine privé de l’Etat, et la population vivant sur le bassin, de préférence regroupée en association. L’Etat accorde à cette association la jouissance de la terre, y compris des revenus qu’elle pourra en tirer, mais s’engage à donner à cette association l’encadrement technique nécessaire à une exploitation rationnelle de cette terre. L’association s’engage à exploiter la terre plantée en forêt en suivant scrupuleusement les directives qui lui sont données, produit et vend le charbon produit, les bénéfices de cette opération étant répartis entre les membres de l’association.

 

Sur le plan technique, il n’y a rien de bien sorcier ; l’exploitation  forestière est vieille comme le monde et il n’y a aucune raison pour que nous ne puissions nous y mettre. C’est sur le plan social que je vois quelques problèmes. D’abord le respect des clauses du contrat par la population : mise sur pied et fonctionnement de l’association, respect des directives techniques reçues. Mais compte tenu du fait qu’au bout d’un certain temps elle y trouvera son intérêt, je ne doute pas qu’à la longue on arrive à atteindre l’objectif. Plus problématique est le respect par les instances étatiques de leur partie du contrat. Il faudra une véritable volonté politique et un suivi sans faille de la politique adoptée, et cela, ce n’est pas gagné d’avance.

 

Pourtant, les avantages de cette formule sont nombreux. A part notre contribution à la réduction de la quantité de carbone supplémentaire libéré dans l’atmosphère, il y a surtout la possibilité de reconstituer la couverture végétale de nos bassins versants, avec toutes les conséquences positives sur l’environnement. Mais il y a autre chose. En systématisant et en rationalisant l’exploitation des forêts, on assure des emplois plus stables pour la population rurale, en attendant que le développement des autres secteurs économiques absorbe le surplus de population active encore sous-employée.

 

Et ce n’est pas tout. Nous avons parlé de la rationalisation de l’exploitation des forêts ; nous devons aborder la rationalisation et la modernisation de la production du charbon. En effet, actuellement le charbon est produit selon une méthode artisanale. Il résulte de la carbonisation, c’est à dire de la combustion partielle du bois dans un milieu où la quantité d’oxygène est contrôlée afin que les ingrédients volatiles du bois s’échappent, laissant un résidu formé de carbone presque pur.

 

Or il existe une technologie qui permet de récupérer ces produits volatiles ; elle permet d’obtenir des gaz combustibles utilisables industriellement et des liquides dont on peut extraire l’acétone, l’alcool méthylique, l’acide acétique. Il y a là une possibilité de développer une industrie chimique, qui sera, à son tour, créatrice d’emplois.

 

Pour terminer, on pourrait aborder une autre opportunité offerte par l’implantation de forêts énergétiques, il s’agit de la compensation carbone à travers les Mécanismes de Développement Propre (MDP), mais c’est là une longue histoire que je réserve pour une prochaine occasion.

 

 

Bernard Ethéart

Haïti en Marche, Vol. XXII, No. 48, du 24 au 30 décembre 2008