Les écosystèmes

 

La semaine dernière [1], reprenant un passage du texte de AfricADT : « L’aménagement du territoire aujourd’hui intègre le développement durable qui vise trois objectifs essentiels : assurer la répartition équilibrée des populations et des activités, garantir la cohérence des activités publiques et privées, satisfaire aux exigences d’un développement culturellement adapté, socialement acceptable et écologiquement supportable », je terminais en disant que je me proposais de voir comment satisfaire aux exigences d’un développement durable, sous entendu, bien sur, à l’échelle du bassin versant.

 

Pour réaliser cette démarche, j’ai pensé qu’il fallait commencer par se faire une idée de ce qu’est un écosystème. Je suis parti de la définition qu’en donne le Ministère de l’Environnement dans le décret sur la gestion de l’environnement. « Ecosystème : un complexe dynamique formé de communautés de plantes, d’animaux et de micro-organismes et de leur environnement non vivant qui, par leur interaction, forment une unité fonctionnelle ».[2]

 

Si j’interprète correctement le document du Groupe de Travail sur l’Agriculture, que j’ai déjà eu l’occasion de mentionner [3], notre pays se caractériserait par une grande variété d’écosystèmes. « Du fait de son climat et de son relief, Haïti jouit d’une écologie variée et de ressources naturelles diversifiées. » Satisfaire aux exigences d’un développement écologiquement supportable signifierait donc définir une politique d’exploitation des ressources naturelles qui ne détruise pas les écosystèmes. Toujours selon le document du GTA, cela semblerait possible : « La diversité des milieux écologiques existants en Haïti autorise la mise en place d’une large gamme de systèmes de cultures ».

 

Autrement dit, il suffirait de bien connaître les écosystèmes et de déterminer, au cas par cas, quel type d’exploitation ne risque pas de détruire l’équilibre naturel. Le Groupe de Travail sur l’Agriculture s’est attaché à citer quelques exemples quand il parle de l’intensification des espaces en écosystème banane/igname/café dans les montagnes humides, de système sylvopastoral (ou agrosylvopastoral) appliqué dans les montagnes semi-humides et d’arboriculture fruitière en montagne sèche et semi-humide.

 

Mais avant d’entrer dans le détail de ces différents modes d’exploitation, je voudrais revenir au concept plus général d’aménagement du territoire et exposer ma façon de le comprendre, quitte à faire pousser de hauts cris aux spécialistes.

 

Pour moi, l’aménagement du territoire a commencé le jour où quelqu’un s’est mis à préparer un lopin de terre pour y cultiver quelque chose. Le premier cultivateur, qu’il fût de Néanderthal ou de Cro Magnon, faisait, comme Monsieur Jourdain, de l’aménagement sans le savoir. Mais j’imagine que, avant de se lancer dans sa culture, il a dû évaluer si le lopin de terre était approprié à la culture qu’il se proposait d’y faire.

 

On pourrait dire que c’était là, la première démarche, mais il y en a une qui la précède, l’appropriation du lopin en question. Il y a là peut être de la déformation professionnelle, mais, pour moi, l’établissement d’un mode de tenure est aussi une étape dans l’aménagement, et je demanderai aux sceptiques s’ils ne pensent pas que des décisions visant à modifier le mode d’exploitation d’une portion de terre ne buteront pas sur la résistance de ceux qui, à un titre ou à un autre, estiment avoir un droit sur cette terre.

 

Résumons-nous donc ; première étape : appropriation du sol, établissement d’un mode de tenure ; deuxième étape : mise en culture, en tenant compte du type de culture approprié à la nature du sol. Nous arrivons à une troisième étape qui serait l’aménagement proprement dit. L’exploitant peut en effet se rendre compte que le rendement de sa terre pourrait augmenter s’il se libérait de sa dépendance vis-à-vis des caprices de la nature, s’il assurait un arrosage régulier de ses cultures plutôt que d’attendre la pluie. Il va donc se lancer dans ce que les spécialistes appellent les aménagements hydro-agricoles, l’irrigation.

 

Si nous ramenons cela à notre préoccupation pour les bassins versants, nous allons commencer au niveau de la seconde étape : quel type de culture, ou d’exploitation, est approprié ? Cela passe par une analyse de chaque écosystème, qui permettra de déterminer le mode d’exploitation qui n’en détruira pas l’équilibre et de délimiter les zones qui seront réservés à tel ou tel type d’exploitation. C’est cette opération que l’on appelle le zonage.

 

On devra ensuite probablement passer à de l’aménagement proprement dit, pas des aménagements hydro-agricoles, encore qu’il existe d’intéressantes expériences d’irrigation de montagne, mais des aménagements spécifiques visant à protéger le sol. Je reviens au document du GTA : « La restauration de l’équilibre écologique passe en plus par des travaux mécaniques de protection des ravines et d’aménagement de terrains à cultiver (terrasse, canaux de contour, cordon de pierre, etc.)… »

 

Il y a cependant un hic : la tenure. Compte tenu de la densité de la population, il y a de fortes chances que, sur tous les bassins versants, on trouve des personnes qui y vivent, qui en vivent, et auront des arguments pour justifier leur présence sur le sol et les activités qu’elles y mènent. Toute politique d’aménagement, qu’il s’agisse de bassins versants ou de plaines, devra tenir compte de ce fait. Pour donner un exemple, lors de la construction du barrage de Péligre, toutes les personnes, qui se trouvaient sur des terres qui allaient être inondées, ont dû être dédommagées ; et il m’est arrivé, lorsque je travaillais à Croix Fer, de rencontrer des paysans qui s’estimaient avoir été lésés, vingt ans plus tard !

 

C’est là un problème de la plus haute importance, et qui m’intéresse au plus haut point, déformation professionnelle oblige, nous nous y arrêterons donc un moment.

 

 

Bernard Ethéart

Haïti en Marche, Vol. XXII, No. 44, du 26 novembre au 2 décembre 2008



[1] Voir Haïti en Marche # 43

[2] Décret portant sur la gestion de l’Environnement et de Régulation de la Conduite des Citoyens et Citoyennes pour un Développement Durable, Le Moniteur, 161ème année, No. 11, jeudi 26 janvier 2006

[3] Document d’orientation de politique agricole d’état, Draft Préliminaire, MARNDR 2007