L’agroforesterie

 

Le quadrige de cyclones et autres tempêtes tropicales qui s’est abattu sur nous à la fin de l’été dernier a mis les bassins versants au centre des préoccupations et, au cours des dix dernières semaines de l’année, avec deux interruptions (voir Haïti en Marche, Vol. XXII, # 38 – 44 et 47 – 49), nous avons consacré une série d’articles à cette problématique, tentant de définir un bassin versant, de voir où sont les problèmes, et de proposer quelques exemples d’interventions.

 

Aujourd’hui, grâce à une émission que j’avais faite, il y a un an, avec Madame Edna Civil Blanc, nous allons pouvoir prendre connaissance d’une formule un peu plus structurée, il s’agit de l’agroforesterie (on pourra trouver une transcription de cette émission sur le site www.etheart.com).

 

Mais qu’est-ce que c’est que l’agroforesterie ? Edna nous en avait offert deux définitions que je reproduis ci-dessous :

 

(1) L’agroforesterie est un système d’aménagement durable qui accroît les rendements globaux, combine les cultures, les plantes forestières et les animaux, séquentiellement ou de manière simultanée, sur la même parcelle, et applique des techniques qui sont compatibles avec les habitudes sociales des populations locales.

 

(2) L’agroforesterie est un système dynamique d’aménagement écologique des ressources naturelles qui, en intégrant les espèces ligneuses aux champs agricoles, fermes et autres paysages, diversifie, augmente la production et engendre des bénéfices sociaux, économiques et  environnementaux pour les propriétaires terriens.

 

Disons tout de suite que ces deux définitions sont assez récentes ; la première date de 1982 ; quant à la seconde, elle a été adoptée lors du premier congres international sur l’agroforesterie qui s’est tenu à Orlando (Floride) en 2004. cela veut dire que l’agroforesterie est une discipline scientifique récente, mais qui étudie des pratiques aussi vieilles que le monde.

 

Ces pratiques, et je cite Edna, avaient disparu dans les pays industrialises car la révolution industrielle avait poussé à favoriser une monoculture mécanisée, sur de vastes espaces. Cependant, depuis quelque temps, la prise de conscience des dangers de la pollution par les intrants chimiques, très utilisés dans cette agriculture dite moderne, avait incité les environnementalistes à remettre en question certaines pratiques.

 

Mais c’est surtout pour des pays tropicaux, menacés, comme Haïti, de voir disparaître leur couverture forestière sous l’effet d’une demande croissante de terres agricoles afin de pouvoir nourrir une population en pleine expansion, que cette discipline, qui promet des innovations et des techniques pouvant aider à pallier aux problèmes causés par les pratiques agricoles, ainsi qu’un apport dans l’amélioration du revenu de l’agriculteur, présente le plus grand intérêt.

 

Edna nous a dit que l’on pouvait identifier trois types de systèmes agroforestiers :

1.      l’agri-sylviculture, qui associe les cultures forestières et les cultures vivrières,

2.      le sylvo-pastorslisme, qui associe les cultures forestières et l’élevage.

3.      l’agro-sylvo-pastoralisme, qui associe cultures forestières, cultures vivrières et élevage.

 

Pour le moment, afin de ne pas trop compliquer les choses, nous nous en tiendrons au premier type, l’agri-sylviculture, l’association des cultures forestières et vivrières.

 

Pour commencer, il s’agit de savoir comment cela fonctionne. Cette association repose sur le principe de l’interaction positive, qui consiste à éviter la compétition dans la valorisation des trois éléments que sont la lumière, l’eau et les éléments nutritifs.

 

Prenons l’exemple d’une association que serait une plantation de maïs dans une zone boisée. Le maïs s’approvisionne en éléments nutritifs dans les couches supérieures du sol, alors que l’arbre puise ses éléments nutritifs plus en profondeur, puis les restitue à la surface par la chute des feuilles. Il en est de même pour l’eau. L’arbre va cherche l’eau en profondeur, mais la rend par la suite disponible pour les cultures vivrières, car quand il perd ses feuilles, celles-ci forment une litière qui retiendra l’eau de pluie.

 

Pour la lumière c’est un peu différent. On doit veiller à choisir des essences forestières dont les cîmes ne sont pas trop larges ni trop touffues, ce qui créerait trop d’ombre pour les plantes situées en-dessous, gênant le processus de la photosynthèse. C’est pour cela que l’on choisit des légumineuses (leucena, acacia etc), qui en plus d’avoir un feuillage très léger, ont la capacité d’absorber l’azote de l’air, de le fixer dans leurs gousses et de le restituer aux autres cultures par la chute de ces gousses, sans parler de la possibilité d’utiliser le feuillage pour l’alimentation du bétail, dans le cas d’un système agro-sylvo-pastoral.

 

Pour ce qui est de l’exploitation de la culture forestière, il faut retenir que, en plus de l’impact de la couverture forestière sur la fertilisation et la protection du sol, les arbres ont de nombreux usages et dans l’agroforesterie, qui est un système rationnel et intensif, on ne laisse rien passer. Les arbres sont décortiqués pour en tirer les produits ligneux : le bois, bois de chauffe ou bois d’œuvre, l’écorce, et des produits non ligneux : feuilles pour le fourrage, fleurs, fruits, graines, même la sève (sucre d’érable), sans parler de toutes les substances que l’on peut extraire : essences, résines, latex etc.

 

Pour finir il faut signaler que, au cours de l’émission, Edna a insisté sur deux points qui me paraissent importants. Tout d’abord, il y a le fait que l’agroforesterie n’interpelle pas seulement ceux qui sont dans l’agriculture et la foresterie, mais aussi les spécialistes en économie rurale, en sociologie en anthropologie … et de fait, si nous revenons à une des deux définitions citées plus haut, nous voyons que « l’agroforesterie est un système d’aménagement durable qui … applique des techniques qui sont compatibles avec les habitudes sociales des populations locales ».

 

Cela signifie l’introduction d’une autre dimension dans la mise en application des techniques agroforestières, la dimension sociale, et nous aurons l’occasion d’en parler plus longuement en traitant du principe de participation.

 

Dans la liste des spécialistes interpellés, Edna avait également mentionné les géographes, et je ne les avait pas cités parce que ce groupe implique l’introduction d’une autre dimension, une dimension technique. Car il faut savoir que les techniques agroforestières utilisées doivent être appropriées aux conditions écologiques de la zone. Cela suppose toute une série d’études préalables dont nous aurons aussi l’occasion de parler.

 

 

Bernard Etheart

Haïti en Marche, Vol. XXII, No. 50,

du 7 au 13 janvier 2009