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Evolution de la structure foncière



Articles publiés dans Haïti en Marche

de février à octobre 2005


Pages retrouvées


Louis-Joseph Janvier

Les Affaires d’Haïti (1883-1884)

Deuxième édition

Les Editions Panorama, Port-au-Prince


Dans son étude sur Les origines de la structure agraire en Haïti [1], et à propos du passage de la période coloniale à la période nationale, Suzy Castor signale que Gérard Pierre-Charles, dans son livre L’économie Haïtienne et sa Voie de Développement [2], présente la mutation opérée à cette époque comme le passage de la société esclavagiste à la société féodale, caractérisée par l’existence de grandes propriétés exploitées par des serfs attachés à la glèbe, les célèbres «deux moitiés».


En consultant l’ouvrage de Gérard Pierre Charles, nous avons pu constater que lui-même faisait référence à un passage de l’œuvre de Louis Joseph Janvier: Les Affaires d’Haïti. Nous avons donc consulté cet ouvrage où sont réunis des articles publiés en France et en Haïti «pour renseigner toutes les fractions de l’opinion, pour défendre la renommée politique des administrateurs de ma patrie…»


C’est donc une œuvre de polémique, dans laquelle Janvier répond aux attaques du Parti Libéral contre le gouvernement de Salomon; mais il contient des passages sur la situation de la paysannerie haïtienne qu’il nous a paru intéressant de reproduire ici.

 

Bernard Ethéart


Questions haïtiennes (Le Paris du 6 Juillet)


Au fond, il n’y en a jamais eu qu’une seule (révolution): c’est celle que Salomon vient d’opérer en Janvier de cette année en faisant prendre une loi agraire aux termes de laquelle les propriétés de l’Etat seront morcelées, de manière que chaque paysan puisse devenir propriétaire foncier.

 

L’insurrection haïtienne (L’Evènement du 11 Septembre 1883)


La véritable cause de l’insurrection, la voici: En Février de cette année, le président d’Haïti a fait rendre une loi en vertu de laquelle les terres de l’Etat seraient morcelées et distribuées en toute propriété aux paysans qui s’engagent à les cultiver. Les soi-disant libéraux, dont les aïeux avaient escamoté les plus belles terres à leur profit, ont compris que, si cette loi recevait sa pleine exécution, ils ne pourraient plus vivre aux dépens des paysans dont ils confisquent le travail. Ils ont vu que, la terre passant entre les mains des paysans, ceux-ci deviendraient de véritables citoyens, ayant conscience de leurs droits, au lieu que jusqu’à cette heure, ils vivotent dans un demi-servage sur les grandes propriétés rurales, et que ce sont eux seuls qui sont soldats.


La question sociale en Haïti (République Radicale des 6 et 21 Octobre)


Les paysans haïtiens ont toujours vécu dans un demi-servage depuis que la nation a conquis son indépendance.


Le système agricole, institué par les colons de Saint-Domingue, consistait dans l’exploitation d’immenses plantations appelées “habitations”, véritables prisons sans murs, manufactures odieuses, produisant pendant des siècles du tabac, du café, du sucre et consommant des esclaves.


Après la proclamation de l’indépendance et de 1804 à 1807 la barbarie de ce système fut à peine atténuée, des considérations d’ordre primordial se rapportant à l’existence et à l’organisation du nouvel Etat qu’on venait de fonder l’exigeant impérieusement ainsi.


De 1807 à 1818, Pétion, premier président d’Haïti, morcela les terres dans l’Ouest et dans le Sud et les distribua aux officiers et à un petit nombre de soldats de l’armée républicaine. Christophe, roi d’une partie d’Haïti, n’imita cet exemple dans le Nord et dans l’Artibonite que vers 1819, une année avant sa mort.


En 1821, le président Boyer, successeur de Pétion et de Christophe, revint au système de la grande propriété foncière. Plus que jamais, les paysans furent étroitement parqués sur les habitations sucrières et cotonnières. Ils restèrent attachés à la glèbe, maintenus dans cet état dégradant par un code rural qu’interprétait à sa guise une gendarmerie champêtre dont les inspections étaient des plus abusives et des plus vexatoires.


En 1843, le président Boyer fut chassé du pouvoir.


Dans le cours des deux années 1843 et 1844, les paysans demandaient, en toute propriété, pour les faire cultiver et fructifier, les terres de l’Etat, que celui-ci laissait improductives; en même temps, ils réclamaient l’instruction primaire pour leurs enfants.


Ces paysans que l’on a appelé “piquets”, et dont les revendications étaient entièrement justes et bien fondées, furent massacrés ou dispersés par les troupes régulières que les gouvernants réactionnaires, qui siégeaient à Port-au-Prince, envoyèrent contre eux. Jusqu’à aujourd’hui, en Haïti et à l’étranger, des publicistes mal renseignés ou peu sincères continuent d’insulter à la mémoire de ces vaillants prolétaires.


De 1843 à 1883, la situation continua d’être déplorable pour les paysans. Ils travaillaient sur des terres qui étaient détenues par de soi-disant propriétaires, dont les droits étaient souvent contestables et quelquefois absolument problématiques et qui, pourtant, s’emparaient audacieusement de la moitié et même des deux tiers de leurs récoltes. Seuls, avec les artisans, ils étaient soldats; seuls avec les artisans, ils payaient les impositions les plus lourdes et les plus injustes. On eût dit que, encore qu’ils constituassent le substratum de la nation, la nation les tenait pour des parias.


Leurs aveux (République Radicale du 16 Novembre 1883)


La loi sur la cession des terres aux paysans est le véritable motif de l’insurrection, non seulement parce que les insurgés sont de grands propriétaires fonciers inhabiles et pratiquant l’absentéisme, mais parce qu’ils savent que le dictateur haïtien Pétion ne fut si populaire que parce qu’il concéda des terres à ses officiers et à un petit nombre de soldats libérés du service qui devinrent des paysans. Si le parti national fait le paysan propriétaire, il deviendra inexpugnable au pouvoir. De là l’insurrection.


Les deux partis haïtiens (Courrier international du 22 au 29 novembre 1883)


Le véritable motif de l’insurrection, le voici: ils ont voulu empêcher qu’une loi votée en février de cette année, et en vertu de laquelle les terres de l’Etat seront morcelées et distribuées aux paysans qui en feraient la demande, fut mise à exécution par tout le territoire de la République.


Les lois agraires en Haïti (Revue du monde latin, 25 Janvier 1884)


La République haïtienne est un Etat qui traverse encore sa phase agricole. Le mode d’appropriation des terres, qui s’y est maintenu pendant trop longtemps tel qu’il y était il y a un siècle, a causé de tels préjudices, porté de telles entraves au travail agricole, que l’on peut dire que des raisons sociales et non politiques, des idées économiques et non constitutionnelles ont jusqu’ici paralysé l’essor du pays en paralysant le libre essor de l’agriculture.


Haïti est indépendante depuis 1804. On sait que, sous le nom de Saint-Domingue, elle fut une des plus florissantes colonies françaises. La Convention avait donné la liberté aux noirs des colonies; mais, en 1802, le Premier Consul voulut rétablir l’esclavage à Saint-Domingue. Les noirs de cette île combattirent pour garder leur liberté.


L’Etat noir, constitué en 1804, demandait à être réorganisé. Tout était à refaire, à créer, tout ayant été détruit pendant la lutte pour l’indépendance qui avait duré dix-huit mois.


Dessalines, dictateur, puis empereur, laissa subsister les régimes de la grande propriété foncière et de la grande culture qui existaient aux temps de la domination coloniale. La raison d’Etat le voulait ainsi. Tout était réglé sur le pied de guerre de façon que la population valide de telle grande propriété rurale ou de tel village formait, à elle seule, le contingent d’une compagnie ou d’un bataillon de guerre ayant son chef désigné d’avance et prêt à marcher au premier signal.


En 1806, le premier empereur d’Haïti voulut porter quelques uns de ses concitoyens à produire les titres en vertu desquels ils prétendaient exercer des droits de propriété sur certaines portions de terrain qui auraient dû revenir au domaine national, mais dont ils s’étaient emparés par fraude ou par force; en même temps, il exigeait d’un petit nombre d’individus qui avaient occupé, sans en avoir le droit, des plantations ayant appartenu à des colons dont ils portaient les noms, de prouver, par actes ou témoignages authentiques, qu’ils étaient les fils ou les parents de ces anciens colons et qu’ils en pouvaient hériter. Ces titres, ces actes ou ces témoignages, peu de personnes étaient en mesure de les produire. Les faux propriétaires fomentèrent une révolte à laquelle on prit la précaution de donner une couleur politique pour en masquer la véritable cause, et le dictateur acclamé en Janvier 1804 fut assassiné au Pont-Rouge, près de Port-au-Prince, le 17 Octobre 1806.


Pétion, toujours en état d’hostilité avec Christophe, aurait été vaincu par son rival couronné, s’il n’avait eu l’excellente idée de distribuer les terres de l’Etat aux principaux officiers de son armée et à un petit nombre de fonctionnaires civils qui lui étaient dévoués. Il n’oublia pas dans ses libéralités les vétérans, sous-officiers ou simples soldats, qui s’étaient distingués sous ses yeux ou qui lui avaient été recommandés par leurs chefs immédiats.


Sur les terres qu’il avait données ou amodiées aux officiers de son armée, les soldats étaient tenus de labourer gratuitement, alors même que, pour leur compte personnel, ils étaient propriétaires d’un petit domaine. Dans la République du Sud-Ouest que gouvernait Pétion existait aussi le système du petit fermage. Par l’effet de celui-ci, le paysan, fermier de l’Etat pour cinq à six carreaux de terre, pouvait amasser peu à peu des économies et devenir petit propriétaire, en achetant les parcelles mises en vente par l’Administration des Domaines.


Christophe avait conservé dans le Nord le régime foncier antérieur à l’Indépendance. Ses généraux et ses employés civils étaient peu rétribués en numéraire. On leur concédait des habitations, grandes exploitations rurales sur lesquelles ils faisaient travailler les paysans à leur profit. Vers 1819, Christophe commença de distribuer des terres aux vétérans de son armée qu’il renvoyait du service. Il avait été à même de constater que le régime économique institué par Pétion permettait à celui-ci d’exercer un très grand ascendant moral sur les hommes qui habitaient les départements de l’Ouest et du Sud.


Boyer était un esprit bien moins scientifique, bien plus fermé et plus autoritaire que Pétion. Beaucoup moins que celui-ci il aimait le peuple. Parvenu à la Présidence en 1818, dès le 18 Juillet 1821, il fit publier un ordre du jour pour annoncer que la délivrance de toutes les concessions de terrain faites à titre de don national était suspendue. D’un autre côté, le président signifiait aux notaires de ne plus passer acte de vente d’aucune propriété rurale, lorsque cette propriété était d’une contenance inférieure à cinquante carreaux de terre.


L’opposition qui renversa Boyer était composée d’hommes appartenant à la bourgeoisie. Les masses avaient adhéré au mouvement sans trop rien y comprendre, mais espérant vaguement que leur sort serait amélioré sous tout autre gouvernement que sous celui de Boyer. Elles furent déçues dans leurs légitimes espérances.


Les souffrances, les espérances et les revendications des paysans furent formulées, résumées par un homme du peuple, Acaau, qui les cristallisait en lui. Il prit les armes en réclamant l’instruction publique générale et en demandant pour les paysans les terres de l’Etat que Pétion leur distribuait autrefois, mais que Boyer leur avait retirées. Là était la vraie révolution et non sur le papier d’une constitution.


En Haïti, de 1821 à nos jours, le paysan avait été le sacrifié. Surtout dans les plaines, sur les anciennes habitations sucrières, cotonnières et indigotières, le paysan avait eu à subir les conséquences d’un véritable régime féodal. La terre avait été un instrument de domination entre les mains des grands propriétaires, militaires ou fils de militaires, comme il en fut en Europe au Moyen Age.


Presque tous ces politiciens qui, en 1883, ont apporté la guerre civile dans leur patrie, Presque tous ceux qui furent les meneurs des révoltés de Jérémie et de Jacmel et nombre de ceux qui, à l’étranger, attisaient la haine et le mépris contre leur pays, étaient de grands propriétaires, pratiquant l’absentéisme, et ayant hérité surtout des doctrines économiques et politiques aussi égoïstes que surannées qui avaient été mises en pratique par le Président Boyer. Ils ne voulaient pas, ces singuliers libéraux, que le paysan devint propriétaire. S’il le devenait, il leur échappait, reprenait son indépendance, passait de l’état de machine inconsciente à celui d’Homme ayant conscience de son rôle social, de ses droits et de ses devoirs.


HEM, Vol. XIX, No. 3 du 16-22/02/05

 

 



Pages retrouvées


Le Système des “de moitié” – Féodalisme a l’Haïtienne


Dans une série de cinq articles publiés dans le Nouvelliste entre le 4 et le 13 Décembre 1992, sous le titre Préjugés de classe au Cap Haïtien, Roger Gaillard consacre un passage à ce qu’il appelle Une aristocratie déclinante, puis reproduit, en note deux petits textes consacrés au système des “de moitié”. [3]


Etant donné, si l’on en croit Gérard Pierre Charles, que ce système caractérise la société féodale qui a pris naissance au sortir des guerres de l’Indépendance, nous avons cru bon de reprendre les passages en question.


Bernard Ethéart


Une aristocratie déclinante


Ce dernier (il s’agit de Vilbrun Guillaume Sam, Président de la République, dont le lynchage servit d’ultime prétexte au débarquement des “marines” le 28 Juillet 1915), à l’exemple des Béliard, des Nord Alexis, des Mathon et Pierre-Louis, des Dupuy, des Florvil Hyppolite, était un grand propriétaire foncier, un de ces feudataires à la tête de cent à trois cents carreaux de terre. Ainsi Vilbrun dominait Paroi (sur la route de Limonade); les Béliard étaient installés sur l’habitation Bonay (entre Quartier Morin et le Cap); les Nord Alexis régnaient sur leur domaine de Mazaire (dans la commune de Quartier Morin); les Mathon et les Pierre-Louis commandaient la plantation Gallifet (dans la commune de Milot); tandis que les Hyppolite gouvernaient l’exploitation Bongars, passée depuis à notre contemporain, M. Carlet Auguste.


Ces gros possédants, ces “dons”, cultivant essentiellement la canne, dont ils extrayaient sirop et tafia, régentaient par ailleurs, deux espèces de travailleurs:


- les de “moitié”, qui, sur le carreau ou les deux carreaux dont le maître leur accordait libre jouissance, plantaient des vivres alimentaires, quitte à lui remettre, en guise de rente, une partie (souvent les 2/5) de la récolte; en outre, tous les lundis, ils s’activaient dans les champs de leur seigneur et maître, les préparant, nettoyant la canne, la coupant, tout cela (faut-il le préciser?) sans paiement en retour…


- la deuxième catégorie de cultivateurs était, elle, composée de paysans salariés (ouvriers agricoles), lesquels s’occupaient plus spécialement du moulin et de la guildive. Ils étaient sans terre, comme la plus grande partie des naturels de la région Nord. Un cinquième du sirop fabriqué avec la machine du maître, couvrait ce qui était appelé les “frais généraux”, tandis que les quatre cinquièmes restants étaient partagés en deux moitiés, l’une qui revenait sans débours au propriétaire, l’autre qui lui était généralement vendue. Ces travailleurs se satisfaisaient, pense-t-on, de cette condition, puisque en cas de dépenses inattendues (maladies, funérailles) ils étaient sûrs de recevoir l’avance indispensable.


Ainsi le “don” était le maître, l’employeur, l’acheteur et le créancier. Il était vu (ou se croyait vu) comme le père.


Une défense du système dit des “de moitié”


Au lendemain de 1804, il fallait organiser le nouvel Etat. A l’époque coloniale, l’agriculture était le secteur économique le plus florissant. La canne à sucre était la richesse créée et l’importation la plus importante de la colonie. Celle-ci répondait avantageusement au système d’exploitation forcée de l’époque, avec l’esclavage. La main-d’oeuvre ne rentrait pas encore dans la liste des marchandises qu’on achetait, avec la conception dominante d’alors d’assimiler une catégorie humaine à un animal que le propriétaire entretenait avec le boire et le manger, afin de jouir et de bénéficier purement et simplement de sa force de travail.”


La Nation haïtienne fondée, ainsi que l’Etat haïtien, il fallait substituer à l’ancien système de production, un autre qui n’assimilerait pas l’ouvrier agricole à un produit qui s’achetait et se vendait comme autrefois. Or, les grands propriétaires de l’époque étaient en partie, ou presque tous, d’anciens généraux de la guerre de l’indépendance, ou encore des membres de l’élite dirigeante du jeune Etat haïtien. Conscients du rôle économique et social de la propriété rurale, hier couverte de plantations de toutes sortes, les dirigeants comprirent que les colons d’hier devaient être remplacés par une élite militaire et civile pour maintenir la production à un rythme devant assurer l’autosuffisance et une certaine croissance à l’économie. Les dirigeants de l’heure comprirent que le droit de propriété comporte des devoirs et des obligations envers d’autres. Rejetant l’esclavage pour servir de moteur à la production, ils pensèrent au système de “de moitié.”


Quel en est le vrai sens? C’est celui de porter le grand propriétaire terrien de l’époque, à lotir la grande superficie de sa propriété en de petites portions, correspondant en quelque sorte à la force de travail d’un homme, afin qu’il suffise à ses besoins, tout en partageant avec le grand propriétaire terrien, la moitié de la production de cette partie qu’il cultive. Ces obligations n’étaient scellées par aucun contrat écrit, mais par la simple parole d’honneur des deux parties.”


Ceci met en relief la valeur réelle et intrinsèque de l’homme de l’époque. L’institution des “de moitié” ressemblait donc à une sorte de coopérative, de société anonyme avant la lettre, jouant un rôle, en quelque façon, de trait d’union entre les deux extrêmes de la nouvelle société haïtienne: l’élite urbaine et la paysannerie rurale. Ce système, à bien réfléchir, répondait aux impératifs urgents du moment. Comme je l’ai souligné précédemment, la propriété rurale s’accompagne d’obligations impérieuses de production, qu’on ne pouvait demander à tout un chacun, nouvellement libéré, de comprendre et d’assimiler, sans qu’il soit entouré par un autre mieux préparé que lui.”


Le grand propriétaire terrien était l’homme le plus qualifié pour remplir ce rôle. Le travailleur “de moitié”, par certaines directives qu’il recevait du grand propriétaire, peut être considéré, sur ce plan, comme un adulte à qui on inculquait certaines pratiques agricoles. Suivant la nature du sol, il y cultivait des produits qui répondaient aux besoins du marché local, ou à l’exportation, et même aux deux à la fois.”


Cette rencontre des “de moitié”, le Lundi, dans la savane de la grande propriété, était précédée d’une espèce de meeting que donnait le grand propriétaire. L’entretien public roulait sur l’agriculture et même la corvée, espèce de coopérative paysanne, pour l’entretien des “chemins vicinaux” et le curage de certains cours d’eau.”


Mais cet esprit de solidarité et de coopération se voyait surtout dans les “coumbites”, que je qualifierais de coopérative avant la lettre, toute de spontanéité pour enfouir les semences d’une grande plantation, puis la récolter demain.”


Il y régnait une animation, une joie, un je ne sais quoi de profondément humain, de cet homme qui naît bon, comme dit l’autre, et que le vilain quelque fois de la société change. Je n’ai jamais vu ailleurs ce sourire, ni l’expression de physionomie de ce visage heureux de l’homme pauvre, dans les chants accompagnés du son du “lambi”, et qui nous porte tous à mieux comprendre ce qu’a été le système de “de moitié” au lendemain de l’indépendance, et qui a été par la suite déformé.”


Du fait que tout était militarisé à l’époque, le commandant de la place était d’abord un “commandant de place à vivres”, chargé de contrôler ces places à vivres précisément, sur les grandes habitations, pour voir si la culture obligatoire de vivres alimentaires répondait aux besoins de l’autosuffisance exigée de tous ceux qui, à un titre quelconque, occupait une superficie quelconque à la campagne… Voilà, à l’origine, ce qu’était son rôle.”


(Ce texte a été communiqué à l’auteur par le Professeur Carlet Auguste, après la lecture d’une partie de son manuscrit.)


Réquisitoire d’un grand propriétaire contre le système des “de moitié”


Je ne veux pas en dire systématiquement du mal, vu que 1. en certaines circonstances, il a pu rendre des services réels aux propriétaires sans capitaux ou sans autorité; 2. qu’il a dû servir d’appât à un peuple déjà si enclin à l’oisiveté.” […]


Mais [il] est une des plaies de l’agriculture haïtienne.”


Sans doute, il est juste que celui qui travaille, perçoive le prix de sa peine. Mais il ne s’ensuit pas qu’il doive tout prendre ou à peu près; car c’est assurément prendre beaucoup plus qu’il ne convient, que de prélever la moitié du revenu d’un capital qui n’est pas à soi. En quel pays a-t-on vu pareil partage? […] Si encore le partage se faisait selon l’équité des lois, mais le propriétaire […] est trompé par son “de moitié”. […] Enfin, de guerre lasse, le propriétaire se contente de ce qu’on lui apporte.”


En outre, le cultivateur “sait que, du jour au lendemain, il peut être chassé de l’habitation qu’il occupe; il ne travaille donc plus, ou le moins que possible. Et alors les récoltes diminuent d’année en année; l’agriculture nationale périclite et le pays s’appauvrit.”


Certes, on peut améliorer le système, par une plus grande vigilance, conclut notre grand propriétaire, “mais à cause de la part excessive qu’il accorde au paysan, il ne saurait convenir aux grands capitaux toujours en quête de rendements.”


(Le Matin, 31 Janvier 1917. Article signé de Frédérick Morin, et qui est reproduit de la “Revue commerciale”)


HEM, Vol. XIX, No. 5, du 02-08/03/05

 



Pages retrouvées


Jacques de Cauna

Haïti: l’éternelle révolution

Editions Henri Deschamps

Port-au-Prince, 1997


Il peut paraître surprenant de parler de «pages retrouvées» à propos d’un ouvrage qui a été publié il y a tout juste huit ans. Pourtant ce passage de l’ouvrage de Jacques de Cauna, qui traite du «conflit Polvérel-Sonthonax», offre un tel éclairage sur le point de départ des divergence de vues, et les actes qui en découlent, au sujet de la politique agraire de la société qui va émerger de la révolution de Saint Domingue, qu’il nous a paru de le reproduire intégralement dans le cadre de cette série, car comme le dit l’auteur en conclusion de ce passage, «le drame rural que vit Haïti dès 1804 est déjà en fait tout entier au départ dans le conflit qui oppose en 1793 les deux commissaires de la Révolution française à Saint-Domingue».

Bernard Ethéart


La question agraire et le conflit Polvérel-Sonthonax


Près de deux siècles après l’indépendance, il n’est pas exagéré de dire que le problème posé au départ par l’appropriation des terres des colons de l’ancienne Saint-Domingue est resté, compte tenu des développements qu’il a connu par la suite, l’une des premières sources de conflits à l’intérieur du pays. La «question agraire» en Haïti, terminologie moderne plaquée sur un fait ancien, est tout entière contenue, dès 1793, dans l’opposition radicale des deux systèmes prônés à l’époque révolutionnaire par les commis-saires civils Sonthonax et Polvérel.


L’histoire a surtout retenu, injustement comme souvent, l’œuvre de Sonthonax, consacrée par sa proclamation historique du 29 août 1793, mais ce qu’on sait moins, c’est que cette spectaculaire mesure de circonstance priva vraisemblablement la colonie (et la future Haïti) d’un plan à la fois plus progressif et plus audacieux que Polvérel s’attachait à élaborer et à mettre en place patiemment depuis de longs mois.


Formé à l’école de la Franc-Maçonnerie de rite écossais à Bordeaux et héritier des traditions libertaires ancestrales de la noblesse navarraise à laquelle appartenait sa famille, Etienne de Polvérel, que l’imagerie populaire tend à représenter comme l’ombre affadie d’un Sonthonax pur et dur, apparaît en réalité à l’observateur attentif comme l’âme de la seconde Commission civile, un homme de caractère et de devoir doublé d’un humaniste visionnaire qui, loin de se contenter de suivre les décisions de Sonthonax, comme on le pense généralement, doit au contraire en être considéré comme l’inspirateur. On oublie trop souvent en effet ses proclamations et arrêtés sur la Liberté des esclaves antérieures à celle, historique, du 29 août. Les premières mesures de ce type libérant les esclaves armés par leurs maîtres et les enrôlant pour la République datent en effet de mars 1793 et Garran-Coulon précise que l’idée en «appartient surtout à Polvérel». le 21 Juin, il signe avec Sonthonax une importante proclamation qui annonce la volonté des commissaires, conformément aux instructions du ministre Monge, «de donner la liberté à tous les nègres guerriers qui combattirent pour la République… (et que) tous ces esclaves qui seront déclarés libres par les délégués de la République seront les égaux de tous les hommes blancs ou de toute autre couleur».


Sont prévues également des mesures visant à «adoucir le sort des autres esclaves … soit en leur donnant des moyens sûrs de se racheter … soit enfin en donnant graduellement la liberté à ceux qui auront donné le plus de preuves de leur bonne conduite et de leur assiduité au travail, et en leur donnant en même temps des terres en propriété». on reconnaît dans ces dernières dispositions la patte de Polvérel telle qu’on la retrouvera dans ses proclamations ultérieures, notamment celle du 21 août 1793 qui prévoit que les propriétés des «ennemis de la République» seraient séquestrées «et leurs revenus distribués aux bons et fidèles républicains qui (les) combattent et continueront de (les) combattre», et surtout celle du 27 août qui stipule que «le partage des propriétés déclarées vacantes doit naturellement se faire entre les guerriers et les cultivateurs. Les parts doivent être inégales, car … le guerrier court plus de danger pour sa vie; sa part doit donc être plus forte».


Cette proclamation, antérieure de deux jours à celle de Sonthonax au Cap, mérite qu’on s’y attarde quelque peu. Elle affirme tout d’abord, en préambule, qu’«il va se faire dans les Antilles une grande révolution en faveur de l’humanité, révolution telle que la paix ni la guerre ne sauraient en affecter le cours. Depuis longtemps, ajoute-t-il, on calomnie la race africaine, on dit que sans l’esclavage on ne l’accoutumera jamais au travail. Puisse l’essai que je vais faire démentir ce préjugé non moins absurde que celui de l’aristocratie des couleurs. Puissent ceux des Africains qu’un heureux concours de circonstances me permet de déclarer dès à présent libres, citoyens et propriétaires, se montrer dignes de liberté, féconder la terre par leur travail, jouir de ses productions, vivre heureux, soumis aux lois et surtout, ne jamais oublier qu’ils doivent tous ces bienfaits à la République française. Alors on commencera à croire qu’aux Antilles, comme partout, la terre peut être cultivée par des mains libres. Alors les colons … donneront à l’envi des uns des autres la liberté à leurs ateliers … Il n’y aura plus que des frères, des républicains, ennemis de toute espèce de tyrannie, monarchique, nobiliaire et sacerdotale». Les propriétés vacantes, abandonnées par «la trahison et la lâcheté de leurs maîtres», celles «de la Cour d’Espagne, des monastères, du clergé, de la noblesse» «seront distribuées aux guerriers… et aux cultivateurs». Seront admis à ce partage, en sus des cultivateurs fidèles «déclarés libres» et jouissant de «tous les droits de citoyens français», «tous les Africains insurgés, marrons ou indépendants réduits à une existence incertaine et pénible dans des montagnes escarpées et sur un sol ingrat» «qui deviendront eux aussi» copropriétaires «de ces habitations», «intéressés à en multiplier les produits». Les articles I à VII de la proclamation précisent ces dispositions et leurs modalités (notamment l’établissement de listes de nouveaux libres), «la totalité des habitations vacantes dans la province de l’Ouest appartiendra en commun à l’universalité des guerriers de ladite province et à l’universalité des cultivateurs desdites habitations (article VIII). Les articles suivants fixent très précisément les modalités de répartition des revenus (IX à XXXV) et les bénéficiaires (XXXVI à XLIV), le dernier (xxxxv) ordonnant la traduction «en langue créole» de la proclamation et son envoi aux autorités légales pour exécution.


On entrevoit déjà, là, le grand rêve polvérélien d’une copropriété de la terre à ceux qui la travaillent qui, tel qu’il se précise dans les proclamations ultérieures, précède et annonce davantage les socialistes français dits «utopiques» de la fin du 19e siècle que les kolkhozes communistes.


à suivre


HEM, Vol XIX, No. 10 du 06-12/04/05

 



Pages retrouvées


Jacques de Cauna

Haïti: l’éternelle révolution

Editions Henri Deschamps

Port-au-Prince, 1997


La question agraire et le conflit Polvérel-Sonthonax

(suite)


On n’en comprend que mieux sa surprise et son indignation, lorsque Sonthonax, par l’un de ces véritables «coups» politiques qui lui sont coutumiers, accélère brutalement le processus de libération des esclaves longuement mûri et entrepris par son collègue, le privant ainsi, par sa proclamation du 29 août 1793, des fruits d’un long et patient travail au service de la liberté générale. Ce n’est qu’ainsi que l’on peut comprendre le sourd ressentiment qui perce publiquement, pour la première fois, dans le préambule de sa proclamation du 4 septembre 1793: «Je préparais la liberté de tous par un grand exemple… et en attendant la liberté universelle, qui dans mon plan était très prochaine, je m’occupais de la rédaction d’un règlement qui mettait presque au niveau des hommes libres la portion d’Africains qui restaient pour quelque temps encore soumis à des maîtres. Six mois de plus, et vous étiez tous libres et tous propriétaires. Des évènements inattendus ont pressé la marche de mon collègue Sonthonax. Il a proclamé la liberté universelle dans le Nord; et lui-même lorsqu’il l’a prononcée n’était pas libre. Il vous a donné la liberté sans propriété… et moi j’ai donné avec la liberté des terres… Il n’a donné aucun droit de propriété à ceux de vos frères qui sont armés pour la défense de la colonie… Et moi, j’ai donné un droit de copropriété à ceux qui combattaient pendant que vous cultiviez…». Polvérel s’explique plus nettement encore dans la lettre qu’il envoie la veille à son collègue après avoir reçu de manière officieuse la nouvelle de sa proclamation: «Avez-vous été libre de ne pas le faire?… Vous le savez, je déteste autant que vous l’esclavage… mais quelle liberté que celle des brigands! Quelle égalité que celle où il ne règne d’autre loi que le droit du plus fort! Quelle prospérité peut-on espérer sans travail? Et quel travail peut-on attendre des Africains devenus libres si vous n’avez pas commencé par leur en faire sentir la nécessité en leur donnant des propriétés…?» Et en lui communiquant ses proclamations antérieures, Polvérel ajoute: «Je m’acheminais aussi vers la liberté générale, mais par des voies plus douces, plus légales… sans causer aucune commotion»…


Qui plus est, lorsque Sonthonax, acculé au désespoir devant l’ampleur des difficultés et notamment l’invasion anglaise, envisage sérieusement d’abandonner la partie en livrant aux flammes toutes les places qu’il ne pourrait défendre, Polvérel le rappelle sèchement à l’ordre et à la raison en des termes non équivoques: «Comment ramènerez-vous les cultivateurs au travail, lorsque vous ne pourrez leur offrir que des monceaux de cendres, lui écrit-il… et si vous ne les ramenez pas au travail, comment les empêcherez-vous de se livrer au brigandage…? Ainsi la plus belle entreprise que des hommes puissent faire pour le rétablissement des droits de l’homme, pour la liberté et l’égalité, pour la paix et la prospérité de Saint-Domingue n’aboutira qu’à déshonorer ses entrepreneurs, perdre la colonie sans retour et river pour toujours les chaines des Africains dans les Antilles… Croyez-moi, ils ne sont pas si généralement bêtes qu’ils vous l’ont paru. Il n’y a pas une idée abstraite qu’on ne puisse mettre à leur portée. Ils savaient fort bien, avant même que nous eussions commencé leur éducation, qu’ils ne devaient pas dévaster la terre qui leur donne les vivres et les revenus; ils entendent bien, d’après mes explications, ce que c’est qu’une république, et pourquoi il ne faut pas de roi… J’ai dit que je vous croyais sincère: peut-être n’y aurait-il pas vingt personnes dans la colonie qui pensent comme moi… mais entendons-nous une fois, et que je sache pourquoi je me bats, contre qui je me bats, et quels sont nos ennemis».


Finalement, après le 29 août 1793, c’est Polvérel seul qui prend les choses en mains, au point que Sonthonax ne signe plus rien. Un rapide coup d’œil sur les proclamations suivantes fait apparaître les grandes lignes de force de ce que l’on a pu appeler le «système Polvérel», voué dans l’histoire agraire d’Haïti à une intéressante postérité, même si un analyste haïtien du début du siècle a cru devoir déplorer que «l’absence de châtiment corporel condamnât tous ces règlements minutieux à demeurer inappliqués».


Il n’est pas utile de s’attarder sur les proclamations du 10 septembre relative aux esclaves artisans des villes; du 21, libérant les esclaves de l’Ouest et des 6 et 7 octobre libérant ceux du Sud. Plus importantes sont les proclamations complémentaires des 31 octobre 1793, 7 et 28 février 1794 qui réglementent minutieusement la vie des habitations. De cet impressionnant appareil législatif de 240 articles, nous nous contenterons de résumer quelques-unes des dispositions les plus novatrices: affirmation aux côtés de la liberté, d’une égalité absolue sans restrictions aucunes; attribution du 1/3 du revenu (après déduction des frais de faisance-valoir) à la communauté des cultivateurs; élection par eux des conseils d’administration dans lesquels le gérant (élu) et le propriétaire n’auront qu’une seule voix s’ils sont du même avis; engagement des cultivateurs pour un an avec possibilité de résiliation; mesures de protection pour vieillards et infirmes…, etc.; établissement d’instituteurs en nombre suffisant dans chaque section rurale; possibilité de retrancher un jour supplémentaire de travail par semaine (avec réduction concomitante au 1/5 de la part des cultivateurs); institution de trois classes de cultivateurs: portionnaires, à gages à l’année, salariés à la journée; interdiction des châtiments corporels…


«Que de luttes inutiles, que de reculs, que de piétinements eût évité au pays une adoption de la proclamation de Polvérel!» Comment ne pas souscrire à cette opinion de Gérard Laurent qui ajoute que «la formule adoptée par Sonthonax ne pouvait que réserver au pays des remous à travers le système inopérant du fermage, pépinière des généraux-fermiers»?


En effet, c’est le système préconisé par Sonthonax dit du «cultivateur portionnaire» qui va prédominer dans les dernières années de la colonie, avec quelques variantes, aussi bien lors de la troisième commission civile que dans le Sud avec Rigaud, à Jacmel avec Bauvais, et finalement dans toute l’île avec Toussaint Louverture qui lui conféra sous la houlette militaire, sa forme la plus achevée, celle du «caporalisme agraire», toute de contrainte pour le cultivateur, à tel point que Leclerc en personne jugera ce système «très bon», allant plus loin que ce qu’il n’aurait osé lui-même proposer et qu’il n’était donc pas utile d’y changer quoi que ce soit.


Malgré les velléités de distributions de terres, timidement amorcée par Dessalines et poursuivies par Christophe et surtout, avec davantage de conviction, par Pétion, dès 1804, le cultivateur haïtien se heurtera quotidiennement à un régime de police rurale de plus en plus sévère dont témoigne notamment quelques années plus tard le Code Rural de Boyer qui sera nettement en retrait sur des points essentiels: interdiction des associations de cultivateurs gérant eux-mêmes les habitations (article 30); réduction au ¼ de la part des cultivateurs après prélèvements d’1/5 pour le propriétaire comme loyer des installations (art. 51-52); obligation d’avoir un permis pour quitter l’habitation en semaine (article 71); d’être «soumis et respectueux» envers les propriétaires, fermiers et gérants (art. 69 et 160); soumission à la police rurale et répression du «vagabondage» et de l’oisiveté (art.136, 143, 174, 180), réduction à une demi-heure du temps du déjeuner à midi (art. 184) et, peut-être plus que tout, cet article 178 qui précise que les enfants des cultivateurs «suivront la condition» de leurs parents, disposition qui subsiste encore en pratique aujourd’hui dans l’invraisemblable ségrégation sociale et juridique qui persiste anachroniquement entre deux types de citoyens du même pays aux états civils différents: les paysans et les citadins. On imagine aisément ce que Polvérel eût pensé d’un tel état de fait.


Il n’est pas étonnant, que, parallèlement, le paysan haïtien, aidé par la faiblesse de l’Etat, ait développé, au fil des années, une offensive généralisée de la petite exploitation familiale qui se traduit essentiellement par un morcellement toujours plus grand des terres et l’effondrement de l’économie de marché au profit d’une économie de subsistance de plus en plus précaire.


Dans ce conflit souvent sanglant entre le «gros habitant» et le «petit exploitant indépendant», la victoire à l’usure du dernier n’est-elle pas en réalité une victoire à la Pyrrhus? Séquelle d’un problème colonial mal résolu, aggravé par l’inertie intéressée de l’oligarchie dirigeante haïtienne, le drame rural que vit Haïti dès 1804 est déjà en fait tout entier au départ dans le conflit qui oppose en 1793 les deux commissaires de la Révolution française à Saint-Domingue.


HEM Vo. XIX, No. 11 du 13-19/04/05

 



Pages retrouvées


Candelon Rigaud

Promenades dans les campagnes d’Haïti

La Plaine de la Croix des Bouquets dite: «Cul de Sac»

L’Edition Française Universelle, Paris


Dans le cours de ses promenades, Candelon Rigaud ne se contente pas de faire découvrir à ses compagnons de route imaginaires tous les aspects intéressants de la plaine qu’il leur fait visiter; il leur fait aussi part de ses réflexions sur l’agriculture, l’industrie, les légendes, les religions, les superstitions et il estime que nul mieux que lui ne peut en parler; «Autant que personne, nous sommes autorisés à parler du tempérament des paysans haïtiens; de leurs tendances vers le bien ou le mal, de leur soumission, de leur résignation en présence du fait accompli. Nos dix années au service de la Hasco nous ont mis dans un contact de tous les jours avec l’habitant». (pp. 123-124)


C’est dans le cadre de ces réflexions qu’il aborde la question du partage des propriétés des colons et de ses conséquences économiques et sociales. On pourra, en passant, trouver amusante le nouveau contenu qu’il donne au concept de «médiévisme», qui est l’étude de l’histoire et de la civilisation du Moyen Age, pour désigner un type de relations sociales pour lequel d’autres auteurs, Janvier, Pierre-Charles, ont parlé de féodalisme.

Bernard Ethéart


Il y a dans l’histoire de notre pays un acte superbe qui a été analysé et jugé diversement par les écrivains.


C’est le partage de la terre.


Les colons ayant abandonné la colonie, leurs terres furent confisquées et partagées.


Les domaines coloniaux se divisaient en trois catégories:

1. les grandes propriétés appartenant à la noblesse et aux riches bourgeois,

2. les propriétés de moyenne grandeur,

3. les petites terres situées dans la montagne.


Pour arriver au partage en faveur des plus méritants, par don national, trois catégories de bénéficiaires furent établies:


1. les généraux et les grands fonctionnaires de l’ordre civil; chacun selon son rang et à raison des services rendus à la cause de l’Indépendance,

2. les officiers et civils d’un rang moins élevé,

3. les soldats qui se distinguèrent pendant la grande lutte,

4. ensuite, l’adjudication,


Les grands domaines des grands colons passèrent donc aux grands personnages, ou furent achetées par les affranchis déjà en bonne situation de fortune.


Ce sont les petits soldats qui furent envoyés dans les petites terres de la montagne. (p. 114)


Les fonds ruraux et des centaines d’autres, formaient la parure, toujours fleurie de la plaine du Cul-de-Sac.


Ces grandes terres étaient devenues après 1804, propriétés de l’Etat; on les a vues passer en d’autres mains dans toutes leurs superficies.


On a vu une seule famille présidentielle de la grande époque hériter de quinze, si ce n’est plus, de ces vastes domaines, sans le morcellement d’un seul carreau à l’avantage de quiconque. (p. 115)


De même, on a vu toutes les autres grandes terres, sans aucun morcellement, revenir aux premiers grands fonctionnaires, ou à d’autres grands bourgeois, qui les ont exploitées pendant de longues années.


Quelle conclusion tirer de cette possession en masse par quelques uns?


L’acquisition avait-elle été faite par don national, ou par des achats à la criée publique?


Nous ne contestons nullement la légitimité de la possession; mais ce qui étonne, c’est que, dans le partage, ou les ventes, aucun nom plébéien ne figure dans les titres de ces grands et beaux domaines. (p. 116)


Après le partage de la grande propriété, un point très important restait en débat. (p. 121)


Quel était le sort de la grande masse des anciens esclaves, devenus libres, mais pauvres, ne possédant aucun élément de travail? Cette masse avait assisté à la distribution des terres aux petits soldats; mais elle qui n’avait rien reçu, en serait-elle jalouse? Serait-ce là l’occasion d’une division entre les propriétaires de cette masse?


Le génie de Christophe trouva une solution équitable à cette question embarrassante. Le roi fut le premier à prendre l’initiative d’établir sur les domaines de son Gouvernement, le système de l’association rurale par le colonage partiaire ou de-moitié.


Comme de nos jours, du reste, sans aucun changement dans ce genre d’association entre paysan et propriétaire, cette innovation consistait en ceci:


Les propriétaires des domaines ruraux donnent aux de-moitié: 2, 3 à 5 carreaux de terre, selon les aptitudes de chaque homme. La terre reçue du propriétaire est cultivée par le de-moitié selon ses propres moyens. Les produits récoltés sont partagés à 50 % entre les deux associés. Si les produits doivent être manufacturés, ou subir une transformation quelconque, telle, la canne, le propriétaire mettra son moulin à la disposition du de-moitié, sans redevance. Celui-ci passera la canne à ses frais, fera cuire lui-même le sirop à l’usine du propriétaire. Le sirop obtenu sera partagé à 50 % entre les parties contractantes. Le de-moitié vendra ou non sa part à son associé selon les avantages trouvés. (p. 122)


La faute commise par le propriétaire-bourgeois était de vouloir continuer le système médiéval. Le médiévisme consiste à vivre en marge de ses affaires, en toute jouissance, comme des seigneurs du Moyen-Age, en confiant les domaines aux métayers sous la direction d’un gérant, infidèle le plus souvent. (p. 127)


Autrefois, et il y a peu d’années, un curieux phénomène d’influence se constatait dans le pays.


Il suffisait qu’un homme, d’un rang élevé, plus habile que le paysan, fit un geste, pour que inconsciemment celui-ci se levât et marchât à sa suite dans des sentiers inconnus.


Où le conduisait-on? A l’assaut du Pouvoir; au renversement des fauteuils que les plus malins redressaient en en éloignant les plus méritants.


Quand après l’orgie, le laboureur retournait vers son foyer, la maison n’existait plus, la famille était dispersée; le vieux père avait été tué, et les champs avaient été dévastés.


Si, par hasard, le triomphateur voulait bien penser à son humble collaborateur, sa faveur suprême était de lui orner les jambes d’une paire de bottes, avec le titre de Chef de Section. (pp 128-129)


HEM Vol.XIX, No. 13, du 27/04 – 03/05/05

 



Pages retrouvées


Victor Redsons

Genèse des rapports sociaux en Haïti (1492-1970)

suivi de

Problèmes du mouvement communiste haïtien (1959-1970)

Editions Norman Béthune


C’est en fouillant dans la bibliothèque de mon beau-père que je suis tombé sur ce petit livre que je connaissais pas et dont je ne sais pas qui se cache sous le pseudonyme choisi par l’auteur. Et malheureusement Léon n’est plus là pour éclairer ma lanterne, ni pour me dire comment il est arrivé en possession de l’ouvrage.


Quoiqu’il en soit, il m’a paru intéressant, après avoir vu comment Louis Joseph Janvier (voir HEM Vol. XIX No. 3 du 16-22/02/05) et Candelon Rigaud (voir HEM Vol. XIX No. 13 du 27/04-03/05/05) analysent le partage des anciennes plantations coloniales par les nouveaux dirigeants, d’avoir la vision d’un marxiste-léniniste.

Bernard Ethéart


Toussaint Louverture, leader des anciens et nouveaux propriétaires, rationalisa l’exploitation féodale dans sa constitution arrêtée en 1801. (p. 22)


La Constitution de 1801 est en quelque sorte l’assise juridique du mode de production féodal. Elle représente une tentative de protection des intérêts de classe des propriétaires contre toute revendication des cultivateurs. Par ailleurs, cette constitution tient à conserver le principe de la grande propriété. Il est interdit aux propriétaires de morceler les domaines en dessous de 50 ha. Cette constitution confirme les règlements de culture édictés par Sonthonax et Polvérel et précise que chaque plantation est «l’asile tranquille d’une active et constante famille dont le propriétaire de la terre ou son représentant est nécessairement le père» (art. 15). Cette clause typique de l’idéologie féodale hantera pendant tout le XIXe siècle les constitutions et codes intéressant les rapports qu’entretiennent feudataires et serfs sur les habitations. Enfin, la constitution fixe la répartition de la production. Le produit de la terre se divise en quatre parts: une pour les cultivateurs, une autre pour l’Etat et deux pour le propriétaire. (pp. 22-23)

 

La politique agraire du gouvernement de Dessalines s’est caractérisée par l’établissement de la grande propriété foncière de l’Etat. L’Etat s’empara des grands domaines coloniaux et devint un propriétaire géant. L’article 12 des «dispositions générales» stipule: «Toute propriété qui aura ci-devant appartenu à un blanc français est incontestablement et de droit confisquée au profit de l’Etat». Cependant, à côté de l’Etat foncier existait une puissante classe de feudataires issue le l’aristocratie civile et militaire et dont les intérêts ne coïncidaient pas toujours avec ceux de l’Etat propriétaire. (p. 24)

 

La petite exploitation indépendante était pratiquement inexistante, la grande masse paysanne, propriétaire de ses instruments de production ou d’une partie de ceux-ci, était contrainte de travailler sur le domaine du maître (Etat ou particulier), lui fournissant ainsi une rente en travail. Cette forme d’exploitation féodale est une conséquence de la contradiction liée au bas niveau des forces productives et à la nécessité de produire en vue de l’exportation, unique moyen de réaliser l’accumulation indispensable à l’édification de l’économie nationale. Aussi, pour pallier à la déficience des instruments de production qui n’avaient guère évolué depuis cent ans, l’Etat féodal dut recourir à la corvée. (p. 24)

 

Après l’assassinat de Dessalines en 1806, l’empire se scinda en deux Etats rivaux où chacun des deux gouvernements apporta d’importantes modifications à la formule de la propriété appliqués par Dessalines ainsi qu’à la politique économique générale de ce dernier. Ces bouleversements allaient dans le sens des intérêts des classes dominantes qui aspiraient à plus de privilèges, au renforcement de leur pouvoir. (p. 25)

 

Pétion, président de la République de l’Ouest et du Sud distribua une partie importante des terres de l’Etat aux principales autorités de son gouvernement. En vertu de la loi du 21 octobre 1811, une habitation sucrière est donnée aux généraux et une habitation caféière à chaque adjudant-général à titre de «Don National». Ces habitations comprenaient des superficies de 100 à 2.000 carreaux (1 carreau = 1 ha. 29) A côté de ces distributions, on mit en vente les domaines de l’Etat. Ces donations et ces ventes visaient à renforcer l’économie des classes dirigeantes. Plus tard, pour assurer le soutien de la population dans son conflit avec son rival du nord, Christophe, Pétion étendit cette politique de concessions à certains éléments de sa garde et à une certaine catégorie de paysans. La loi d’avril 1814 autorise la distribution de 35 carreaux de terre aux chefs de bataillon ou d’escadron, 30 aux capitaines, 25 aux lieutenants. La loi du 30 décembre 1809 permet la concession de propriétés de 5 carreaux aux sous-officiers et soldats congédiés. Des parcelles de moindre importance furent attribuées aux gérants d’habitation, aux conducteurs d’ateliers, à des paysans «laborieux» et à des soldats en service «qui se distinguaient par leur bonne conduite». (pp. 25-26)

 

Ces modifications apportées dans la tenure de la propriété n’entraînèrent que peu de changements dans les relations entre propriétaires fonciers et cultivateurs. Les méthodes d’exploitation étaient restées les mêmes, aucune situation nouvelle n’étant apparue dans l’état des forces productives. La loi du 20 avril 1807 «concernant la police des habitations, les obligations réciproques des propriétaires, des fermiers et des cultivateurs», reprit les règlements adoptés par le gouvernement précédent. Comme sous Dessalines, les exploitations devaient fournir à l’Etat, en guise d’impôt, le quart de la production. De leur côté, les cultivateurs, en échange de leur travail, recevaient le quart de la production. (p. 26)

 

Dans le nord où un royaume et une noblesse furent créés, Christophe, pour les mêmes motifs, poursuivait la même politique. Les domaines de l’Etat passèrent par concessions aux mains des dignitaires du Royaume: «Un domaine rural était accordé aux nobles à titre de fief, en plus des concessions, dotations particulières accordées antérieurement aux membres du Royaume, ou que le Roi se réservait de régaler aux nouveaux dignitaires qu’il allait installer. Ces derniers biens fonciers pouvaient être vendus ou hypothéqués, tandis que les fiefs étaient inaliénables et leurs produits non sequestrables. Le droit de propriété devait se perpétuer à travers leurs enfants mâles, par droit de primogéniture». le Code Henry (133 articles), entendait que le paysan restât attaché à la glèbe. Bref, un régime féodal copié su celui d l’Europe du Moyen-Age. (pp. 26-27)

 

La contradiction fondamentale du régime féodal s’approfondissait de jour en jour pour atteindre son paroxysme sous le gouvernement de Boyer (1818-1843). Ce dernier avait opté pour les grands domaines indispensables à certaines cultures comme la canne à sucre. En juin 1821, les concessions de terre sont suspendues. La concentration de la propriété est appliquée dans la partie orientale conquise en 1822. le code rural de 1826 qui régit officiellement les rapports assujettissant les paysans-cultivateurs aux propriétaires fonciers indique: «Aucune réunion ou association de cultivateurs fixés sur une même habitation ne pourra se rendre propriétaire ou fermier du bien qu’ils habitent pour l’administrer par eux-mêmes en société». les paysans dont certains ont la possibilité de cultiver des places à vivres sont obligés de peiner du lundi au samedi sur les domaines appartenant soit à l’Etat, soit à des particuliers, en échange du quart ou de la moitié de la récolte. (pp. 28-29)

 

HEM, Vol. XIX, No. 15, du 11-17/05/05




«Les blancs débarquent»


Ces dernières semaines, la célébration du jour de l’environnement oblige, nous avions interrompu notre série consacrée à la structure foncière. Histoire de nous remettre dans le bain, nous rappellerons que cette série a compté dix articles publiés entre février et mai de cette année.


On peut considérer comme le noyau de cette série le Survol de l’Evolution de la Structure Foncière, dont la publication s’est étendue sur quatre numéros (HEM # 6, 7, 8 et 9) dans le courant du mois de mars. Il a été accompagné de la publication d’articles reproduisant la vision de certains auteurs sur la manière dont les terres des colons ont été réparties après l’indépendance, en l’occurrence Louis Joseph Janvier (HEM # 3), Candelon Rigaud (HEM # 13) et Victor Redsons (HEM # 15).


Cette répartition ne s’est pas faite sur une base consensuelle et nous avons reproduit un passage de Jacques de Cauna qui montre que les divergences remontent à la période précédant la proclamation de l’indépendance (HEM # 10 et 11). Enfin nous avons touché, avec Roger Gaillard, HEM # 5, le type de relations sociales nées du mode de répartition qui s’est imposé, relations que Janvier et Redsons qualifient de féodales, tandis que Candelon Rigaud (HEM # 13) parle de «médiévisme».


Aujourd’hui nous voulons parler d’un autre acteur dans la répartition du foncier, le capital étranger. Je suis persuadé que Roger Gaillard ne m’en voudra pas d’utiliser un sur-titre qu’il avait donné à quelques unes de ses publications. Nous avons, lui et moi, fait suffisamment de plaisanteries autour de ce fameux «les blancs débarquent», pour qu’il y voie plus un clin d’œil qu’un plagiat.


Ceci dit, on peut s’étonner que dans un pays qui, au moment où il prenait son indépendance, a proclamé haut et fort que la propriété du sol national était réservée exclusivement aux nationaux, le capital étranger puisse s’infiltrer et peu à peu se retrouver propriétaire de vastes exploitations. Mais, un siècle plus tard, la position de certains secteurs avait évolué. Comme le dit Gérard Pierre-Charles: L’impossibilité de voir s’amorcer un processus de développement économique, à parti du capital local, suggéra depuis longtemps déjà l’idée que seul le financement étranger, sous la forme d’emprunts ou d’investissements directs dans la production peut servir de moteur à ce processus. [4]


Roger Gaillard, avec sa verve habituelle, nous démonte le mécanisme de cette évolution de l’opinion. D’abord,…on battit la grosse caisse sur le thème, neuf encore dans notre histoire économique, de la très prochaine et bienfaisante pénétration du capital étranger dans notre activité productrice. On connaît l’air, qui, par la suite, deviendra rengaine: Haïti est riche en ressources; notre main-d’œuvre est abondante et bon marché; nous possédons des cadres techniques de valeur; la plupart de nos négociants, enfin, sont imaginatifs et disciplinés. Ce qui manque, c’est l’argent.


Le raisonnement se poursuit alors, sous la forme parfaite du syllogisme. Or de cet argent, nos grands et puissants voisins ne demandent pas mieux, sous certaines conditions, bien entendu (sécurité des investissements, stabilité politique), que de nous en abreuver. Il faut donc, en satisfaisant au plus vite à ces exigences, profiter de tant de bonne volonté témoignée. Vive donc l’Amérique, et, par-dessus tout, vivent son argent et ses capitalistes! – dernier mot que certains de nos journaux, on le verra, pris d’une soudaine vénération, affubleront parfois d’une majuscule. [5]


Ce mouvement d’opinion que décrit Gaillard remonte à 1916, autrement dit au début de l’Occupation Nord-Américaine, certains diront de la «première occupation nord-américaine»; mais près d’un siècle et deux (ou trois) occupations plus tard, n’entendons-nous pas la même «rengaine»? Comme quoi, plus ça change et plus c’est la même chose.


Selon Paul Moral, il y a eu bien avant cela une première tentative d’attirer le capital étranger dans le pays. Il s’agit de la loi du 26 février 1883, «portant concession conditionnelle des terrains du Domaine National». Moral fonde son opinion sur une interprétation de l’article 5 de cette loi, qui stipule: «Les usines fondées pour la préparation des-dites denrées, les sociétés anonymes par actions, montées pour l’exploitation en grand du domaine public, jouiront, en tant que personnes morales, du privilège de la naturalité». [6]


Moral signale que les dispositions de février … sont restées à peu près lettre morte … Mais, ajoute-t-il, la loi sur les concessions conditionnelles de Salomon n’en constitue pas moins, du point de vue politique, la première sollicitation officielle précise en faveur de l’intervention du capital étranger dans l’exploitation agricole haïtienne, au moment même où la petite paysannerie indépendante achève de se définir. [7]


Il a fallu attendre encore environ un quart de siècle avant de voir la pénétration du capital étranger et c’est ce qui fera l’objet du prochain article.


Bernard Ethéart


HEM, Vol. XIX, No. 20, du 15-21/06/05

 



«Les blancs débarquent» (II)


Si on veut analyser le mouvement de pénétration du capital étranger en Haïti, on peut distinguer trois phases. La première phase précède l’arrivée des «marines» dans le pays; durant la seconde, la mainmise sur la terre va de pair avec l’occupation militaire; tandis que la troisième, la moins importante, suit la «désoccupation».


Les prémisses


La pénétration du capital étranger associée à la création de grandes exploitations a commencé avec le 20e siècle.


Depuis 1901, une société belge exploite sous le nom de «Plantation d’Haïti», plus de 300 hectares plantés en cacao, hévéas et vanille dans la région de Port Margot et de Bayeux; une autre compagnie se livre à la culture intensive des ananas dans les environs du Cap; en 1906, le gouvernement passe un contrat avec un groupe de capitalistes, belges également, pour l’établissement d’une «Banque Agricole et Industrielle» chargée de consentir des prêts à long terme et probablement d’alimenter la «Société d’Agriculture d’Haïti» fondée la même année.[8]


La construction de la voie ferrée du Cul-de-Sac, de Port-au-Prince à l’Etang Saumâtre, ouvre effectivement de nouvelles perspectives à l’entreprise sucrière. En 1906, une»Compagnie Nationale des Chemins de fer d‘Haïti» obtient la concession de trois voies ferrées: Les Gonaïves – Hinche; le Cap – Grande Rivière du Nord; Port-au-Prince – Cap-Haïtien. … C’est la première intervention caractérisée du capital nord-américain. Elle se précise en 1910, avec le fameux contrat jumelé dit «contrat Mac Donald»: pour une période de 50 ans et au prix d’affermage de un dollar par an le carreau cultivable, le gouvernement concède à la Compagnie Nationale des Chemins de fer, «National Railroad», les terres du Domaine National non occupées, «sur le parcours du chemin de fer devant traverser les départements de l’Ouest, de l’Artibonite, du Nord-Ouest et du Nord, et ce jusqu’à une distance de 20 kilomètres de chaque côté de la voie ferrée». La compagnie doit y établir des plantations bananières.[9]


L’occupation nord-américaine


Mais c’est avec l’occupation nord-américaine que le mouvement va prendre de l’ampleur. Des dispositions légales vont faciliter l’arrivée des capitaux nord-américains: on a tout d’abord, la constitution «imposée» par l’occupant au début de la présidence de Dartiguenave: Le droit de propriété immobilière est accordé désormais aux étrangers [10] puis la loi du 22 Décembre 1925 sur les baux à long terme [11] et enfin la loi du 28 Juillet 1929 qui autorise la vente de terres agricoles à des compagnies nord-américaines [12]


Il est difficile d’établir la liste exacte des compagnies américaines, avec leur raison sociale et leurs activités, qui s’installèrent ou essayèrent de s’installer en Haïti. Nous citerons:

- la Haytian American Sugar Company (1915): 24.000 acres,

- la Haytian Products Company (1915): 10.000 acres,

- la United West Indies Corporation (1918): 16.000 acres,

- la Société Commerciale d’Haïti (1918): 3.000 acres,

- la North Haytian Sugar Company (1922): 400 acres,

- la Haytian Pine-apple Company (1923): 600 acres,

- la Haytian American Development Corporation (1926): 14.000 acres,

- la Haytian Agricultural Corporation (1927): 2.200 acres

L’étendue totale des concessions aurait été de 70.000 acres (28.000 ha). D’après Emily Green Balch. [13]


Victor Redsons replace cette évolution dans une perspective internationale. Au début du XXe siècle, le système capitaliste est en crise. En 1914 éclate la première guerre mondiale pour un nouveau partage du monde. Les puissances impérialistes européennes (France, Angleterre, Allemagne), les principales rivales de l’impérialisme américain pour le contrôle du pays, sont fixés sur le front européen. L’impérialisme américain, profitant de cette situation, concrétisa franchement la doctrine de Monröe. [14]


Après l’occupation


Pour cette période, Redsons signale encore l’influence de la situation internationale. … les propriétés américaines plantées en caoutchouc sur les terres d’Indonésie et de Malaisie, objets de la convoitise japonaise, furent saisies. Cette matière étant indispensable à la poursuite de la guerre (il s’agit cette fois-ci bien entendu de la seconde guerre mondiale), l’impérialisme américain décida d’adapter notre agriculture à la satisfaction de leurs besoins d’alors. [15]


La Loi du 3 Septembre 1941 sanctionnait le contrat du 22 Août 1941 passé entre le Gouvernement haïtien et la SHADA (Société Haïtiano-Américaine de Développement Agricole). Ce contrat donnait «en bail à la société pour une période de 50 ans, 150.000 acres plantés en arbres susceptibles de produire des bois de charpente, situés dans les forêts de morne des Commissaires, du morne la Selle, dans la commune de Cerca-la-Source…» [16]


Le Décret-Loi du 6 Janvier 1943 autorisait la SHADA cultiver le sisal et la cryptostegia. Ce décret avait un caractère dictatorial. Tout propriétaire qui avait refusé d’affermer son terrain à la SHADA a été l’objet soit d’une mesure de réquisition, soit d’une mesure d’arrestation, soit d’une mesure d’expropriation. [17]


La SHADA reçut le monopole de l’importation du caoutchouc en plus de la concession de 150.000 ha destinés à la culture de l’hévéa et d’arbres forestiers. Ce fut le drame des dépossessions. Et des milliers de familles paysannes virent leurs plantations de café ou de vivres alimentaires rasées par la compagnie. [18]


Bernard Ethéart


HEM, Vol. XIX, No. 21, du 22-28/06/05

 




«La Bienveillante Pénétration»

Le cas de la Plantation Dauphin


C’est encore Roger Gaillard qui utilise dette formule quand il décrit, avec ce sourire malicieux que je lui connaissais bien, la campagne orchestrée par les partisans de l’arrivée du capital étranger dans le pays (voir: Les blancs débarquent, HEM, Vol. XIX, No. 20, du 15-21/06/05). Nous sommes aujourd’hui un siècle après l’arrivée des premiers capitaux dans le pays, et il serait intéressant de voir quel effet cette «bienveillante pénétration» a pu avoir sur notre économie.


Pour commencer nous nous pencherons sur la cas de la plaine côtière qui s’étend de Limonade à la frontière avec la République Dominicaine, couvrant les communes de Limonade, Caracol, Trou-du-Nord, Terrier Rouge, Fort-Liberté, Ferrier, Ouanaminthe. Dès la création de l’INARA, nous avions pensé intervenir sur cette vaste étendue de terre semi-aride, présumée terre de l’Etat et pratiquement laissée à l’abandon. Le désir du Président René Préval de voir l’INARA concentrer toute son énergie sur l’expérience pilote du Bas Artibonite nous avait écartés de la zone, mais nous y sommes retournés quand l’INARA, toujours à la demande du Président, a commencé à être présent dans l’ensemble du pays.


C’est ainsi que la Direction Départementale du Nord-Est a procédé à ce que nous appelons une «étude foncière» sur la localité de Napple/Dévésien, dans la commune de Terrier Rouge et l’analyse qui suit s’inspire largement des résultats de ce travail. [19]


La première information à relever et qui peut étonner celui qui la parcourt aujourd’hui, est que, à l’arrivée des Européens, cette zone était boisée. Les données historiques révèleraient que durant la période coloniale, le paysage a subit des transformations importantes (endiguement et déviation des cours d’eau, assèchement de la mangrove, création d’un réseau dense de chemins et de canaux). C’est dans cette région qu’auraient été introduits les premiers plants de café, vers 1620.

 

Après l’indépendance, l’occupation paysanne s’est fortement développée, notamment avec la distribution des terres abandonnées par les colons aux officiers et aux soldats par Dessalines puis, et surtout, par Boyer. L’occupation de ces terres, relevant alors du domaine de l'État, s’est faite sans aucun titre. Au début du siècle, les terres de la région étaient encore largement boisées. Les paysans cultivaient des «jardins kay» vivriers, clos de campêches, entourés de vastes zones de pâturages communautaires.

 

En 1922 deux compagnies nord-américaines, la Haytian American Development Corporation et la Haytian Agricultural Corporation, bénéficiant de la loi de 1922 dite des «baux à long terme», occupent de très vastes espaces, en majeure partie considérés comme faisant partie du domaine privé de l’Etat et présumés inoccupés.

 

Le choix de cette zone pour l’implantation de la culture de sisal en vue de profiter du boom de la ficelle lieuse pour les moissons tenait compte de conditions particulières: la faible densité de la population, l’absence de légalisation d’une grande partie des terres occupées par les petits paysans, la qualité du sol, l’adaptation possible du sisal dans les zones semi-arides et la possibilité de mécanisation sur une très grande échelle.

 

L’occupation de ces espaces a entraîné d’importants problèmes sociaux. Malgré les indemnisations mais aussi et surtout les offres de travail permanent, les paysans dépossédés de leurs terres ont constitué une des bases les plus importantes de la résistance armée à l’occupation américaine. (insurrection dite des «cacos»), tandis que d’autres émigraient en République Dominicaine, où leur intégration a été très problématique (violences, massacres et expulsions, 1934-1938).

 

Il faut cependant signaler que de nombreux paysans dépossédés ont pu s’intégrer à l’activité agro-industrielle (10.000 personnes vivaient des plantations), et de nombreux employés ont largement bénéficié de la prospérité des années 1940-1960.

 

En 1927 les deux compagnies fusionnaient et la Plantation Dauphin était créée, une société plus modeste à capital mixte. A partir de 1942 les objectifs stratégiques américains stimulent l’augmentation des surfaces plantées en sisal grâce à la SHADA (Société Haitiano-Américaine de Développement Agricole). 25.000 acres étaient alors plantées en sisal. Entre 1950 et 1951 la demande de sisal, renforcée par les menaces de guerre (stocks stratégiques), a relancé une deuxième fois cette culture, avec des capitaux nationaux et étrangers, portant les surfaces plantées à plus de 35.000 hectares.


Avec de l’apparition des fibres synthétiques (1960), entraînant la baisse du cours international du sisal, la régression brutale de l’activité agro-industrielle a provoqué une crise économique grave. En effet les compagnies ont cessé progressivement leurs activités. Elles n’ont ni cédé ni vendu les terres et, malgré quelques épisodes limités d’occupations paysannes des terres inexploitées, l’intégrité des grandes plantations a été conservée. En 1983, les responsables de la plantation Dauphin ont expulsé les petits paysans qui, depuis 1979/1980, cultivaient, 200 carreaux à proximité du bourg de Terrier Rouge plus particulièrement au niveau de la zone d’étude. Au fil du temps l’élevage bovin a remplacé le sisal. Cependant l’absence d’utilisation de la moitié des terres de la Plantation Dauphin, notamment autour de la localité de Terrier Rouge, a constitué un problème social qui concernait l’ensemble de la communauté.


En 1986 la Plantation Dauphin était envahie par les habitants de la zone. Le troupeau de bétail, appartenant disait-on à l’ex-Président Jean Claude Duvalier et gardé dans des parcs près de du village de Phaëton, fût lâché dans la nature. Ce troupeau détruisit le reste de la plantation de sisal et depuis ces terres sont convoitées tant par des exploitants résidants au niveau de la zone ou non, que par des nationaux et étrangers. Ce fut de début de la squattérisation.


De nos jours, des associations de planteurs ou d’éleveurs de tendances diverses se sont formées dans le but de squattériser ça et là les terres. Ce faisant une grande quantité de terres sont occupées par des associations ou groupements paysans. Chaque groupement délimite à sa guise une portion de terres soit avec du fil de fer barbelé, du cactus ou encore du pingouin. Ces portions font l’objet de séparation à part égal entre les membres suivant les vœux du leader qui accapare une plus grande partie. Toutefois notons qu’après la séparation, les portions restantes sont catégoriquement vendues ou, dans le langage courant de la zone, passées sous forme de cession à ceux qui en ont besoin, à raison de 500 gourdes à l’hectare. D’autre part, on retrouve certains exploitants qui n’appartiennent à aucun groupement mais qui occupent une portion des terres sans aucun contrat de bail.


Bernard Ethéart

 



«La Bienveillante Pénétration» (II)

Le cas de l’hévéa


La semaine dernière nous avons parlé du bilan négatif de l’expérience des plantations de sisal dans la plaine du Nord-Est (voir HEM, Vol. XIX, No. 22, du 29/06-05/07/05). Le problème de cette aventure industrielle vient de ce que le capital étranger s’est investi dans une production qui devait répondre à un besoin de son propre système économique, et, du jour où ce besoin n’existait plus, il s’est retiré purement et simplement faisant disparaître d’un seul coup tous les avantages que le pays d’accueil aurait pu en avoir tiré.


Aujourd’hui nous voulons aborder une autre expérience bien plus néfaste, celle de l’implantation de la culture de caoutchouc avec la célèbre SHADA (Société Haitiano-Américaine de Développement Agricole). Dans un article précédent (Les blancs débarquent HEM, Vol. XIX, No. 21, du 22-28/06/05) nous avions effleuré ce sujet, cette fois-ci, avec des textes tirés des ouvrages de Gérard Pierre Charles, Victor Redsons et Franck Blaise, nous allons approfondir la question.


L’intéressant avec Pierre-Charles est qu’il signale l’effet négatif du contrat de la SHADA sur le trésor public. En effet, il n’y a pas eu de véritable apport de capital, car les fonds investis proviennent d’un prêt fait au gouvernement haïtien, qu’il faudra donc rembourser.


Suivant les termes d’un contrat de concession entre le Gouvernement et la Société Haïtienne Américaine de Développement Agricole, la Banque Import-Export accorde un emprunt à Haïti pour la réalisation d’un programme de plantation de caoutchouc et de sisal, produits fort demandés sur le marché de guerre nord-américain. La SHADA reçut le monopole de l’importation du caoutchouc en plus de la concession de 150.000 ha destinés à la culture de l’hévéa et d’arbres forestiers. Ce fut le drame des dépossessions. Et des milliers de familles paysannes virent leurs plantations de café ou de vivres alimentaires rasées par la compagnie. Celle-ci cessa, une fois la guerre finie, d’utiliser les terres plantées.


Cet impact brutal de la grande économie capitaliste agissant à travers des organismes publics sur la structure agraire haïtienne représenta un désastre pour les paysans dépossédés, et, bien entendu, pour le trésor public. [20]


Redsons, selon sa bonne habitude, est plus incisif dans sa critique, mais donne bien plus de détails.


les propriétés américaines plantées en caoutchouc sur les terres d’Indonésie et de Malaisie, objets de la convoitise japonaise, furent saisies. Cette matière étant indispensable à la poursuite de la guerre, l’impérialisme américain décida d’adapter notre agriculture à la satisfaction de leurs besoins d’alors. Les premiers pas concrets vers le renforcement de cette nouvelle emprise impérialiste étaient franchis par la constitution de la société responsable de la prise à charge et de l’exécution de ce programme dit «d’assistance économique nord-américaine». En 1941 se forma la SHADA. Les bases financières de cette société étaient constituées par un emprunt de 5.000.000 $ U.S. accordé par la Export Import Bank. D’immenses étendues de terre, occupées par des milliers de petits cultivateurs haïtiens propriétaires et fermiers, pour avoir été délimitées sur la carte d’Haïti par le crayon rouge du responsable principal de la SHADA, étaient déclarées «Zones stratégiques» par le gouvernement de Lescot. Les paysans étaient chassés impitoyablement de leurs terres. Dans certains cas, le délai de déguerpissement n’allait pas au-delà de 48 heures. Le dédommagement était fixé à $ 25 le carreau planté en café ou cacao, sans le droit de rentrer al dernière récolte. Dans d’autres cas, on remboursait seulement $ 5 par carreau aux propriétaires possédant dûment leur titre, tandis que les fermiers recevaient une compensation de $ 10. Parfois, l’expropriation sous forme violente ne prenait en considération aucune exigence d’indemnisation. On ne touchait pas les terres des féodaux. En septembre 1943, la «Shada’s Cryptostigia Program» avait fait l’acquisition de ses terres réparties comme suit à travers la république:


Terres acquises par la SHADA jusqu’en 1943 pour la culture exclusive du caoutchouc:


Région d’Haïti

Superficie en ha

Cap

16.750

Bayeux

12.850

Cayes

11.650

Grande Anse

12.600

Saint Marc

4.300

Gonaïves

250

Ces données sont fournies par S.E.Harris in «Ecomies Problèmes of Latin America». [21]


Franck Blaise, pour sa part, est plus lyrique et ouvre une perspective sur les conséquences politiques.


La disposition législative du Gouvernement de Lescot qui a fait beaucoup de tort au pays et dont jusqu’ à présent, nous en ressentons les conséquences néfastes fut le décret loi du 6 Janvier 1945 [22].

Il autorisait la SHADA cultiver le sisal et la cryptostegia.

Ce décret avait un caractère dictatorial.

Tout propriétaire qui avait refusé d’affermer son terrain à la SHADA a été l’objet soit d’une mesure de réquisition, soit d’une mesure d’arrestation, soit d’une mesure d’expropriation. [23]

Les contrats étaient pour une période d’une année, renouvelables d’année en année, suivant les circonstances et au gré de la SHADA pendant une période qui ne dépassera pas dix ans.

Cette société a pris les meilleures terres de nos paysans pour établir des plantations dites stratégiques.

De vastes plantations de vivres alimentaires, de denrées d’exportation et d’arbres fruitiers qui constituaient une très grande source de revenus pour nos paysans ont été détruites en conséquence.

Ce fut un désastre national.

Dès cette époque, la grande commotion de 1946 était en gestation!

Si la question des domaines avait contribué à l’assassinat de l’Empereur Dessalines, si celle du contrat Marc (sic) Donald pour l’exploitation de la figue banane avait renversé Antoine Simon, si celle aussi des baux à long terme était l’un des grands griefs contre Borno, la SHADA et ses conséquences néfastes avaient été l’une des principales plaintes contre le régime dictatorial du Gouvernement de Lescot.


Bernard Ethéart


HEM, Vol. XIX, No. 23, du 06-12/07/05





«La Bienveillante Pénétration»

Le cas de la «figue-banane»


Le développement de la filière figue-banane par des capitaux étrangers a connu deux épisodes, l’un au début du siècle, l’autre juste après la «désoccupation». C’est curieusement un contrat de construction d’un réseau ferroviaire qui est à l’origine du premier épisode. Voyons ce qu’en dit Victor Redsons.


«En 1906, une ‘Compagnie Nationale des Chemins de fer’ obtient les concessions de trois voies ferrées:

- Gonaïves – Hinche

- Cap – Grande Rivière du Nord

- Port-au-Prince – Cap.


C’est la première intervention caractérisée du capital Nord-américain. Elle se précise en 1910 avec le scandaleux contrat dit ‘Contrat Mac Donald’. Pour une période de 50 ans et au prix d’affermage de 1 dollar par an le carreau cultivable, le gouvernement concède à la Compagnie Nationale de Chemin de fer ‘National Rail Road’, les terres du domaine national non occupées ‘sur le parcours du chemin de fer devant traverser les départements de l’ouest, de l’Artibonite du Nord-ouest et du Nord et ce, jusqu’à une distance de 20 km. de chaque côté de la voie ferrée’. La compagnie doit y établir des plantations bananières.» [24]


Kethly Millet est du même avis et fournit un peu plus de détails sur le transfert de la première compagnie de chemin de fer à la compagnie Mac Donald.


«C’est par le biais de la Compagnie de Chemin de fer national que les intérêts américains feront leur entrée en force en Haïti. Cette société fondée en 1905 avait été acquise par Rodolphe Gardère. Elle devait pourvoir les départements du Nord, du Nord-Ouest, de l’Artibonite et de l’Ouest de voies de chemin de fer et relier Port-au-Prince au Cap Haïtien. En 1910, elle échut à un Américain du nom de James P. Mac Donald.» [25]


Si on en croit Antoine Pierre Paul, cité par Franck Blaise, c’est le Président Antoine Simon qui est à l’origine de ce transfert.


«L’exécution du contrat de 1906, imposant des charges trop lourdes pour l’Etat, était dans l’opinion du gouvernement une cause de ruine pour la nation.


Le Général Antoine Simon proposa de modifier ce contrat et d’imposer un autre pour la culture et l’exploitation de la figue banane, de telle sorte que le trafic fut suffisant pour couvrir la garantie d’intérêt des chemins de fer.» [26]


Si le nouveau contrat représentait moins de charges pour l’Etat haïtien, il fut très néfaste pour les petits paysans. Voyons ce qu’en dit Kethly Millet.




Ce triple contrat (chemin de fer, production de bananes, monopole de l’exportation de toute la figue banane produite dans le pays) devait avoir des conséquences socio-économiques importantes pour la paysannerie des régions concernées. Il signifiait, en tout premier lieu, la substitution de la figue banane à la culture soit du café, de la canne ou tout simplement des cultures vivrières sur une superficie de plus de 7.200 km2. Il entraînait également la disparition de la petite paysannerie de la région, son élimination dans le processus de la culture d’exportation et donc de son rôle prédominant dans l’économie du pays, au profit d’un seul et unique producteur et exportateur, la Compagnie Mac Donald.


Enfin, pendant les travaux de délimitation, de défrichement, les récoltes en cours sont perdues pour la paysan, … Aucun n’a reçu d’indemnité ou de compensation.» [27]


On a vu, en parlant de l’hévéa, que, pour Franck Blaise, le contrat Mac Donald est à l’origine du départ d’Antoine Simon du pouvoir (voir HEM, Vol. XIX, No. 23, du 06-12/07/05); Pour Victor Redsons: «Les paysans vont protester cotre cette braderie du sol national à l’étranger et déclencher une insurrection dans le Nord.» [28] Paul Moral est du même avis: «Ce contrat, fort louche, semé de malentendus, va servir à ameuter, en février 1911, les paysans du Nord et à déclencher la ‘deuxième guerre caco’.» [29] Kethly Millet va encore plus loin parlant de l’effet de l’impopularité du contrat Mac Donald sur les successeurs d’Antoine Simon: «Ces expropriations seront à ce point impopulaires que les successeurs du Président Antoine Simon hésiteront à les poursuivre, préférant faire face aux plaintes du président de la Compagnie Nationale de Chemin de fer qu’à la perspective de perdre l’appui du monde paysan.» [30]


Bernard Ethéart


HEM, Vol. XIX, No. 24, du 13-19/07/05



«La Bienveillante Pénétration»

Le cas de la «figue-banane» (suite)


Dans l’article précédent (voir hem, Vol. XIX, No. 24, du 13-19/07/05), nous avions vu le premier épisode de la tentative de développement de la filière figue-banane, épisode lié au fameux contrat Mac Donald. Ce premier épisode précède le débarquement des «marines». Nous allons nous pencher aujourd’hui sur le second épisode, qui suit le départ des «marines» et est lié au le contrat de la Standard Fruit.


Paul Moral présente ainsi ce second épisode: «L’histoire de la spéculation bananière n’a duré qu’une dizaine d’années, mais elle présente en un raccourci saisissant la ruine d’une organisation commerciale efficace dans laquelle la petite exploitation s’était aisément intégrée, et qui vers 1945, avec la montée du sisal et la reprise du sucre, communiqua à l’économie haïtienne la plus vigoureuse impulsion qu’elle ait jamais reçue[31]


En réalité, ce second épisode a connu des prémices déjà durant l’occupation. «En 1910, le contrat ‘de chemin de fer et de figue-banane’(contrat Mac Donald) sombra, on l’a vu, dans l’anarchie. Puis, vers 1925, quelques initiatives privées, toujours américaines, préludèrent à l’intervention décisive de la ‘Standard Fruit and Steamship Company’ de la Nouvelle Orléans. Cette puissante compagnie bénéficia en 1935 [32] d’un contrat qui lui conférait le privilège exclusif d’achat des bananes exportables sur l’ensemble du territoire haïtien, moyennant l’encouragement de la culture dans toutes les régions propices, par des travaux d’irrigation, des avances aux petits planteurs, l’aménagement de stations d’achat, d’entrepôts, d’installations d’embarquement[33]


Franck Blaise ne tarit pas d’éloges pour le gouvernement de Sténio Vincent à propos de ce contrat. «… les efforts déployés par le gouvernement ont été couronnés de succès.

Il a combattu effectivement la monoculture par une politique de diversification de la culture de certaines denrées.

L’honneur lui revient de porter à un très haut degré la culture et le commerce de la figue banane.

De 2 millions de régimes, l’exportation atteignit plus de 7 millions.

Aussi le gouvernement a pu équilibrer le budget de la République, chose très rare dans les annales de l’histoire d’Haïti, par cette source de revenus[34]


Et pourtant, «Tout cela allait s’effondrer en quelques années. Les circonstances extérieures ne sont nullement en cause: l’extension du conflit mondial provoqua, certes, un ralentissement très sensible du commerce, mais les exportations reprirent de plus belle en 1947. En réalité, la spéculation bananière, véritable ‘poule aux œufs d’or’, avait suscité de multiples convoitises et un frénétique trafic de concessions privées». [35]


Pour Franck Blaise, c’est la loi du 17 Juillet 1947 qui est la cause de cet effondrement. «Si la loi du 6 décembre 1946 [36] et celle du 16 septembre 1949 [37] ont été de louables démarches pour augmenter les ressources du pays, celle du 17 juillet 1947 a porté un coup mortel à notre économie dont jusqu’à ce jour, nous en ressentons les conséquences néfastes.


Voici l’opinion de l’Agronome Pierre Benoit, dans son livre, Cent Cinquante Ans de Commerce Extérieur: Par la loi du 17 juillet 1947, l’Etat s’accorde le monopole d’achat et l’exportation de la figue banane et délègue ses droits à sept compagnies concessionnaires, la Standard Fruit y compris. A partir de cette date, la figue banane rentre dans son déclin. En 1947-1948, l’exportation de 7 millions de régimes passait à 3 millions 55 et en 1948-1949 à 2 millions 16. Ce déclin, écrit le Département Fiscal, qui a une grande répercussion sur le pouvoir d’achat et sur la circulation d’argent de certaines régions du pays ne provient d’aucune contraction de la récolte. Force est donc de le relier aux manipulations auxquelles ont été sujet depuis quelque temps le commerce de cette denrée sans qu’il fut suffisamment tenu compte, selon toute apparence, de l’intérêt du producteur et de ses relations psychologiques ainsi que d’autres facteurs influant sur l’avenir de cette denrée». [38]


Avec Paul Moral, nous obtenons un peu plus de détails. «Les tiraillements s’accentuant entre l’Etat et la compagnie américaine, celle-ci, depuis 1943, avait cessé d’opérer sur l’ensemble du territoire, laissant toute la partie sud à une société locale, la ‘Haïtian Banana Export’. A partir de 1946 même avec la suppression complète du monopole, la ‘Standard Fruit’ abandonna le marché haïtien. Ce fut, en plein ‘rush’ des exportations, le déchaînement du scandale des concessions. Des compagnies régionales, toutes anonymes (‘Badeco’, ‘Nesco’, ‘Comapla’, ‘Nabasco’, etc …), pour se dédommager rapidement des pots-de-vin qu’elles avaient dû verser, s’empressèrent d’oublier leurs obligations contractuelles, s’ingénièrent à acheter au plus bas prix, se mirent à délivrer, en guise de paiement, des certificats sans valeur. Le désordre s’amplifiant, les bateaux bananiers ne trouvèrent plus aux ports d’embarquement les cargaisons sur lesquelles ils comptaient ou refusèrent d’embarquer des amoncellements de régimes avariés. La banane haïtienne fut complètement discréditée sur le marché américain. De leur côté, les petits producteurs grugés abandonnèrent une production qui ne leur apportait plus que déboires et vexations… Une compagnie haïtienne patronée par l’Etat, la ‘Habanex’ fut bien reconstituée, sous les auspices de l’efficacité et de l’honnêteté, mais il ne fallut pas longtemps pour qu’empruntant à son tour la voie des opérations frauduleuses, elle achevât le tuer le commerce bananier, avant d’être déclarée en faillite (1956). [39]



Bernard Ethéart


HEM, Vol. XIX, No. 26, du 27/07-02/08/05

 


«La Bienveillante Pénétration»

Le cas de la canne à sucre


Nous n’aurions pas pu mettre fin à notre série d’articles relatifs à la pénétration du capital étranger en relation avec la pite, le caoutchouc, la figue-banane (voir HEM, Vol. XIX, Nos 22, 23, 24, 26) sans parler de la canne à sucre. Cette culture, du reste, peut être utilisée comme un révélateur de l’évolution de la structure socio-économique du pays.


On connaît suffisamment l’importance de l’industrie sucrière et son impact sur la structure sociale de la colonie de Saint Domingue pour qu’il soit nécessaire d’insister là-dessus. Mais on connaît moins son adaptation aux conditions de la période post-coloniale; Paul Moral la résume ainsi: «Bref, à la veille de l’occupation américaine, l’exploitation sucrière haïtienne a défini sa propre formule: des reliquats de manufacture maintenus par une aristocratie de grands planteurs sur un mode paternaliste; des distilleries rustiques; une culture disséminée et fortement intégrée à l’exploitation familiale, productrice de sirop et de ‘rapadou’» [40] Et l’auteur ajoute: «Cette économie hétérogène, mais peut-être moins décadente qu’on pourrait le supposer, est cependant incapable d’évoluer par ses propres moyens. Le retour à la grande exploitation est lié à l’intervention du capital étranger.» [41]


Cette intervention se fit à travers l’implantation de la HASCO. «Ayant pris en 1915 la succession d’une société à capitaux allemands, la ‘Haytian American Sugar Company’ put se constituer, dans le Cul-de-Sac et la plaine de Léogane, un important domaine, 6.000 hectares environ en 1930, dont plus de la moitié sous forme de baux à long terme». [42]


Trente ans plus tard, la société avait bien évolué. «La ‘Haytian American Sugar Company’ est maintenant fermement intégrée à l’économie agricole haïtienne. Elle dispose d’environ 11.000 hectares plantés en canne (9.000 dans le Cul-de-Sac et 2.000 dans la plaine de Léogane et dont moins de 40 % sont directement exploités par elle … Elle traite chaque année près de 700.000 tonnes de cannes qui fournissent environ 70.000 tonnes de sucre, brut (85 %) ou raffiné (15 %)». [43]


Ce résultat a coûté pas mal d’efforts. La compagnie a du, en effet, remembrer les terres, restaurer les anciens canaux d’irrigation des systèmes de la Rivière Grise et de la Rivière Blanche, dans la plaine du Cul-de-Sac, et de la rivière Momance, dans la plaine de Léogane, forer des puits, acclimater de nouvelles variétés de canne, mettre en place un système compliqué pour la campagne annuelle, en associant l’exploitation directe et l’achat de la récolte des grands et petits propriétaires indépendants.


Quoiqu’il en soit, l’exemple de la HASCO semble avoir encouragé d’autres entreprises. Dans la plaine du Nord, on a connu l’usine de Larue qui, selon Moral, produisait environ 1.000 tonnes de «sucre crème» par an, et l’usine de Welch, dans la commune de Limonade, propriété d’un exilé cubain, M. Escajedo. Dans la plaine des Cayes, s’est établie, entre 1948 et 1952, la «Centrale Sucrière Dessalines», à direction apparemment cubaine (Moral). Dans le Nord de la plaine du Cul-de-Sac, au pied du Morne-à-Cabrit, on pouvait voir, il y a quelques années encore, les restes d’une tentative d’installation d’une usine sucrière qui date du gouvernement Magloire (1950-1956).


Il faut enfin signaler, dans la plaine de Léogane, la construction, durant le gouvernement de Jean-Claude Duvalier, de la centrale de Darbonne. Cette usine était une initiative de l’Etat et a fait l’objet de toutes sortes de rumeurs. On a dit qu’elle n’était pas adaptée aux conditions de la plaine de Léogane et que son achat a été l’occasion de juteux trafics. Elle est du reste encore l’objet d’un litige entre le gouvernement italien et le gouvernement haïtien qui n’aurait jamais totalement acquitté ses obligations.


Elle n’a jamais vraiment fonctionné et, un peu avant la fin du régime Duvalier, elle a tout simplement été fermée. Une tentative de reprise par une société coopérative n’a donné aucun résultat. Le Président René Préval a cependant entrepris de la remettre en marche; c’était à l’époque où on parlait d’importation d’éthanol industriel pour fabriquer du clairin. Aujourd’hui l’«Usine Sucrière Jean Dominique de Darbonne», gérée par le Ministère de l’Agriculture, tente péniblement de produire du sucre crème.


La situation de Darbonne s’inscrit dans le cadre général de l’industrie sucrière haïtienne qui se résume dans le constat que non seulement nous n’exportons plus de sucre, mais nous en importons pour notre propre consommation. L’usine de Limonade, après avoir été rachetée par l’Etat (on était encore sous Duvalier), est actuellement en ruine. A Larue, à notre connaissance, on ne produit plus que du clairin. La centrale de la plaine des Cayes, passée entre temps en des mains haïtiennes, ne produit plus rien. Quant à l’usine de la HASCO, elle a été rachetée par un homme d’affaires haïtien … qui s’est empressé de la fermer.


Je me souviens d’avoir demandé au Président Aristide (c’était en 1995, je venais d’être nommé à l’INARA) si, compte tenu du fait que nos coûts de production rendent le sucre produit dans le pays plus cher que le sucre importé, il y avait une décision de politique agricole d’abandonner la production de sucre. Il m’a donné une de ces réponses sibyllines dont il avait le secret: «Bon … si c’est pour produire de quoi alimenter la population …» Autrement dit, il n’y avait pas de décision; on se contentait de laisser faire.


Bernard Ethéart


HEM, Vol.XIX, No. 30, du 24-30/08/05

 



«La Bienveillante Pénétration»

Le Bilan


Tout au long de cinq articles, sous le titre général «La Bienveillante Pénétration», nous avons tenté de nous faire une idée de l’évolution de certaines cultures, introduites ou développées sous l’influence du capital étranger: le sisal (HEM No. 22), l’hévéa (HEM No. 23), la figue-banane (HEM No. 24 et 26), la canne à sucre (HEM No. 30).


Il s’agirait maintenant de voir si cette «bienveillante pénétration» a vraiment apporté au pays tous les avantages qu’annonçaient les partisans de l’arrivée du capital nord-américain. Dans «Les blancs débarquent» (HEM No. 20), on pourra voir comment Roger Gaillard rapportent la manière dont les directeurs d’opinion de l’époque décrivaient tous les bienfaits que nous apporteraient ces capitaux. Aujourd’hui, un peu moins d’un siècle plus tard, on est en droit de se montrer un peu sceptique.


Pour commencer, il faudrait questionner le volume du flux de capitaux vers Haïti. Certes on ne peut sous-estimer l’importance des investissements au niveau de la production sucrière ou de la production de sisal; mais on sait que l’arrivée de la SHADA est liée à un prêt de 5 millions de dollars de la Export-Import Bank (la même, à ma connaissance, qui avait consenti le prêt pour la construction du barrage de Péligre). Autrement dit, il ne s’agit pas là d’apport de capitaux, car ces cinq millions nous étions sensés les rembourser.


Un second aspect à considérer est celui des avantages que nous avons pu tirer au niveau de notre commerce extérieur. Certes les exportations de figue-banane, mais surtout de sisal, nous ont permis d’améliorer notre balance commerciale. Il ne faut pas oublier que, pendant quelque temps, Haïti a été un des plus gros exportateurs de sisal au monde. Mais justement, ce fut pendant un certain temps, car l’arrivée des fibres synthétiques a fait disparaître ce pactole. Pour ce qui est de la filière figue-banane, elle n’a pas seulement été victime de la voracité des affairistes haïtiens mais aussi, comme je viens de l’apprendre, de l’arrivée du «mal de Panama». Nous n’avons jamais été un gros exportateurs de sucre; quant à l’hévéa, l’aventure n’a duré que l’espace d’un matin.


Mais là où le bilan peut être considéré comme négatif, c’est quand on constate les conséquences de cette «bienveillante pénétration» sur la structure socio-économique de la campagne haïtienne. Nous pouvons encore une fois nous référer à Paul Moral. «Toutefois, la petite exploitation indépendante qui avait proliféré un peu partout dans le pays, entre 1870 et 1890, fut sérieusement atteinte par le monopole de la H.A.S.C.O. Les guildiviers surtout, subirent les effets néfastes de la taxe sur l’alcool, destinée à favoriser la production du sucre au détriment de celle du tafia. Il en résultat, par contre-coup, une crise assez grave dans la plaine des Cayes et le Bassin Central où s’était organisée une économie vivante, basée sur le commerce local de l’alcool». [44]


Autant pour l’économie sucrière; voyons maintenant les effets de l’implantation de la culture du sisal. «La mise en place de la grande culture du sisal dans la plaine du Nord devait avoir des conséquences plus graves… On saisit mal, à travers les passions déchaînées, la réalité du drame agraire qui en résulta. Les dépossessions de 1926-1930 forment l’un des thèmes principaux de la résistance à l’occupation. ‘L’Union Nationaliste’ dénonce l’expulsion brutale ‘de milliers de paysans’ qui ‘avaient transformé les terres pauvres de la région en de jolies fermes où l’on trouvait, à côté des cultures vivrières, un petit champ de caféiers, beaucoup d’arbres fruitiers, un modeste élevage de chèvres et de poules’. Elle cite de nombreux cas, non équivoques, de spoliation. De son côté, l’administration américaine certifie que les terres concédées aux compagnies étaient depuis longtemps abandonnées et couvertes de halliers et que, si quelques occupants furent effectivement lésés, ils reçurent d’équitables indemnités[45]


Avec Franck Blaise, nous avons une idée de ce qui s’est passé avec l’implantation de la culture de l’hévéa. «La disposition législative du Gouvernement de Lescot qui a fait beaucoup de tort au Pays et dont jusqu’à présent, nous ressentons les conséquences néfastes fut le décret loi du 6 janvier 1945. Il autorisait la SHADA à cultiver le sisal et la cryptotegia. Ce décret avait un caractère dictatorial. Tout propriétaire qui avait refusé d’affermer son terrain à la SHADA, a été l’objet soit d’une mesure de réquisition, soit d’une mesure d’arrestation, soit d’une mesure d’expropriation… Cette Société a pris les meilleures terres de nos paysans pour établir des plantations dites stratégiques… de vastes plantations de vivres alimentaires, de denrées d’exportation et d’arbres fruitiers qui constituaient une très grande source de revenus pour nos paysans ont été détruites en conséquence. Ce fut un désastre national. Dès cette époque, la grande commotion de 1946 était en gestation!» [46]


Et voilà le résultat; structure agraire disloquée, paysans chassés de leurs terres et obligés d’aller chercher du travail à l’étranger; et tout cela pour permettre l’implantation de grandes exploitations trop dépendantes des fluctuations du marché extérieur ou même de la conjoncture politique mondiale et qui, aujourd’hui, ont totalement disparu.


Mais ce n’est pas tout. Franck Blaise consacre un passage à la loi du 22 septembre 1922, appelée loi sur les baux à long terme, qui devait faciliter l’implantation de grandes exploitations. L’article 1 de la loi est en effet ainsi formulé: «L’affermage ne pourra être consenti qu’à des personnes ou compagnies qui auront justifié de leurs capacités financières et des conditions nécessaires en vue de réaliser le développement du pays conformément au but de la Présente loi». [47]


Pour l’auteur, «Cette loi a permis en effet aux officiels du gouvernement de Borno de s’enrichir en faisant des dépossessions massives dans le Département du Nord, en expulsant des milliers de paysans, exploitant toutes les terres dont le fermage a été consenti par l’Etat». [48]


Et la fin de l’histoire: «En 1927, l’exécution de cette loi avait créé tellement d’abus, que le tribunal de Cassation, avait déclaré, dans un jugement demeuré célèbre dans l’histoire des annales juridiques haïtiennes, que cette loi était entâchée de nullité». [49]


Bernard Ethéart

HEM, Vol. XIX, No. 32, du 07-13/09/05

 



La résistance paysanne


Tout au long de près d’une vingtaine d’articles, nous nous sommes efforcés d’apporter un éclairage sur l’évolution de la structure foncière dans le monde rural haïtien avec pour objectif de comprendre les causes de l’instabilité qui la caractérise. Ces incursions dans l’histoire agraire permettent de prendre connaissance d’une constante: la volonté des dirigeants du pays de battre en brèche le désir des petits paysans de cultiver leur jardin comme entrepreneurs indépendants au profit de grands domaines contrôlés par des «capitalistes» nationaux ou étrangers. Cette politique se heurtera évidemment à la résistance des paysans, résistance armée bien souvent, et pendant plusieurs décennies l’histoire politique sera marquée par les soulèvements armés des Piquets et des Cacos.


La situation de dépendance vis-à-vis de l’Etat, des grands domaniers, du marché tant national qu’international, l’incertitude causée par l’absence de titres de propriété ajoutés à l’aspiration à la possession du sol ont provoqué, dès les premières années de l’indépendance, des remous importants au sein de la paysannerie haïtienne. Les soulèvements les plus caractéristiques des problèmes paysans de l’époque ont été certainement ceux menés par Goman et Accaau.[50]


De 1807 à 1820, Goman avait essayé par la lutte armée d’améliorer le statut économique et social des paysans de la Grand’Anse dans le Sud du pays. Puis de 1843 à 1847, Accaau s’étant proclamé “Chef des réclamations de ses Concitoyens” prit la tête de “l’Armée Souffrante” des paysans du Sud ou “Piquets” pour réclamer la dépossession de “certains citoyens réputés riches, le partage de leurs biens et d’une partie des biens de l’Etat entre les prolétaires”.[51]


La révolte de Goman fut finalement réprimée; celle d’Acaau perdra son élan dans les remous qui suivirent le départ de Jean-Pierre Boyer du pouvoir; celle des Cacos par contre a tenu la population en haleine jusqu’à la fin du premier quart du 20e siècle et a connu différentes phases selon que la conjoncture politique fera naître de nouvelles revendications.


Pour commencer il y a la revendication de la terre. Dans un premier temps, il ne semble pas que les paysans aient voulu mener une guerre ouverte ni même livrer de batailles rangées. En effet, jusqu’au mois d’août 1911, la lutte restera localisée dans les régions traversées par les travaux de construction de chemin de fer et les actions des groupes rebelles se résument en une série d’escarmouches contre les établissements de la compagnie Mac-Donald.[52]


Ce mouvement que l’on désigne généralement sous le nom de la “deuxième guerre des Cacos” et dans lequel certains historiens ont cru voir soit un mouvement politique visant le renversement du régime établi, soit une lutte nationaliste destinée à protester contre l’occupation du pays par les Américains, n’avait eu comme principal objectif, à ses débuts, que la conservation des lopins de terre des paysans. Cet objectif qui n’a pas été formulé ouvertement se retrouve dans les slogans «A bas Mac Donald», «A bas le chemin de fer» qui cachent l’éternelle lutte de la petite propriété contre la grande. [53]


En un mot, ces paysans continuaient une lutte commencée par leurs ancêtres contre la grande propriété aussi bien haïtienne qu’étrangère. Leur guerre n’a été que l’intensification des luttes antérieures à 1915, une résistance qui atteint son paroxysme, face à la nouvelle poussée de la grande propriété.[54]


Mais le mouvement va se dévoyer sous l’influence de l’intrusion de la politique. Cependant, en cours de route, un nouvel objectif viendra se greffer au premier, au point de le noyer presque complètement. Des politiciens s’étant emparés du mouvement, exploiteront habilement le mécontentement rural afin d’obtenir l’appui des paysans et renverser les gouvernements établis; Cincinnatus Leconte obtiendra leur appui pour renverser Antoine Simon, Oreste Zamor contre Michel Oreste, Davilmar Théodore contre ce dernier et Vilbrun Guillaume Sam contre Théodore. La lutte pour le pouvoir a donc mis en veilleuse les intérêts des paysans.[55]


Pour comprendre cette évolution il faut revenir au type de relation existant entre les grands propriétaires et leurs métayers. Nous avons déjà touché à cette situation dans un article intitulé Le Système des «de moitié» - Féodalisme à l’haïtienne (HEM, Vol. XIX, No. 5, du 02-08/03/05). Les rapports de dépendance font que le grand propriétaire peut utiliser ses métayers comme piétaille dans ses luttes pour le pouvoir.


Tout grand domanier possédant une clientèle encore considérable s’intitule «général», «un complet bleu dénim, un mouchoir rouge au coup», embrigade ses «de moitié», auxquels viennent s’ajouter les pauvres hères rabattus par les «chefs de bouquement». [56]


À la fin du mois d’août 1911, la faction politique menée par Cincinnatus Leconte se décide à exploiter le mouvement pour renverser le gouvernement d’Antoine Simon. Cette phase, la plus longue, ne connaîtra un dénouement qu’en octobre 1915 avec la reddition des principaux chefs politiques. Dans cette collusion, les intérêts paysans passent au second plan.[57]


Cette désaffiliation des homes politiques n’allait pas, pour autant, arrêter la lutte paysanne. Au contraire, en gagnant le maquis, les paysans marquaient nettement leur divergence de vue avec les politiciens et leur intention de continuer la guérilla.[58]


Avec Charlemagne Péralte, le lutte des cacos va prendre une toute autre tournure et devenir une guerre contre l’occupant nord-américain. En 1918, Charlemagne Péralte entrera en rébellion ouverte contre les forces américaines occupant le pays. Pendant plus de deux ans, lui et son successeur, Benoît Batraville, entraîneront plus de deux mille paysans de Hinche à Ouanaminthe et à Port-au-Prince en passant par la Grande Rivière du Nord, Maïssade, Ranquitte, Croix-des-Bouquets, dans une lutte sans merci contre la Gendarmerie et les Marines américains. Il sera finalement trahi et assassiné. Son successeur connaîtra le même sort, sans jamais atteindre le but politique fixé par le mouvement, à savoir: “rejeter les envahisseurs à la mer”.[59]


Bernard Ethéart


HEM, Vol. XIX, No. 34, du 21-27/09/05


 



La résistance paysanne 2


Le dernier article de cette série (voir La résistance paysanne, in: HEM, Vol. XIX, No. 34, du 21-27/09/05) tentait un survol des mouvements paysans qui ont fortement marqué le 1er siècle de notre histoire nationale. Nous nous étions arrêtés à l’épilogue du plus important de ces mouvements, la «troisième guerre caco», avec la mort de Charlemagne Péralte, le 1er novembre 1919, puis celle de Benoit Batraville, le 19 mai 1920. Pendant la décennie qui va suivre, les campagnes haïtiennes vont connaître une période de paix relative et les maîtres du pays pourront passer à «la phase constructive de l’occupation». Ce qui ne veut pas dire que la population rurale ait accepté la situation et certaines mesures vont entretenir le mécontentement.


On sait le rôle qu’a joué la remise en vigueur, dans l’été de 1916, de la corvée, «inscrite au Code Rural de 1864, mais tombée depuis en désuétude» [60], dans le départ de la troisième guerre caco; c’est la loi du 14 août 1928, taxant la production d’alcool, qui va provoquer toute une série de protestations qui aboutiront au «drame de Marchaterre». Cette taxe devait favoriser le développement de la grande industrie sucrière; elle ne touchait que la production d’alcool destinée à la consommation locale – la partie destinée à l’exportation étant exemptée de ces impôts dénommés «droits d’accise», elle affectait donc essentiellement les propriétaires de petites distilleries incapables d’absorber ces charges nouvelles. [61]


En décembre 1929, un troisième mouvement se dessine dans toutes les régions productrices de sucre du pays. Il englobera une partie de la plaine du Cul-de-Sac, les plaines de Léogane, de Petit-Goave, de Jacmel pour atteindre son point culminant dans la plaine des Cayes où, après une série de manifestations et une marche organisée sur la ville, les 1.500 paysans seront accueillis par un feu nourri déclenché par les forces d’occupation. Le bilan de ce dernier mouvement aura été de 22 morts et 51 blessés.[62]


Le drame de Marchaterre se produit dans une conjoncture déjà marquée par les remous provoqués par la grève des étudiants de l’Ecole d’Agriculture et tout cela conduira à des changements politiques d’importance, depuis le départ du Président Borno jusqu’à, finalement, la «désoccupation» en 1934. Ce sera la dernière fois que le monde rural aura une influence sur la vie politique.


Paul Moral signale que, en dépit du fait que la situation des paysans ne se soit guère améliorée, la résistance paysanne semble avoir été brisée. Et pourtant, pendant les vingt années qui suivent la libération du territoire, la vie rurale haïtienne connaît un calme à peu près absolu qui contraste étonnamment avec l’agitation des époques antérieures… La question agraire est en sommeil. Le milieu paysan isolé émietté, uniformément déshérité, a cessé de participer à la vie politique. Il n’apparaît dans le débat politico-social des années 1940-1950 que comme «argument». On assiste à une sorte de «promotion littéraire» de «l’habitant». La masse rurale inspire désormais, sur des thèmes ethno-sociologiques, des œuvres d’un réel intérêt parfois mais qui ne parviennent pas à suggérer aux pouvoirs publics les moyens pratiques d’une réhabilitation de l’homme des campagnes. [63]


Ce n’est pas ici le lieu de procéder à une analyse approfondie des facteurs qui ont fait perdre sa combativité au monde paysan, nous pouvons cependant tenter d’en identifier quelques uns, et tout de suite nous pensons au désarmement de la population par l’occupant, à l’exode rural et à la centralisation.


On se souvient que, au moment où Sonthonax proclamait la liberté des esclaves, il procédait à une distribution d’armes, en insistant bien sur le fait que celui qui voudrait leur reprendre ces armes n’aurait d’autre objectif que de rétablir l’esclavage. Or, une des premières mesures prises par l’occupant fut justement le désarmement de la population. On ne peut pas dire que cette mesure fut suivie d’un rétablissement du système esclavagiste, mais elle a certainement contribué à cette perte de combativité que nous avons mentionnée.


En parlant des conséquences de l’implantation des grandes plantations de sisal dans le Nord-Est, l’équipe de l’INARA signale que l’occupation de ces espaces a entraîné d’importants problèmes sociaux. Malgré les indemnisations mais aussi et surtout les offres de travail permanent, les paysans dépossédés de leurs terres ont constitué une des bases les plus importantes de la résistance armée à l’occupation américaine (insurrection dite des «cacos»), tandis que d’autres émigraient en République Dominicaine, où leur intégration a été très problématique (violences, massacres et expulsions, 1934-1938). [64]


Il nous faudra également accorder une attention particulière à l’exode rural, qui aurait été l’alternative à la résistance armée. Très schématiquement on pourrait identifier trois grandes vagues. Dans un premier temps, au début du siècle dernier, on a le départ de paysans allant travailler dans les grandes centrales sucrières de République Dominicaine et de Cuba; dans un second temps, on a le mouvement classique de paysans chassés de la campagne par la pression démographique vers les centres urbains; et, alors que cette seconde vague continue à déferler sur Port-au-Prince et, dans une moindre mesure les grandes villes de province, on voit apparaître le mouvement des «boat people», vers les Bahamas d’abord, puis vers les côtes de Floride.


On a vu, dans le cas des guerres cacos, comment les hommes politiques ont utilisé les mouvements de protestation des paysans pour leur propre conquête du pouvoir politique. Avec la centralisation administrative, elle aussi initiée par l’occupant, les provinces vont perdre de leur importance politique. Le champ de bataille des candidats au pouvoir c’est Port-au-Prince.


Les nostalgiques de la conquête du pouvoir par la force s’ingénieront à trouver l’appui de l’institution qui a le monopole de la force: l’Armée d’Haïti; la masse de manœuvre des démagogues n’est plus la paysannerie pauvre mais la population des quartiers déshérités de la capitale. On peut signaler que François Duvalier, pour amplifier l’importance des manifestations de masse en faveur de son pouvoir, a fait venir de province de pauvres hères qu’il s’est bien gardé de renvoyer chez eux, une fois les manifestations finies, accélérant ainsi le processus d’exode rural et créant cette catégorie sociale que les démographes des années 70 ont appelé «les 22 mai».


Il ne faut cependant pas s’imaginer que la vie rurale est complètement exempte de toute violence. Le contrôle de la terre, et en particulier des terres de l’Etat, reste une source de conflits qui peuvent être l’occasion de déchaînements d’une violence inouïe. Fort souvent, ce sont des grands changements dans la vie politique qui sont le point de départ de ces mouvements. Ainsi la chute du régime Duvalier a été suivie de réclamations de terre au niveau des anciennes plantations de sisal du Nord-Est, de même la publication du décret portant création de l’Institut National de la Réforme Agraire a encouragé un mouvement de squattérisation dans le Nord. Il est cependant une zone qui, depuis les années cinquante est un foyer d’affrontements parfois d’une extrême violence, nous voulons parler de l’Artibonite, et nous allons devoir y consacrer quelqu’attention.


Bernard Ethéart


HEM, Vol. XIX, No. 36, du 05-11/10/05




Liste des articles


Pages retrouvées: - Louis Joseph Janvier: Les Affaires d’Haïti (1883-1884)

HEM, Vol. XIX, No. 3, du 16-22/02/05

p. 2

Pages retrouvées: - Roger Gaillard: Le système «de moitié» - féodalisme à l’haïtienne

HEM, Vol. XIX, No. 5, du 02-08/03/05

6

Pages retrouvées: - Jacques de Cauna: Haïti: l’éternelle révolution 1

HEM, Vol. XIX, No. 10, du 06-12/04/05

9

Pages retrouvées: - Jacques de Cauna: Haïti: l’éternelle révolution 2

HEM, Vol. XIX, No. 11, du 13-19/04/05

11

Pages retrouvées: - Candelon Rigaud: Promenades dans les campagnes d’Haïti – la plaine de la Croix-des-Bouquets dite: «Cul de Sac»

HEM, Vol. XIX, No. 13, du 27/04-03/05/05

14

Pages retrouvées: - Victor Redsons: Genèse des rapports sociaux en Haïti (1492-1970) Problèmes du mouvement communiste haïtien (1959-1970)

HEM, Vol. XIX, No. 15, du 11-17/05/05

17

Les blancs débarquent 1

HEM, Vol. XIX, No. 20, du 15-21/06/05

19

Les blancs débarquent 2

HEM, Vol. XIX, No. 21, du 22-28/06/05

21

«La Bienveillante Pénétration» - Le cas de la Plantation Dauphin

HEM, Vol. XIX, No. 22, du 29/06-05/07/05

23

«La Bienveillante Pénétration» - Le cas de l’hévéa

HEM, Vol. XIX, No. 23, du 06-10/07/05

25

«La Bienveillante Pénétration» - Le cas de la figue-banane

HEM, Vol. XIX, No. 24, du 13-19/07/05

27

«La Bienveillante Pénétration» - Le cas de la figue-banane (suite)

HEM, Vol. XIX, No. 26, du 27/07-02/08/05

29

«La Bienveillante Pénétration» - Le cas de la canne à sucre

HEM, Vol. XIX, No. 30, du 24-30/08/05

31

«La Bienveillante Pénétration» - Le bilan

HEM, Vol. XIX, No. 32, du 07-13/09/05

33

La résistance paysanne

HEM, Vol. XIX, No. 34, du 21-27/09/05

35

La résistance paysanne 2

HEM, Vol. XIX, No. 36, du 05-11/10/05

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[1] Suzy Castor, Les origines de la structure agraire en Haïti, CRESFED, Port-au-Prince, 1987, pp. 34-35

[2] Gérard Pierre-Charles, L’économie Haïtienne et sa voir de Développement, Editions Henri Deschamps, Mai 1993

[3] Roger Gaillard, Préjugés de classe au Cap Haïtien, II. La réaction, Le Nouvelliste, Lundi 7 et Mardi 8 Décembre 1992

[4] Gérard Pierre-Charles, L’Economie Haïtienne et sa voie de Développement, Port-au-Prince, 1993, p. 137

[5] Roger Gaillard, La République Autoritaire, Port-au-Prince, 1981, p. 25

[6] Paul Moral, Le paysan haïtien, Port-au-Prince, 1978, p. 53

[7] id., p. 54

[8] Paul Moral: Le paysan haïtien, Les Editions Fardin (Reproduction), 1978, p.61

[9] id., p. 62

[10] Franck Blaise: Le Problème Agraire à travers l’Histoire d’Haïti, p. 99

[11] id., p. 101 et 102-105

[12] Gérard Pierre-Charles, op. cit., p. 146

[13] Paul Moral, op. cit., p. 63, Note 2

[14] Victor Redsons, Genèse des rapports sociaux en Haïti (1492-1970) suivi de Problèmes du mouvement communiste haïtien (1959-1970), Editions Norman Béthune, p. 35

[15] id., p. 41

[16] Franck Blaise, op. cit., pp. 115/116

[17] id., pp. 119/120

[18] Gérard Pierre-Charles, L’Economie Haïtienne et sa voie de Développement, Port-au-Prince, 1993, p.91

[19] Diagnostic de la situation foncière de Dévésien/Napple, Mars 2001

[20] Gérard Pierre-Charles: L’Economie Haïtienne et sa voie de Développement, Port-au-Prince 1993, p.91

[21] Victor Redsons: Genèse des rapports sociaux en Haïti (1492-1970) suivi de Problèmes du mouvement communiste haïtien (1959-1970), Editions Norman Béthune, p. 41

[22] Il y a certainement une faute d’impression; ce ne peut être que 1943 (B.E.)

[23] Franck Blaise: Le Problème Agraire à travers l’Histoire d’Haïti, pp. 115/116, pp. 119-121

[24] Victor Redsons, Genèse des rapports sociaux en Haïti (1492-1970), suivi de Problèmes du Mouvement Communiste Haïtien (1959-1970), Editions Norman Béthune, p. 33

[25] Kethly Millet, Les paysans haïtiens et l’occupation américaine 1915-1930, Collectif Paroles, LaSalle, 1978, p.30

[26] Franck Blaise, Le problème agraire à travers l’Histoire d’Haïti, p. 95

[27] Kethly Millet, op. cit., p. 31

[28] Victor Redsons, op. cit., p. 33

[29] Paul Moral, Le paysan haïtien, Les Editions Fardin, Port-au-Prince, 1978, p. 62

[30] Kethly Millet, op. cit., pp. 31-32

[31] Paul Moral, Le paysan haïtien, Les Editions Fardin, Port-au-Prince, 1978,p. 309

[32] Selon Franck Blaise, c’est la loi du 22 Mars 1935, voir: Le problème agraire à travers l’Histoire d’Haïti, p. 108

[33] Paul Moral, op. cit., p.311

on notera que Victor Redsons dans sa Genèse des rapports sociaux en Haïti, p. 42, reproduit textuellement ce paragraphe sans mention de source

[34] Franck Blaise, op. cit., p. 109

[35] Paul Moral, op. cit., p. 312

[36] En réalité, il semble qu’il s’agisse du décret-loi du 4 décembre 1946, qui crée l’Office National du Café

[37] relative au cadastre

[38] Franck Blaise, op. cit., p. 129

[39] Paul Moral, op. cit., pp. 312-313

[40] Paul Moral, Le paysan haïtien, Les Editions Fardin (reproduction), Port-au-Prince, 1978, p. 286

[41] id., pp. 286-287

[42] id., p. 64

[43] id., p. 288

[44] Paul Moral, Le Paysan Haïtien, Les Editions Fardin (reproduction), Port-au-Prince, 1978, p. 65

[45] Paul Moral, op. cit., p. 65

[46] Franck Blaise, Le Problème Agraire à travers l’Histoire d’Haïti, pp. 119-120

[47] id., p. 103

[48] id., p. 105

[49] id., p. 104

[50] Kethly Millet, Les paysans haïtiens et l’occupation américaine 1915-1930, Collectif Paroles, La Salle, Québec, 1978, p. 9

[51] J.C. Dorsainvil, Histoire d’Haïti, cite par Kethly Millet, op. cit., p. 10

[52] Kethly Millet, op. cit., p. 52

[53] Kethly Millet, op. cit., pp. 44-45

[54] Kethly Millet, op. cit., p. 46

[55] Kethly Millet, op. cit., p. 45

[56] Paul Moral, Le paysan haïtien, Les Editions Fardin (reproduction), Port-au-Prince, 1978, p. 60

[57] Kethly Millet, op. cit., pp. 52-53

[58] Kethly Millet, op. cit., p. 54

[59] Kethly Millet, op. cit.,p. 11

[60] Paul Moral, Le paysan haïtien, Les Editions Fardin (reproduction), Port-au-Prince, 1978, p. 60

[61] Kethly Millet, Les paysans haïtiens et l’occupation américaine 1915-1930, Collectif Paroles, La Salle, 1978, pp. 113-114

[62] Suzy Castor, La ocupación norteamericana de Haití y sus consecuencias 1915-1934, citée par Kethly Millet, op. cit., pp. 11-12

[63] Paul Moral, op. cit., p. 72

[64] Diagnostic de la situation foncière de Dévésien/Napple, Mars 2001, cité dans HEM, Vol. XIX, No. 22, du 29/06-05/07/05