Le projet pilote
La première intervention de l’INARA dans l’Artibonite (voir HEM, Vol. XIX, Nos. 42 et 43) était axée sur la résolution des conflits. A partir de février 96, un autre acteur va apparaître sur le terrain, le Président René Préval, fraîchement installé, avec un autre agenda : la production agricole et, en premier lieu, la relance de l’ODVA.
On pense que l’intérêt de René Préval pour l’ODVA doit remonter à l’époque où son père, l’agronome Claude Préval, était Directeur Général de cette institution. Quoi qu’il en soit, le nouveau président n’était pas au pouvoir depuis un mois qu’il se rendait à Pont Sondé pour entendre les critiques et suggestions des techniciens, mais aussi, à l’occasion de grands rassemblements, les revendications des paysans.
Cela aboutira à la formation du Comité de Suivi de l’ODVA, constitué de (1) un représentant de chacune des huit communes du Bas Artibonite, Lestère, Desdunes, Grande Saline, St Marc (plus spécifiquement la 5ème section communale de Bocozelle), Marchand-Dessalines, Petite Rivière de l’Artibonite, Verrettes, la Chapelle, désigné par les organisations paysannes de ces communes, (2) trois représentants de l’association des CASEC de l’Artibonite et (3) trois représentants de l’association des maires de l’Artibonite.
La fonction de ce comité était, après une période d’observation, de proposer des recommandations quant à la structure et le fonctionnement de l’ODVA. Et de fait, quelque cinq mois après sa mise sur pied, ce Comité de Suivi produisait un document dont la proposition la plus importante prévoyait la disparition de l’ODVA en tant qu’organisme autonome et sa réintégration dans la structure du MARNDR en tant que Sous-Direction Départementale dans le Bas-Artibonite (SODABA).
Le document prévoyait aussi la dissolution du Comité de Suivi dans sa forme initiale et son remplacement par un nouveau comité, formé selon le même modèle, et qui aurait la fonction non seulement de faire le suivi des activités de la SODABA, mais aussi de participer à sa gestion. Pour en finir avec ce point, on peut signaler tout de suite que la proposition de transformation de l’ODVA en SODABA ne s’est jamais faite, de sorte que le Comité de Suivi, dont la disparition était liée à celle de l’ODVA, a continué d’exister pratiquement jusqu’au départ du Président Préval.
Ce qu’il faut savoir, c’est que, au début de tout ce processus, l’INARA était pratiquement absent. Certes nous étions toujours engagés dans les activités de médiation, mais, en dehors de cela, nous avions entrepris toute une série de rencontres avec des organisations paysannes dans le département du Nord-Est. En effet, dès les mois de novembre/décembre 1995, nous étudiions, avec l’accord du Ministre de l’Agriculture d’alors, l’agronome David Nicolas, les moyens de lancer une opération pilote dans les terres de l’ancienne Plantation Dauphin.
C’est en juillet 1996, que le Ministre Mathurin, lui-même en tournée dans le Nord et le Nord-Est, m’informa que le Président me demandait de concentrer toutes mes activités sur l’Artibonite. Apparemment ses discussions avec le Comité de Suivi l’avaient convaincu que tous les efforts de réforme de l’ODVA ne porteraient pas de fruit tant s’ils n’étaient pas accompagnés d’une réforme au niveau des modes de tenure.
Il est possible aussi que la présence de Gérald Mathurin comme Ministre de l’Agriculture du cabinet Rosny Smarth ait joué un rôle dans le virage pris par le gouvernement. Mathurin a en effet travaillé dans l’Artibonite, comme jeune agronome, sous le régime de la loi d’exception du 28 juillet 1975 ; il fut ensuite Directeur Général de l’ODVA en 1991, et c’est le coup d’Etat de septembre 1991 qui le chassa de son poste. Il avait donc une bonne connaissance des problèmes de la zone et sa nouvelle position lui offrait probablement une formidable occasion de mettre en œuvre les solutions qu’il avait envisagées.
En tout cas, à partir de ce moment, le campus de l’ODVA est devenu le théâtre d’activités fébriles ; sous le leadership du ministre, réunions et visites de terrain se succédaient, en vue de déterminer les modalités d’atteindre l’objectif qui était l’installation de familles paysannes sur des terres contrôlées par l’INARA, en leur garantissant
- la sécurité de leur installation,
- une parcelle de dimension raisonnable,
- une infrastructure d’irrigation acceptable,
- un approvisionnement en intrants assuré,
- un programme de crédit,
- un encadrement technique.
On aura constaté, à la lecture de cette énumération, que des six points mentionnés, seul le premier, la sécurité des exploitations, relève de la compétence de l’INARA. En effet, l’irrigation, l’approvisionnement en intrants, l’encadrement technique, sont de la compétence de l’institution chargée de l’appui à la production, l’ODVA ; le crédit est du domaine d’une institution spécialisée, le Bureau de Crédit Agricole, BCA. Tous ces points ont été réunis dans ce que nous avons appelé les mesures d’accompagnement qui doivent garantir que l’opération de distribution de parcelles atteigne ses objectifs d’augmentation de la production et d’amélioration des conditions de vie des exploitants. Quand à la dimension de la parcelle, qui est le point sur lequel l’expérience pilote a été le plus critiquée, nous aurons à y consacrer un chapitre à part.
Dans cette expérience pilote, la tâche de l’INARA était donc de créer une situation qui assurerait la sécurité des exploitants qui allaient bénéficier des interventions au niveau de la structure foncière. Pour comprendre les actions entreprises pour assurer cette sécurité on peut se référer à l’étude financée par la FAO et la BID en appui à la définition d’une politique agraire [9]. Selon cette étude, trois éléments sont essentiels à la garantie de la sécurité foncière :
- L’identification des personnes,
- L’identification des biens,
- La définition des droits.
Dans les publications à venir, nous exposerons ce qui aura été entrepris au niveau de chacun de ces trois éléments.
Bernard Ethéart