L’organisation des fermes réformées

 

On a déjà signalé (voir Les protagonistes, HEM, Vol. XIX, No. 38, du 19-25/10/05) que les conditions de la culture du riz dans l’Artibonite exigent, même quand les « fermes » sont exploitées par un grand nombre, quelques fois plusieurs centaines, de fermiers ou de métayers, que cette ferme soit gérée comme une entité.

 

Il faut en effet que tous les canaux et tous les drains soient curés régulièrement pour assurer une bonne irrigation des parcelles ; il faut que tous les fermiers respectent un calendrier cultural, de manière à éviter que l’un soit à une phase où il n’a pas besoin d’eau alors que son voisin en a besoin ; il faut, autant que possible, que tous les fermiers, au moins tous ceux qui sont sur un même « bloc d’irrigation », utilisent la même variété de semence, afin qu’ils soient dans les mêmes phases du calendrier cultural ; il faut également que tous les fermiers trouvent de l’engrais quand ils en ont besoin ; il faut enfin une synchronisation dans l’utilisation des différents intrants.

 

C’est pour cette raison que le propriétaire de la « ferme », le « grandon », qui est la plupart du temps un absentéiste, nomme un gérant qui assure cette coordination. Mais nous avons vu également que c’est autour de ce gérant que peuvent se cristalliser les conflits opposant éventuellement le grandon à ses fermiers, ce qui nous avait amené, dans le cas de Trois Bornes, a demander au propriétaire de relever son gérant de ses fonctions (voir La première intervention 2, HEM, Vol. XIX, No. 43, du 23-29/11/05). Et, pour remplir ces fonctions, nous avions encouragé la formation d’un comité de gestion qui serait composé de représentants du grandon et des paysans.

 

En agissant ainsi, nous nous inspirions d’une des recommandations de la commission de notables de la commune de Desdunes qui proposait d’élire un conseil de planteurs avec les fermiers et former une coopérative agricole (voir Les solutions proposées, HEM, Vol. XIX, No. 41, du 09-15/11/05).

 

Au moment de procéder à des attributions de parcelles sur les quatre premières « fermes réformées », nous avons du évidemment penser à leur organisation et nous sommes revenus avec les comités de gestion. Nous voulions, cependant, qu’ils soient formés sur une base démocratique. Nous avons donc décidé que ces comités seraient composés de personnes élues au niveau des « bloc d’irrigation ». Un bloc d’irrigation est constitué des parcelles irriguées par un même canal secondaire. Il peut être plus ou moins important, dépendant de la longueur de ce réseau secondaire ; une ferme peut compter un nombre plus ou moins important de blocs, dépendant de la taille de la ferme.

 

Le jour des élections donc les planteurs de chaque bloc furent invités à élire un représentant devant faire partie du comités qui serait en charge de la gestion de la ferme.

 

Le rôle de ces comite de gestion était, d’une manière générale, d’organiser la production au niveau de la ferme dont il avait la charge, de façon à ce que tous les fermiers aient à leur disposition tout ce qui est nécessaire à l’exploitation de leur parcelle.

 

Les domaines d’intervention de ces comités étaient relativement nombreux :

-          contrôler si tous ceux qui ont reçu de la terre la travaillent effectivement ;

-          assurer l’entretien et le curage des canaux et des drains ;

-          assurer l’entretien de toutes les autres infrastructures : routes, ponts etc ;

-          prévoir un calendrier pour tous les travaux à effectuer sur la ferme ;

-          veiller à ce que tous les fermiers reçoivent les intrants dont ils ont besoin (semences, engrais, pesticides) au moment voulu ;

-          négocier un crédit pour tous les fermiers ;

-          veiller à ce que les fermiers suivent les directives reçues des techniciens qui les encadrent ;

-          veiller à ce que les fermiers paient régulièrement les redevances d’irrigation.

 

On nous a reproché de n’avoir pas été, en quelque sorte, au bout de la recommandation de la commission de notables de Desdunes et de n’avoir pas créé de coopératives agricoles. Cela fait partie des nombreuses critiques qui ont été adressées aux responsables de l’expérience pilote et nous nous proposons d’y revenir ultérieurement.

 

Bien que nous ne soyons pas encore à faire des bilans, on peut signaler que, environ trois mois après la mise sur pied des comités de gestion, nous avons procédé à une petite évaluation du fonctionnement de ces comités qui a révélé des points positifs, mais aussi des aspects négatifs et des problèmes.

 

Pour les points positifs, on peut signaler que les membres des comités de gestion participent à la mobilisation en faveur du processus de réforme, interviennent dans la résolution des problèmes de délimitation des parcelles, informent sur les irrégularités, interviennent dans le remplacement des bénéficiaires décédés, gèrent les contrats de curage, entreprennent des démarches pour l’approvisionnement en intrants, donnent leur appui dans l’organisation du crédit et l’encadrement technique.

 

Pour les points négatifs on signalera que les membres des comités ne sont pas assez disponibles, sont agressifs face aux employés de l’Etat et ne sont pas libérés de la « mentalité de chef ».

 

Enfin les deux grands problèmes sont l’absence d’un règlement pour les fermes réformées et le manque d’encadrement.

 

Bernard Ethéart

 

HEM, Vol. XIX, No. 49, du 04-10/01/06